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– J’y suis déjà montée, et je vous remercie de cette distraction qui a soulagé mes peines. Je les oublierais presque si j’avais quelques livres et quelques crayons.

– Je suis bien aise de savoir cela, dit la religieuse avec un sourire affectueux. Adieu. Surtout, ne posez à sœur Marguerite aucune question à mon sujet, et ne lui parlez pas des petites attentions que j’ai pour vous.

Après le départ de sœur Olivia, Elena demeura quelque temps plongée dans ses réflexions d’où elle fut tirée par sœur Marguerite qui venait pour la conduire au réfectoire, l’abbesse ayant eu la bonté de permettre qu’elle dînât avec les novices. Cette permission ne fit aucun plaisir à Elena; elle aurait mieux aimé se réfugier dans sa petite tour que de s’exposer aux regards curieux de ses nouvelles compagnes. Elle suivit tristement sœur Marguerite le long des corridors silencieux, jusqu’à la salle où l’on était déjà réuni. Elle n’éprouva pas moins d’embarras que de surprise en voyant tous les yeux fixés sur elle. Les novices se mirent à chuchoter et à sourire; pas une ne s’approcha d’elle pour l’encourager; pas une ne l’invita à s’asseoir près d’elle; enfin, elle ne fut l’objet d’aucune de ces attentions délicates par lesquelles une âme généreuse se plaît à relever les faibles et les malheureux.

Elena prit un siège, et peu à peu la dignité de ses manières changea les dispositions malveillantes dont elle avait d’abord été l’objet. Après le repas, elle eut hâte, pour la première fois, de regagner sa cellule. Sœur Marguerite ne l’y enferma pas; acte de condescendance qui semblait lui coûter, mais qui venait sans doute d’un ordre supérieur. Dès qu’Elena fut seule, elle monta à la tourelle. Sœur Olivia y avait fait porter une chaise, une table sur laquelle étaient posés quelques livres et un vase de fleurs. La captive ne put retenir son attendrissement à cette preuve des soins généreux de la bonne religieuse; et, regardant les livres, elle y trouva, parmi quelques ouvrages mystérieux, plusieurs des meilleurs poètes italiens. Elle s’assit près de sa fenêtre et, un volume du Tasse à la main, elle laissa errer son imagination sur les scènes créées par ce brillant génie, jusqu’à ce que le déclin du jour la rappelât à des événements plus réels. Elle pensa alors à Vivaldi; elle pleura en songeant que peut-être elle ne le reverrait jamais, quoique sans doute il fût déjà à sa recherche. Tous les détails de leur dernière entrevue lui revinrent en mémoire et, quand elle se figura le désespoir du jeune homme venant à la villa Altieri sans l’y trouver, tout le courage dont elle faisait montre pour lutter contre ses propres maux faiblit à l’idée de ceux que son amant avait dû endurer. La cloche du soir l’ayant avertie, elle se rendit à l’office avec sœur Marguerite; et, de là, elle revint dans sa chambre où sœur Olivia ne tarda pas à la rejoindre. Celle-ci lui rapporta, avec un mélange de franchise et de discrétion, ce qui s’était passé entre elle et l’abbesse. Le résultat de cet entretien fut que la supérieure avait autant d’obstination que sa prisonnière montrait de fermeté.

– Quelle que soit votre détermination, dit sœur Olivia, je vous conseille sérieusement de montrer à l’abbesse quelque complaisance et de lui laisser espérer que vous pourrez céder un jour, sans quoi elle pourrait se porter envers vous aux dernières extrémités.

– Et quelles extrémités plus redoutables, demanda l’orpheline, que l’alternative qu’on me propose? Pourquoi m’abaisserais-je à une lâche dissimulation?

– Pour vous dérober, répondit tristement sœur Olivia, aux traitements injustes et cruels qui vous attendent.

Pendant qu’elle parlait ainsi, ses yeux se remplirent de larmes. Elena, surprise de cette extrême douleur, conjura son amie de s’expliquer.

– Ne m’en demandez pas davantage, répliqua sœur Olivia. Qu’il vous suffise de savoir que les conséquences d’une résistance ouverte seraient terribles pour vous. Votre imagination ne peut vous peindre les horreurs du… Mais, ma chère enfant, je veux vous sauver; et le seul moyen pour moi d’y parvenir, c’est de vous trouver moins éloignée, en apparence, de consentir à ce que l’on vous demande.

Elena, les yeux fixés sur la religieuse, fut frappée d’un soupçon étrange. Elle douta un moment de la sincérité de sœur Olivia et supposa que celle-ci voulait la faire tomber dans les pièges de l’abbesse. Une telle pensée était pour elle un supplice plus cruel que tous les autres, mais un seul regard jeté sur sœur Olivia suffit pour dissiper ses craintes, et elle reprit après un long silence:

– Quand je pourrais me décider à tromper, quel profit m’en reviendrait-il? Je suis au pouvoir de l’abbesse laquelle mettra bientôt ma sincérité à l’épreuve. Découvrant à la fin ma dissimulation, sa vengeance n’en sera que plus cruelle.

– Croyez-moi, reprit sœur Olivia, l’essentiel est de gagner du temps. Si l’abbesse vous croit disposée à prendre le voile, elle vous accordera un délai et, durant ce répit, qui sait quelles circonstances peuvent changer votre situation?… Mais écoutez: la cloche sonne; on se rassemble chez l’abbesse pour recevoir sa bénédiction du soir. Mon absence serait remarquée. Bonsoir, chère sœur; réfléchissez à ce que je vous ai dit, et considérez, je vous en supplie, que la résolution que vous allez prendre décidera de votre destinée.

La religieuse prononça ces mots avec un accent si marqué et en les accompagnant d’un regard si expressif qu’Elena désira et craignit tout à la fois de la faire s’expliquer davantage. Mais avant qu’elle fût revenue de sa surprise, sœur Olivia avait quitté la chambre.

IX

Vivaldi et son domestique, ainsi enfermés dans la chambre souterraine de la forteresse de Paluzzi, la nuit qui suivit l’enlèvement d’Elena, réunirent tous leurs efforts pour ébranler tantôt la porte et tantôt la fenêtre grillée. Mais ils n’en purent venir à bout et bientôt, leur flambeau consumé les ayant laissés dans l’obscurité, ils s’abandonnèrent au désespoir. Les paroles du moine, qui semblaient annoncer qu’Elena n’était plus, revinrent assiéger l’esprit de Vivaldi. Paolo, couché près de lui et non moins abattu, n’avait plus de distraction ni de consolation à lui offrir; il laissait même échapper des lamentations sur l’affreux genre de mort qui allait être le leur et maudissait l’obstination qui les avait amenés dans ces caveaux où bientôt ils souffriraient les tortures de la faim. Il se livrait à ces lugubres doléances, dont son maître absorbé n’entendait pas un mot, quand tout à coup il s’interrompit.

– Monsieur, dit-il, qu’y a-t-il donc là-bas? Ne voyez-vous rien? Je distingue un peu de jour; il faut voir ce que c’est.

Il se leva et s’avança du côté d’où venait la clarté. Quelle fut sa joie lorsqu’il reconnut qu’elle entrait par la porte même de la chambre! Cette porte, refermée sur eux le soir précédent, était maintenant entrouverte sans qu’on eût entendu tirer les verrous! Paolo la poussa tout à fait, sortit avec Vivaldi qui l’avait aussitôt suivi, et tous deux, remontant l’escalier, se retrouvèrent un moment après à l’air libre, dans la première cour de la forteresse où régnait une solitude complète. Ils arrivèrent enfin sous la grande voûte avant le lever du soleil, respirant à peine et n’osant croire à leur délivrance. Ils s’arrêtèrent un moment pour reprendre haleine. La première pensée de Vivaldi, qui sentit ses alarmes se dissiper, fut de courir à la villa Altieri, malgré l’heure matinale, et d’y attendre le lever de quelqu’un de la maison. Ils en prirent donc la route. Paolo, fou de joie à l’idée de ne plus se voir exposé à mourir de faim, se perdait en conjectures sur les causes de cette captivité passagère; Vivaldi ne pouvait guère l’aider à en trouver l’explication. Mais ce qu’il y avait de certain, c’est qu’ils n’étaient pas tombés dans un repaire de voleurs; pourtant, le jeune homme cherchait vainement qui pouvait avoir eu intérêt à le retenir une nuit, pour le relâcher ensuite. En entrant dans le jardin, il fut surpris de voir que plusieurs des jalousies étaient ouvertes; mais son étonnement se changea en terreur quand, en approchant du portique, il entendit des gémissements qui semblaient venir de l’intérieur; il appela et reconnut la voix éplorée de Béatrice. La porte était fermée. Il s’élança, suivi de Paolo, par une des fenêtres, et trouva la pauvre femme attachée à un pilier. Ce fut d’elle qu’il apprit qu’Elena avait été enlevée durant la nuit par des hommes armés. À cette nouvelle, il demeura comme frappé de stupeur et ne sortit de cet état que pour poser cent questions à Béatrice, sans lui donner le temps de répondre à une seule. Lorsque enfin il put prendre sur lui de l’écouter, il apprit que les ravisseurs étaient au nombre de quatre, qu’ils étaient masqués et que deux autres l’avaient liée, elle, à un pilier, en la menaçant de mort si elle poussait un seul cri. Vivaldi, ayant repris un peu de son sang-froid, crut deviner les auteurs de la double affaire de la nuit précédente. C’était sa famille sans doute qui avait fait enlever Elena, pour prévenir l’union projetée, et qui l’avait lui-même fait attirer et retenir dans la forteresse, afin de l’empêcher de mettre obstacle au rapt de la jeune fille. Il demeura aussi persuadé que Schedoni était le moine qui l’avait poursuivi avec tant d’acharnement, et qui était à la fois conseiller de sa mère, messager de malheur et exécuteur de ses propres prédictions. «Quel autre que ce Schedoni, se disait-il, peut être si bien instruit de tout ce qui me touche? Quel autre peut avoir intérêt à s’opposer à mes desseins, stimulé par la promesse d’une riche récompense?» Mais, quoiqu’il pût en être de la complicité de Schedoni, il n’était pas douteux pour Vivaldi qu’Elena n’eût été enlevée sur l’ordre de sa famille. Pensant cela, il retourna à Naples impatient d’avoir de son père ou de sa mère des éclaircissements sur cette aventure.