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L’abbesse, selon l’usage adopté dans les grandes fêtes, donnait une collation au père abbé et à ceux des religieux qui l’avaient assistée dans la célébration de l’office. Un concert devait en même temps être exécuté par les religieuses; quelques étrangers de distinction, ainsi que plusieurs pèlerins devaient y être admis. Pendant que toute la communauté serait ainsi occupée de plaisirs, il serait facile à Vivaldi, instruit de tous ces détails et aidé par le frère lai Geronimo, de s’introduire dans la salle sous son habit de pèlerin et de se mêler aux spectateurs. Il pressa donc Elena de se rendre dans l’appartement de l’abbesse où il pourrait l’instruire des moyens qu’il aurait trouvés pour favoriser sa fuite. Il y aurait des mules au pied de la montagne pour la conduire soit à la villa Altieri, soit au couvent de Santa Maria della Pietà. Cet espoir de liberté renouvela les diverses émotions d’Elena. Incapable de prendre sur-le-champ une résolution, elle supplia Vivaldi de quitter tout de suite le lieu dangereux où il se trouvait, promettant de faire tous ses efforts pour se rendre au parloir de l’abbesse. Là, elle lui ferait part de sa dernière détermination. Vivaldi comprenait les scrupules qui devaient agiter son âme et l’admirait tout en s’en affligeant. Il ne descendit de son rocher qu’au moment où disparaissaient les dernières clartés du jour. Elena le suivit des yeux autant que le lui permettait l’obscurité, et elle put l’apercevoir, toute tremblante, tantôt marchant le long des précipices, tantôt sautant d’un roc sur l’autre, jusqu’à ce que les bois l’eussent dérobé à sa vue. Alors seulement, elle regagna sa cellule.

À peine y était-elle rentrée, pleine de trouble et d’irrésolution, qu’elle reçut la visite de sœur Olivia. À l’altération des traits de la religieuse, on devinait quelque nouveau sujet d’alarme. Elle s’assura d’abord qu’il n’y avait personne dans le corridor, fit des yeux le tour de la cellule et dit enfin, d’une voix profondément émue:

– Ma chère enfant, mes craintes pour vous ne sont que trop justifiées. Vous êtes perdue, si vous ne venez à bout de vous échapper cette nuit. Je viens d’apprendre que votre conduite de ce matin a été regardée comme un attentat prémédité aux droits et à la dignité de l’abbesse, et qu’elle sera punie de ce qu’on appelle ici l’in pace. Hélas! pourquoi vous cacherais-je la vérité? Pourquoi ne vous dirais-je pas que ce que je vous annonce, c’est la mort même. Oui la mort! car quelqu’un est-il jamais sorti de ce tombeau?

– La mort! s’écria Elena, frappée d’horreur.

– Écoutez-moi. Dans la partie la plus reculée du couvent se trouve une chambre souterraine, taillée dans le roc et fermée par des portes de fer, où sont jetées les sœurs coupables de quelque grande faute. Ce châtiment est éternel; la malheureuse reste là, enchaînée dans l’obscurité, et ne reçoit que les aliments nécessaires pour prolonger sa vie et ses souffrances. Nos registres consacrent le souvenir de cette horrible peine, prononcée le plus souvent contre les religieuses qui, désabusées des illusions d’une fausse vocation ou cloîtrées par l’avarice de leurs parents, avaient été surprises dans une tentative de fuite. J’ai vu moi-même un exemple de cette effroyable rigueur. J’ai vu une de ces infortunées victimes entrer dans cette tombe dont elle ne devait plus sortir. J’ai vu ses tristes restes déposés dans le jardin. Belle comme vous, aimée comme vous, elle a langui pendant deux ans sur la paille, privée même de la faible consolation de converser quelquefois avec nos sœurs au travers de la porte ou du soupirail de son caveau. Un châtiment sévère était réservé à celles qui approcheraient de sa prison avec quelques sentiments de compassion. Je m’y suis exposée, je l’avoue, et je l’ai subi, grâce à Dieu, avec une joie secrète.

Elena se jeta en pleurant dans les bras de la bonne religieuse. Celle-ci reprit après un moment de silence:

– Ne doutez pas, mon enfant, que l’abbesse, jalouse de complaire à la marquise, ne saisisse le prétexte de cette offense pour vous plonger dans cet affreux cachot. Ainsi se trouveront accomplis les desseins de vos ennemis, sans qu’on vous oblige à prononcer des vœux. Hélas! je ne puis douter que demain ne soit le jour marqué pour ce sacrifice, qui n’a été retardé que par la fête d’aujourd’hui.

Elena ne répondit que par un profond soupir, en cachant son visage dans le sein de son amie. Elle n’hésitait plus, par une vaine délicatesse, à accepter les offres de Vivaldi; elle craignait seulement qu’il ne pût risquer pour elle que d’inutiles efforts. Sœur Olivia, qui ne se rendait pas bien compte des causes de son silence, lui fit observer que le temps pressait.

– Dites-moi, ajouta-t-elle, comment je puis vous venir en aide; car j’y suis décidée. Dussé-je m’exposer à une seconde punition.

Émue de cette générosité qu’elle essaya vainement de combattre, Elena finit par confier à sœur Olivia le projet d’entrevue concerté avec Vivaldi et la consulta sur les moyens de le rencontrer au parloir. Cette confidence ranima l’espoir de la religieuse; elle dit à Elena qu’il fallait non seulement qu’elle se trouvât dans le parloir à l’heure du souper, mais aussi qu’elle assistât au concert où seraient admis plusieurs étrangers, parmi lesquels Vivaldi saurait sans doute se glisser. Elena objecta que l’abbesse pouvait la reconnaître et la faire enfermer sur-le-champ; à cela sœur Olivia répondit en promettant de lui fournir un habit de religieuse.

– Dans la foule des sœurs qui rempliront l’appartement, le voile baissé, au milieu des soins et des plaisirs d’une fête, il est peu probable, dit-elle, que l’on vous distingue; et si la supérieure pense à vous, ce sera pour vous croire confinée dans votre cellule. Que l’espérance vous soutienne donc, mon enfant! Préparez un billet pour instruire Vivaldi de votre assentiment à ses projets et de la nécessité de ne pas perdre un instant pour les exécuter. Peut-être trouverez-vous une occasion pour le lui remettre au travers de la grille.

À ce moment, elles entendirent sonner la cloche qui avertissait les religieuses de se préparer au concert. Sœur Olivia alla chercher un habit et un voile pour Elena, tandis que celle-ci écrivait à Vivaldi le billet qui devait l’instruire de ses dispositions.

XI

Elena, bien cachée sous l’habit et le voile que sœur Olivia lui avait donnés, descendit dans la salle du concert et se mêla aux religieuses qui y étaient déjà rassemblées. À l’arrivée de l’abbesse, la crainte d’être reconnue s’empara d’elle et son trouble même faillit la trahir; mais la supérieure, après avoir causé quelques instants avec le père abbé et quelques étrangers de distinction, s’assit dans son fauteuil et le concert commença. Le coup d’œil ne manquait ni d’éclat ni de grandeur. Dans une belle salle voûtée, illuminée par un nombre infini de bougies, cinquante religieuses environ, dont l’uniforme avait autant de grâce que de simplicité, étaient groupées autour de la supérieure au maintien majestueux et sévère et contrastaient avec les têtes vénérables de l’abbé et de ses religieux, placés en dehors de la grille qui coupait la salle en deux parties. Près de l’abbé se tenaient plusieurs étrangers de distinction, vêtus de l’habit napolitain dont la coupe élégante et les couleurs brillantes se détachaient sur l’aspect sombre du costume monastique. Ce côté de la salle attirait toute l’attention d’Elena qui espérait y apercevoir Vivaldi; mais le concert finit sans qu’elle eût pu le découvrir. On passa dans l’appartement où la collation était préparée, et qui, comme la salle précédente, était divisé par une grille en parloirs intérieurs et extérieurs. L’un pour l’abbesse et ses religieuses; l’autre pour les révérends pères et les étrangers. Parmi ceux-ci, Elena remarqua un personnage caché sous son chapeau de pèlerin et qui semblait assister à la fête sans y prendre part. Elle crut reconnaître l’air et la démarche de Vivaldi; mais un reste d’incertitude lui fit attendre quelque nouveau trait de ressemblance. Tandis qu’elle fixait les yeux sur lui, l’étranger se découvrit; c’était en effet Vivaldi. Le cœur palpitant, et sûre d’être reconnue, elle s’avança vers la grille sans lever son voile. Vivaldi avait laissé sur le rebord un petit papier plié et, avant qu’elle pût elle-même lui remettre le sien, il s’était prudemment éloigné. Comme elle allait prendre ce papier, une religieuse qui s’était approchée le fit tomber à terre avec sa manche; et l’orpheline demeura immobile et pleine d’anxiété, s’attendant à chaque instant à voir la religieuse ramasser le billet et le porter à l’abbesse. Ses craintes se dissipèrent quand ladite religieuse poussa négligemment du pied le billet dans un coin; mais elles se renouvelèrent avec plus de force quand elle vit la sœur s’approcher de l’abbesse pour lui dire quelques mots à l’oreille. Elle ne douta pas que Vivaldi n’eût été reconnu, et que le papier n’eût été laissé par terre à dessein pour qu’elle fût tentée elle-même de se trahir en le ramassant. Tremblante et près de succomber à ses terreurs, elle observait la contenance de l’abbesse pendant qu’elle écoutait la religieuse, et elle crut lire sa destinée dans l’air sévère et les sourcils froncés de l’impérieuse femme. Elle voyait cependant s’écouler le temps qui devait servir à sa délivrance; mais chaque fois qu’elle osait regarder autour d’elle, elle se figurait que la supérieure et la religieuse suivaient tous ses mouvements et ne la perdaient pas de vue. Après une heure passée dans cette pénible situation, la collation prit fin. Pendant le mouvement général qui se fit alors, Elena se rapprocha de la grille et ramassa vivement le billet de Vivaldi. Elle le cacha dans sa manche et suivit de loin l’abbesse et les religieuses qui quittaient la salle. En passant à côté de sœur Olivia, elle lui fit un signe et se rendit à sa cellule. Arrivée là, elle ferma bien vite sa porte de l’intérieur et, seule enfin, déplia le papier; mais, dans son impatience, elle laissa échapper la lampe de ses mains et se trouva dans l’obscurité. Elle tomba dans un véritable désespoir. Aller chercher de la lumière, c’était se trahir, c’était compromettre sœur Olivia qui lui avait donné le moyen d’être libre, c’était s’exposer à être jetée en prison sur-le-champ. Attendre était affreux. Attendre quoi? Il ne lui restait d’espérance que dans la visite de sœur Olivia qui pouvait peut-être venir trop tard pour qu’il lui fût encore possible de suivre les instructions de Vivaldi. Et cependant elle tournait et retournait entre ses mains ce malheureux billet qui renfermait son sort, son avenir, sa vie, et dont elle ignorait le contenu! Horrible situation! Au milieu de ses angoisses, elle entend marcher; une lumière brille à travers la porte; on l’appelle tout bas, c’est sœur Olivia! La jeune fille ouvre, prend la lampe des mains de la religieuse et, pâle et tremblante, lit avec avidité le billet qui lui donnait rendez-vous à la grille du jardin des religieuses, où le frère Geronimo l’attendait et où Vivaldi viendrait la rejoindre pour la faire sortir de l’enceinte du couvent. Son amant ajoutait que des chevaux seraient prêts au bas de la montagne, pour la conduire où elle voudrait, et la conjurait de ne pas perdre un instant. Elena, désespérée, donna le papier à sœur Olivia en lui demandant conseil. Il s’était écoulé une heure et demie depuis le moment où Vivaldi écrit qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Dans cet intervalle, que de circonstances peut-être avaient rendu impraticable un projet d’évasion que le mouvement de la fête avait d’abord favorisé. La généreuse sœur Olivia partageait toutes les inquiétudes de son amie. Cependant, après une minute de réflexion, elle lui dit de reprendre courage.