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de

mètres

du

pied

de

l'escalier.

L'antichambre qui y menait était plongée dans l'obscurité. Je compris que Fumero pouvait être à quelques mètres à peine, en train de me guetter, sans que je puisse le voir. Je scrutai l'ombre, impénétrable comme l'eau d'un puits. Je respirai profondément et me forçai à traverser à l'aveuglette la distance qui me séparait du seuil de la bibliothèque.

604

Il régnait dans le grand salon ovale une clarté avare et embrumée, criblée de zones d'ombre projetées par la neige qui se répandait comme de la gélatine derrière les volets. Je parcourus du regard les murs nus, cherchant Fumero, posté peut-être à l'entrée. Un objet saillait du mur à moins de deux mètres de moi, sur ma droite. Un instant, il me sembla qu'il bougeait, mais c'était seulement le reflet de la lune sur la lame. Un couteau, peut être un poignard à double tranchant, était planté là. Il clouait un rectangle de carton ou de papier. Je m'approchai et reconnus l'image ainsi fixée. Une photo, copie de celle qu'un inconnu avait laissée à demi brûlée sur le comptoir de la librairie. Julián et Pénélope, à peine adolescents, y souriaient à une vie dont ils ne savaient pas encore qu'elle les avait abandonnés. La pointe du couteau traversait la poitrine de Julián. Je compris alors que ce n'était pas Laín Coubert, ou Julián Carax, qui avait déposé cette photo comme une invitation. C'était Fumero.

Il s'en était servi comme d'un appât empoisonné. Je levai la main pour détacher la lame, mais le contact glacé du revolver de Fumero sur ma nuque m'arrêta.

– Une image vaut mieux que mille paroles, Daniel. Si ton père n'avait pas été un libraire de merde, il te l'aurait appris depuis longtemps.

Je me retournai lentement et me trouvai face au canon de l'arme. Il sentait la poudre. Le visage cadavérique de Fumero souriait dans un rictus crispé et terrifiant.

– Où est Carax ?

– Loin d'ici. Il savait que vous viendriez. Il est parti.

Fumero m'observait, impassible.

– Je vais te faire exploser la tête, morveux.

605

L’ombre du vent

– Ça ne vous servira pas à grand-chose. Carax n'est pas là.

– Ouvre la bouche, ordonna Fumero.

– Pourquoi faire ?

– Ouvre la bouche ou je tire pour te l'ouvrir.

Je desserrai les lèvres. Fumero m'introduisit le canon du revolver dans la bouche. Je sentis une nausée monter dans ma gorge. Le pouce de Fumero manœuvra le percuteur.

– Et maintenant, minable, c'est le moment de savoir si tu as envie de vivre. Compris ?

Je fis un geste d'acquiescement.

– Alors dis-moi où est Carax.

Je tentai de balbutier. Fumero écarta le revolver de quelques centimètres.

– Où est-il ?

– En bas. Dans la crypte.

– Conduis-moi. Je veux que tu sois présent quand je décrirai à ce salaud les gémissements de Nuria Monfort pendant que je lui enfonçais mon couteau dans...

La forme jaillit du néant. Par-dessus l'épaule de Fumero, je crus voir des rideaux de brume s'écarter dans l'obscurité et une silhouette sans visage, au regard incandescent, glisser vers nous dans le silence total, semblant à peine frôler le sol.

Fumero en lut le reflet dans mes yeux brouillés de larmes et ses traits se décomposèrent.

Il eut juste le temps de se retourner et de tirer vers les ténèbres épaisses qui le cernaient, et déjà deux serres parcheminées, sans lignes ni relief, avaient pris sa gorge dans leur étau. C'étaient les mains de Julián Carax, façonnées par les flammes.

Carax m'écarta d'une poussée et écrasa Fumero contre le mur. L'inspecteur cramponna à son revolver et essaya de le pointer sous le menton de 606

Carax. Avant qu'il ait pu appuyer sur la détente, Carax lui attrapa le poignet et le cogna violemment contre le mur, à plusieurs reprises, sans parvenir, lui faire lâcher son arme. Un deuxième coup de éclata, et la balle alla s'enfoncer dans la paroi, en frisant un trou dans le panneau de bois. Des étincelles de poudre brûlante et des esquilles embrasées rejaillirent sur le visage de l'inspecteur.

Une odeur de chair brûlée envahit la pièce.

D'une secousse, Fumero tenta de se délivrer de ces serres dont l'une lui immobilisait le cou et l'autre plaquait au mur la main tenant le revolver.

Carax ne desserrait pas l'étau. Fumero rugit de rage, agita la tête en tous sens et parvint à mordre le poing de Carax. Une fureur animale le possédait.

J'entendis le craquement de ses dents déchiquetant la peau morte et vis ses lèvres écumantes de sang.

Carax, ignorant la douleur, peut-être incapable de la sentir, saisit alors le couteau. Il le détacha du mur d'un coup sec et, sous les yeux terrifiés de Fumero, il cloua le poignet droit de l'inspecteur sur le panneau de bois en enfonçant la lame presque jusqu'au manche. Fumero laissa échapper un hurlement d'agonie. Sa main s'ouvrit dans un spasme, et le revolver tomba à ses pieds. De la pointe du soulier, Carax l'envoya valser dans les ténèbres.

L'horreur de cette scène avait défilé devant mes yeux en quelques secondes à peine. Je me sentais paralysé, incapable d'agir ou d'articuler la moindre pensée. Carax se retourna vers moi et planta ses yeux dans les miens. En le regardant, je parvins à reconstituer ce visage perdu que j'avais si souvent imaginé en contemplant des photos et en écoutant de vieilles histoires.

607

L’ombre du vent

– Emmène Beatriz loin d'ici, Daniel. Elle sait ce que vous devez faire. Ne te sépare pas d'elle. Ne te la laisse enlever. Par rien ni par personne. Prends soin d'elle.

Je voulus acquiescer, mais mon regard se porta sur Fumero qui se démenait avec le couteau planté dans son poignet. Il l’arracha d'une secousse et s’écroula à genoux, en tenant son bras blessé qui saignait.

– Va-t'en, murmura Carax.

A terre, Fumero nous regardait, aveuglé par la haine, la lame sanglante dans sa main gauche.

Carax se dirigea vers lui. J'entendis des pas pressés et compris que Palacios, alerté par les coups de feu, accourait au secours de son chef. Avant que Carax ait pu arracher le couteau à Fumero, Palacios entra dans la bibliothèque en pointant son arme.

– Arrière ! prévint-il.

Il lança un rapide coup d'œil à Fumero qui se relevait avec effort, puis nous observa, moi d'abord, Carax ensuite. Je perçus de l’horreur et de l'hésitation dans ce regard.

– J'ai dit : arrière !

Carax s'arrêta et recula. Palacios continuait à nous observer froidement, en essayant de trouver une issue à la situation. Ses yeux se posèrent sur moi.