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Pavel Pavlovitch tressaillit; il pâlît, et un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres.

– Je n'y suis pas disposé le moins du monde, répondit-il nettement.

– Alors, c'est bien! dit le jeune homme en se laissant aller dans son fauteuil, et en croisant les jambes.

– Et puis voyons, je ne sais même pas à qui je parle, fit Pavel Pavlovitch. Je pense que cette conversation a assez duré.

Là-dessus, il trouva bon de s'asseoir à son tour.

– Je vous disais bien que vous vous fatigueriez, remarqua négligemment le jeune homme. J'ai eu l'avantage de vous dire, il n'y a qu'un instant, que je m'appelle Lobov, et que Nadéjda Fédoséievna et moi nous nous sommes engagé notre parole l'un à l'autre; par conséquent, vous ne pouvez prétendre, comme vous venez de le faire, que vous ne savez pas à qui vous avez affaire; vous ne pouvez pas davantage être d'avis que nous n'avons plus rien à nous dire. Il ne s'agit pas de moi; il s'agit de Nadéjda Fédoséievna que vous harcelez d'une manière impudente. Vous voyez bien qu'il y a là matière à explication.

Il dit tout cela entre ses dents, comme un jeune fat, en daignant à peine articuler ses mots; quand il eut fini de parler, il remit son lorgnon, et fit mine de regarder très attentivement quelque chose, n'importe quoi.

– Pardon, jeune homme… s'écria Pavel Pavlovitch, tout vibrant.

Mais le «jeune homme» l'arrêta court.

– En toute autre circonstance je vous aurais absolument défendu de m'appeler «jeune homme», mais dans le cas présent vous reconnaîtrez vous-même que ma jeunesse fait précisément, si l'on me compare à vous, ma principale supériorité; vous conviendrez qu'aujourd'hui, par exemple, quand vous avez offert votre bracelet, vous auriez donné beaucoup pour en avoir une miette de plus, de jeunesse!

– Oh le gredin! murmura Veltchaninov.

– En tout cas, monsieur, reprit Pavel Pavlovitch avec dignité, les motifs que vous invoquez, et que pour ma part je juge d'un goût douteux et parfaitement inconvenants, ne me paraissent pas de nature à justifier un entretien plus prolongé. Tout cela n'est que gaminerie et que niaiserie. Demain j'irai trouver Fédoséi Semenovitch; pour le moment, je vous prie de me laisser en paix.

– Mais voyez donc la dignité de cet homme! cria l'autre à Veltchaninov, perdant son beau sang-froid. On le chasse de là-bas, en lui tirant la langue. Vous croyez qu'il va se tenir pour satisfait? Ah bien oui! Il ira demain tout rapporter au père. N'est-ce pas la preuve, homme déloyal que vous êtes, que vous voulez obtenir la jeune fille de force, que vous prétendez l'acheter à des gens à qui l'âge a ôté l'esprit, et qui profitent de la barbarie sociale pour disposer d'elle à leur fantaisie?… Elle vous a pourtant témoigné suffisamment son mépris. Ne vous a-t-elle pas fait rendre aujourd'hui même votre stupide cadeau, votre bracelet?… Que vous faut-il de plus?

– Personne ne m'a rendu aucun bracelet… ce n'est pas possible, dit Pavel Pavlovitch en frissonnant.

– Comment, pas possible? Est-ce que M. Veltchaninov ne vous l'a pas rendu?

«Que le diable l'emporte!» songea Veltchaninov.

– En effet, dit-il tout haut, d'un air sombre, Nadéjda Fédoséievna m'a chargé aujourd'hui de vous rendre cet écrin, Pavel Pavlovitch. Je ne voulais pas m'en charger, mais elle a insisté… Le voici… Je suis bien fâché…

Il tira l'écrin de sa poche et le tendit d'un air embarrassé à Pavel Pavlovitch, qui restait stupéfait.

– Pourquoi ne l'avez-vous pas encore rendu? fit sévèrement le jeune homme, en se tournant vers Veltchaninov.

– Je n'en ai vraiment pas trouvé l'occasion, dit l'autre de mauvaise humeur.

– C'est étrange.

– Quoi?

– C'est au moins étrange, convenez-en… Enfin, je veux bien croire qu'il n'y a dans tout cela qu'un malentendu.

Veltchaninov eut une furieuse envie de se lever à l'instant même et d'aller tirer les oreilles au jouvenceau; mais il partit malgré lui d'un bruyant éclat de rire: le jeune homme se mit à rire aussitôt. Seul Pavel Pavlovitch ne riait pas; si Veltchaninov avait remarqué le regard qu'il lui jeta tandis qu'ils étaient là tous les deux à rire, il eût compris que cet homme se transformait à ce moment en une bête dangereuse… Veltchaninov ne vit pas ce regard, mais il comprit qu'il fallait venir au secours de Pavel Pavlovitch.

– Écoutez, monsieur Lobov, dit-il d'un ton amical, sans porter aucun jugement sur le reste de l'affaire, dont je ne veux pas me mêler, je vous ferai remarquer que Pavel Pavlovitch, en recherchant la main de Nadéjda Fédoséievna, a pour lui, en premier lieu, le consentement de cette honorable famille, en second lieu, une situation distinguée et considérable, et enfin, une belle fortune; que, par conséquent, il est en droit d'être surpris de la rivalité d'un homme tel que vous, d'un homme jeune au point que personne ne peut le prendre pour un rival sérieux… Et, par conséquent, il a raison de vous prier d'en finir.

– Qu'entendez-vous donc par mon extrême jeunesse? J'ai dix-neuf ans depuis un mois. J'ai depuis longtemps l'âge légal du mariage. Voilà tout.

– Mais enfin quel père se déciderait à vous donner aujourd'hui sa fille, quand bien même vous seriez destiné à être plus tard millionnaire, ou à devenir un bienfaiteur de l'humanité? Un homme de dix-neuf ans peut à peine répondre de lui-même, et vous voudriez, de gaieté de cœur, vous charger de l'avenir d'un autre être, de l'avenir d'une enfant aussi enfant que vous?… Voyons, songez-y, cela n'est même pas bien… Si je me permets de vous parler ainsi, c'est que vous-même tout à l'heure vous m'avez invoqué comme arbitre entre Pavel Pavlovitch et vous.

– Alors, c'est Pavel Pavlovitch qu'il s'appelle? fit le jeune homme. Pourquoi donc me figurais-je que c'était Vassili Petrovitch?… À vrai dire – et il se tourna vers Veltchaninov -, votre discours ne me surprend pas le moins du monde: je savais bien que vous êtes tous les mêmes! Il est pourtant curieux qu'on m'ait parlé de vous comme d'un homme un peu moderne… au reste, tout cela n'est que sottises. La vérité, la voici: bien loin que je me sois mal conduit dans toute cette affaire, comme vous vous êtes permis de le dire, c'est tout à fait le contraire, comme j'espère vous le faire comprendre. D'abord, nous nous sommes engagés notre parole l'un à l'autre; de plus, je lui ai formellement promis, en présence de deux témoins, que si elle venait à en aimer un autre, ou si elle se sentait portée à rompre avec moi, je me reconnaîtrais sans hésiter coupable d'adultère, pour lui fournir un motif de divorce. Ce n'est pas tout: comme il faut prévoir le cas où je me dédirais, et où je refuserais de lui fournir ce motif, le jour même du mariage, pour assurer son avenir, je lui remettrai une lettre de change de cent mille roubles, de manière que si je venais à lui tenir tête et à faillir à mes engagements, elle pourrait négocier ma traite, et moi, je risquerais la prison! Ainsi tout est prévu et l'avenir de personne n'est compromis. Voilà pour le premier point.

– Je gage que c'est Predposylov qui vous a suggéré cette combinaison, dit Veltchaninov.

– Ha! ha! ha! ricana sournoisement Pavel Pavlovitch.