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Et Chantelouve, le mari? -Durtal y songeait maintenant. Il devait surveiller sa femme dont les imprudences pouvaient faciliter ses pistes; puis, comment faisait-elle pour venir à neuf heures du soir, alors qu'il semblait plus aisé, sous prétexte de course au bon Marché ou de bain de se rendre chez un amant, dans l'après-midi ou le matin?

Cette nouvelle question demeurait sans réponse; mais peu à peu, il ne s'interrogea même plus, car l'obsession de cette femme le jeta dans un état semblable à celui qu'il avait éprouvé, lorsqu'il hennissait si furieusement après l'inconnue qu'il s'était imaginée, en lisant des lettres.

Celle-là s'était complètement évanouie, il ne se rappelait même plus sa physionomie; Mme Chantelouve, telle qu'elle était réellement, sans fusion, sans emprunt de traits, le tenait tout entier, lui chauffait à blanc la cervelle et les sens. Il se prit à la désirer follement, aspirant à ce lendemain promis. Et si elle ne venait pas?

Se dit-il. Il eut froid dans le dos à cette idée qu'elle ne pourrait s'échapper de chez elle ou qu'elle voudrait le faire poser, pour l'aiguiser davantage.

Il est grand temps que cela finisse, se dit-il, car cette chorée d'âme n'allait pas sans certaines déperditions de force qui l'inquiétaient. Il craignait, en effet, après l'agitation fébrile de ses nuits, de se révéler, le moment venu, comme un paladin bien triste!

Il s'agit de ne plus penser à cela, reprit-il, en allant chez Carhaix, où il devait dîner avec l'astrologue Gévingey et Des Hermies.

ça va me changer le cours de mes idées, murmurait-il, en montant à tâtons dans l'obscurité de la tour.

Des Hermies, qui l'entendait grimper, ouvrit la porte, jeta dans la nuit en spirale un pinceau de jour.

Durtal atteignit le palier, vit son ami, sans veston, en manche de chemise, le corps enveloppé d'un tablier.

– je suis, comme tu vois dans le feu de la composition! Et il guettait une marmite qui bouillonnait sur le fourneau, en consultant ainsi qu'un manomètre sa montre accrochée à un clou. Il avait le regard bref et sûr du mécanicien qui surveille sa machine.

– tiens, dit-il, en soulevant le couvercle, regarde. Durtal se pencha et, au travers d'un nuage de vapeur, il aperçut dans les petites vagues du pot, un torchon mouillé.

– c'est ça le gigot?

– oui, mon ami; il est cousu dans cette toile si étroitement que l'air n'y peut entrer. Il cuit dans ce joli court-bouillon qui chante et dans lequel j'ai jeté, avec une poignée de foin, des gousses d'ail, des ronds de carottes, des oignons, de la muscade, du laurier et du thym! Tu m'en diras des nouvelles, si… Gévingey ne se fait pas trop attendre, car le gigot à l'anglaise ne supporte pas d'être en charpie.

La femme de Carhaix survint.

– entrez donc, mon mari est là.

Durtal l'aperçut qui nettoyait ses livres. Ils se serrèrent la main; Durtal feuilleta, au hasard, les volumes époussetés sur la table.

– ce sont, demanda-t-il, des ouvrages techniques sur le métal et sur la fonte des cloches ou sur la partie liturgique qui les concerne?

– sur la fonte, non; il est parfois question dans ces bouquins, des anciens fondeurs, des saintiers, comme on les appelait dans le bon temps; vous y découvrirez, çà et là, quelques détails sur des alliages de cuivre rouge et d'étain fin; vous y constaterez même, je crois, que l'art du saintier est en déchéance depuis trois siècles; cela tient-il à ce qu'au moyen age surtout, les fidèles jetaient dans la fonte des bijoux et des métaux précieux et modifiaient ainsi l'alliage; ou bien est-ce parce que les fondeurs n'implorent plus Saint Antoine L'Ermite, alors que le bronze bout dans la fournaise? Je l'ignore; toujours est-il que les cloches maintenant sont créées à la grosse; elles ont des voix sans âme personnelle, des sons identiques; elles ne sont plus que des bonnes indifférentes et dociles, tandis qu'autrefois elles étaient un peu comme ces très antiques servantes qui faisaient partie de la famille dont elles éprouvaient les douleurs et les joies. Mais qu'est-ce que cela fait au clergé et aux ouailles? Ces auxiliaires dévouées du culte ne représentent actuellement aucun symbole!

Et tout est là, pourtant. Vous me demandiez, il y a quelques instants, si ces livres traitaient, au point de vue de la liturgie, des cloches; oui, la plupart expliquent, par le menu, le sens de chacune des parties qui les composent; les interprétations sont simples et peu variées, en somme.

– ah! Et quelles sont-elles?

– oh! Si cela vous intéresse, je vais vous le résumer en quelques mots.

D'après le rational de Guillaume Durand, la dureté du métal signifie la force du prédicateur; la percussion du battant contre les bords, exprime l'idée que ce prédicateur doit se frapper, lui-même, pour corriger ses propres vices, avant que de reprocher leurs péchés aux autres. Le mouton ou le bélier de bois auquel est suspendue la cloche représente par sa forme même la croix du Christ et la corde, qui servait autrefois à la tirer, allégorisait la science des ecritures qui découle du mystère de la croix même.

Les liturgistes plus anciens nous révèlent des symboles presque semblables. Jean Beleth, qui vivait en 1200, déclare aussi que la cloche est l'image du prédicateur, mais il ajoute que son va-et-vient, lorsqu'on la met en branle, enseigne que le prêtre doit, tour à tour, élever et abaisser son langage, afin de le mieux mettre à la portée des foules. Pour Hugues De Saint-victor, le battant est la langue de l'officiant qui heurte les deux bords du vase et annonce ainsi, à la fois, les vérités des deux testaments; enfin, si nous nous adressons au plus ancien peut-être des liturgistes, à Fortunat Amalaire, nous trouvons simplement que le corps de la cloche désigne la bouche du prédicateur et le marteau, sa langue.

– mais, fit Durtal un peu désappointé, ce n'est pas… comment dirai-je… très profond.

La porte s'ouvrit.

– comment va? Dit Carhaix, en serrant la main de Gévingey qu'il présenta à Durtal.

Tandis que la femme du sonneur achevait de mettre la table, Durtal examina le nouveau venu.

C'était un petit homme, coiffé d'un feutre noir et mou, enveloppé de même qu'un conducteur d'omnibus dans un caban à capuchon de drap bleu.

La tête était en oeuf, toute en hauteur. Le crâne ciré ainsi qu'au siccatif, paraissait avoir poussé au-dessus des cheveux qui pendaient dans le cou, durs et semblables aux filaments d'un coco sec; le nez était busqué, les narines s'ouvraient en de larges soutes sur une bouche édentée que cachait une épaisse moustache poivre et sel comme la barbiche qui allongeait un menton court; au premier abord, il suggérait l'idée d'un ouvrier d'art, d'un graveur sur bois ou d'un enlumineur d'images de sainteté ou de statues pieuses; mais, à le regarder plus longtemps, à observer ces yeux rapprochés du nez, ronds et gris, presque bigles, à scruter sa voix solennelle, ses manières obséquieuses, l'on se demandait de quelle sacristie toute spéciale sortait cet homme.

Il se déshabilla, apparut dans une redingote noire de charpentier en bois; une chaîne d'or à coulants, passée autour du cou, se perdait, en serpentant, dans la poche gonflée d'un vieux gilet; mais ce qui interloqua Durtal ce fut quand Gévingey exhiba ses mains qu'il mit complaisamment en évidence, dès qu'il se fut assis, sur ses deux genoux.

Elles étaient boudinées, énormes, tiquetées de points orange, terminées par des ongles laiteux et coupés ras; elles étaient couvertes d'énormes bagues dont les chatons tenaient toute une phalange.

Au regard de Durtal, qui fixait ces doigts, il sourit:

– vous examinez, monsieur, ces bijoux de prix. Ils sont formés par trois métaux, l'or, le platine et l'argent. Cette bague-ci porte un scorpion, le signe sous lequel je suis né; celle-là, avec ses deux triangles accouplés, l'un, la tête en haut et l'autre, la pointe en bas, reproduit l'image du macrocosme, du sceau de Salomon, du grand pantacle; quant à cette petite que vous voyez, poursuivit-il, en montrant une bague de femme enchassée d'un minime saphir entre deux roses, c'est un souvenir qui me fut offert par une personne dont je voulus bien tirer l'horoscope.