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– ah! Fit Durtal, un peu étonné par cette suffisance.

– le dîner est prêt, dit la femme du sonneur. Des Hermies, débarrassé de son tablier, pincé dans ses vêtements de cheviotte, moins pâle, coloré aux joues par le feu du fourneau, avança les chaises.

Carhaix servit le potage et chacun se tut, prenant sur le bord de l'assiette, des cuillerées moins chaudes; puis la femme apporta à Des Hermies, pour qu'il pût le découper, le fameux gigot.

Il était d'un rouge magnifique, coulait en de larges gouttes, sous la lame. Tout le monde s'extasia lorsqu'on eut goûté cette robuste viande qu'aromatisait une purée de navets fondus, qu'édulcorait une sauce blanche aux câpres.

Des Hermies s'inclina sous l'averse des compliments. Carhaix emplissait les verres et, un peu gêné par Gévingey, il le comblait d'attentions, pour lui faire oublier leur ancienne brouille.

Des Hermies l'aida et voulant être aussi utile à Durtal, il amena la conversation sur les horoscopes.

Alors Gévingey put officier. De son ton satisfait, il parla de ses immenses travaux, des six mois de calculs qu'exigeait un horoscope, de la surprise des gens lorsqu'il déclarait qu'une oeuvre pareille n'était pas payée par le prix qu'il en réclamait, par cinq cents francs. Je ne puis cependant donner ma science pour rien, conclut-il.

– mais, aujourd'hui l'on doute de l'astrologie qui fut révérée dans l'antiquité, reprit-il, après un silence. Au moyen age également, elle fut quasi sainte. Voyez, au reste, messieurs, le portail de Notre-dame de Paris; les trois portes que les archéologues qui ne sont point initiés à la symbolique chrétienne et occulte, désignent sous le nom de porte du jugement, de porte de la Vierge, de porte de Sainte-anne ou de Saint-marcel, représentent en réalité, la mystique, l'astrologie et l'alchimie, les trois grandes sciences du moyen age. Aujourd'hui on trouve des gens qui disent: êtes-vous bien sûr que les astres aient une influence sur la destinée de l'homme? -mais, messieurs, sans entrer ici dans des détails réservés aux adeptes, en quoi cette influence spirituelle est-elle plus étrange que l'influence corporelle que certaines planètes, telles que la lune, par exemple, exercent sur les organes de la femme et de l'homme?

Vous qui êtes médecin, Monsieur Des Hermies, vous n'ignorez pas qu'à la Jamaïque, les Drs Gillespin et Jakson, que dans les Indes Orientales, le Dr Balfour ont constaté l'influence des constellations sur la santé humaine. A chaque changement de lune, le nombre des malades augmente: les accès aigus de fièvre concordent avec les phases de notre satellite.

Enfin les lunatiques existent; assurez-vous dans les campagnes à quelles époques les fous divaguent! -mais à quoi cela sert-il de vouloir convaincre les incrédules? Ajouta-t-il, d'un air accablé, en contemplant ses bagues.

– il me semble pourtant que l'astrologie remonte sur l'eau, dit Durtal; il y a maintenant deux astrologues qui tirent des horoscopes, près des annonces des remèdes secrets, aux quatrièmes pages des journaux.

– quelle honte! Ceux-là ne savent même pas le premier mot de cette science; ce sont de simples farceurs, qui espèrent ainsi gagner des sous; à quoi bon en parler, puisqu'ils n'existent même pas!

Au reste, il faut bien le dire, il n'y a plus qu'en Amérique et en Angleterre où l'on sache établir le thème généthliaque et édifier un horoscope.

– j'ai bien peur, fit Des Hermies, que non seulement ces soi-disant astrologues, mais encore que tous les mages, que tous les théosophes, que tous les occultistes et kabbalistes de l'heure actuelle ne sachent absolument rien; -ceux que je connais sont, à n'en point douter, de parfaits ignares et d'incontestables imbéciles.

– et c'est la pure vérité, messieurs! Ces gens sont, pour la plupart, de vieux feuilletonnistes ratés ou des petits jeunes gens qui cherchent à exploiter le goût d'un public que le positivisme harasse! Ils démarquent Eliphas Lévi, pillent Fabre D'Olivet, écrivent des traités sans queue ni tête, qu'ils seraient bien incapables d'expliquer eux-mêmes. C'est une vraie pitié quand on y songe!

– d'autant qu'ils rendent ridicules des sciences qui, dans leur fatras, contiennent certainement des vérités omises, dit Durtal.

– puis ce qui est lamentable encore, fit Des Hermies, c'est qu'en plus des jobards et des sots, ces petites sectes abritent aussi d'horribles charlatans et d'affreux hâbleurs.

– Péladan, entre autres. Qui ne connaît ce mage de camelote, ce Bilboquet du Midi! S'écria Durtal.

– oh! Celui-là…

– en somme, voyez-vous messieurs, reprit Gévingey, tous ces gens sont incapables d'obtenir dans la pratique un effet quelconque; le seul dans ce siècle qui, sans être alors un saint ou un diabolique, ait pénétré dans le mystère, c'est William Crookes.

Et comme Durtal paraissait douter de la vérité des apparitions affirmées par cet Anglais et déclarait qu'aucune théorie ne les pouvait expliquer, Gévingey pérora:

– permettez, monsieur, nous avons le choix entre des doctrines diverses et, j'ose le dire, très nettes. -ou bien l'apparition est formée par le fluide dégagé du médium en transe et combiné avec le fluide des personnes présentes; -ou bien, il y a dans l'air des êtres immatériels, des élémentals comme on les nomme, qui se manifestent dans des conditions à peu près sues; -ou bien encore, et c'est là la théorie spirite pure, ces phénomènes sont dus aux âmes évoquées des morts.

– je le sais, dit Durtal, et cela me fait horreur.

Je sais aussi qu'il y a le dogme Hindou des migrations d'âmes qui errent après la mort. Ces âmes désincarnées vagabondent jusqu'à ce qu'elles se réincarnent et qu'elles parviennent, d'avatars en avatars, à une pureté complète. Eh bien, cela me paraît suffisant de vivre, une fois; j'aime mieux le néant, le trou, que toutes ces métamorphoses, ça me console plus! Quant à l'évocation des morts, la pensée seule que le charcutier du coin peut forcer l'âme d'Hugo, de Balzac, de Baudelaire, à converser avec lui, me mettrait hors de moi, si j'y croyais. Ah non, tout de même, si abject qu'il soit, le matérialisme est moins vil!

– le spiritisme, c'est, sous un autre nom, l'ancienne nécromancie condamnée, maudite par l'Eglise dit Carhaix.

Gévingey regarda ses bagues, puis il vida son verre.

– en tout cas, reprit-il, vous avouerez bien que ces théories sont soutenables, celle des élémentals surtout qui, satanisme mis à part, semble la plus véridique, la plus claire. L'espace est peuplé de microbes; est-il plus surprenant qu'il regorge aussi d'esprits et de larves? L'eau, le vinaigre, foisonnent d'animalcules, le microscope nous les montre; pourquoi l'air, inaccessible à la vue et aux instruments de l'homme, ne fourmillerait-il pas, comme les autres éléments, d'êtres plus ou moins corporels, d'embryons plus ou moins mûrs?

– c'est peut-être pour cela que les chats regardent tout à coup, avec curiosité dans le vide et suivent des yeux quelque chose qui passe et que nous ne pouvons voir, dit la femme de Carhaix.

– non, merci, dit Gévingey, à Des Hermies qui lui offrait de reprendre d'une salade de pissenlits aux oeufs.

– mes amis, fit le sonneur, vous n'oubliez qu'une doctrine-la seule-celle de l'église qui attribue à satan tous ces inexplicables phénomènes. Le catholicisme les connaît de longue date. Il n'a pas eu besoin d'attendre les premières manifestations des esprits qui se sont produites, en 1847, je crois, aux Etats-unis, dans la famille Fox, pour décréter que les esprits frappeurs relevaient du diable. Il y en a eu dans tous les temps. Vous en trouverez dans Saint Augustin la preuve, car il dut envoyer un prêtre pour faire cesser, dans le diocèse d'Hippone, des bruits, des bouleversements d'objets et de meubles analogues à ceux que signale le spiritisme.