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Au temps de Théodoric aussi, Saint Césaire débarrassa une maison hantée par des lémures.

Il n'y a, voyez-vous, que deux cités, celle de Dieu et celle du diable. Or, comme Dieu est en dehors de ces sales manigances, les occultistes, les spirites, satanisent plus ou moins, qu'ils le veuillent ou non!

– n'empêche, dit Gévingey, que le spiritisme a accompli une tâche immense. Il a violé le seuil de l'inconnu, brisé les portes du sanctuaire. Il a opéré dans l'extranaturel, une révolution semblable à celle qu'effectua, dans l'ordre terrestre, 1789 en France! Il a démocratisé l'évocation, il a ouvert toute une voie; seulement il a manqué de chefs initiés et il a remué au hasard, sans science, les bons et les mauvais esprits; il y a de tout désormais en lui, c'est le gâchis du mystère, si l'on peut dire!

– le plus triste de tout cela, fit Des Hermies, en riant, c'est que l'on ne voit rien. Je sais que des expériences ont réussi, mais celles auxquelles j'assiste font long feu et ratent.

– ce n'est pas surprenant, répondit l'astrologue, en étalant sur son pain de la gelée d'orange confite et sure, la première loi à observer dans la magie et dans le spiritisme, c'est d'éloigner les incrédules, car bien souvent leur fluide contrarie celui de la voyante ou du médium!

– alors comment s'assurer de la réalité des phénomènes? Se dit Durtal.

Carhaix se leva. -je suis à vous, je reviens dans dix minutes; et il endossa sa houppelande et son pas se perdit dans l'escalier de la tour.

– c'est vrai, il est huit heures moins le quart, murmura Durtal en consultant sa montre.

Il y eut un moment de silence dans la pièce. Au refus de tous de reprendre du dessert, Mme Carhaix enleva la nappe, étendit une toile cirée sur la table. L'astrologue faisait tourner autour de ses doigts ses bagues, Durtal pétrissait une boulette de mie de pain, Des Hermies, penché d'un côté, tirait de sa poche collée sur la hanche, sa blague japonaise et roulait des cigarettes.

Puis tandis que la femme du sonneur souhaitait bonne nuit aux convives et se retirait dans sa chambre, Des Hermies apporta la bouillotte et la cafetière.

– veux-tu que je t'aide? Proposa Durtal.

– oui, si tu veux chercher les petits verres et déboucher les bouteilles de liqueurs, tu me rendras service.

Tout en ouvrant l'armoire, Durtal vacilla, étourdi par les coups de cloches qui ébranlaient les murs et rebondissaient dans la pièce, en bôombant.

– s'il y a des esprits dans la chambre, ils doivent être singulièrement concassés, fit-il, en déposant sur la table les petits verres.

– la cloche dissipe les fantômes et chasse les démons, répondit doctoralement Gévingey qui bourra sa pipe.

– tiens, dit Des Hermies à Durtal, verse lentement l'eau chaude dans le filtre, car il faut que je bourre le poêle; la température baisse ici, j'ai les pieds gelés.

Carhaix revint, souffla sa lanterne.

– la cloche était en voix, ce soir, par ce temps sec; -et il se débarrassa de son passe-montagne et de son paletot.

– comment le trouves-tu? Questionna Des Hermies, s'adressant à voix basse à Durtal, et désignant l'astrologue perdu dans sa fumée de pipe.

– au repos, il a l'air d'un vieux hibou et quand il parle, il me fait songer à un pion disert et triste.

– un seul! Fit Des Hermies à Carhaix qui lui montrait au-dessus de son verre à café, un morceau de sucre.

– vous vous occupez, monsieur, paraît-il, d'une histoire de Gilles De Rais? Demanda Gévingey à Durtal.

– oui, je suis plongé pour l'instant avec cet homme dans les assassinats et les luxures du satanisme.

– ah mais! S'écria Des Hermies, nous allons même faire appel, à ce propos, à votre haute science.

Vous seul pouvez renseigner mon ami sur l'une des questions les plus obscures du diabolisme!

– laquelle?

– celle de l'incubat et du succubat.

Gévingey ne répondit pas tout d'abord.

– cela devient plus grave, fit-il enfin. Ici, nous abordons un sujet autrement redoutable que celui du spiritisme. Mais monsieur, est-il déjà au courant de cette question?

– dame! Il sait surtout que les avis diffèrent!

Del Rio, Bodin, par exemple, considèrent les incubes comme des démons masculins qui se couplent aux femmes et les succubes comme des démones qui font avec l'homme oeuvre de chair.

D'après leurs théories, l'incube, prend la semence que l'homme perd en songe et s'en sert. De sorte que deux questions se posent: la première, celle de savoir si un enfant peut naître de cette union; cette procréation a été jugée possible par les docteurs de l'église qui affirment même que les enfants issus de ce commerce sont plus pesants que les autres et qu'ils peuvent tarir trois nourrices sans engraisser; la seconde, celle de savoir quel est le père de cet enfant, du démon qui a copulé avec la mère ou de l'homme dont la semence fut prise. Ce à quoi, Saint Thomas répond, par des arguments plus ou moins subtils, que le vrai père est non l'incube mais l'homme.

– pour Sinistrari D'Ameno, observa Durtal, les incubes et les succubes ne sont pas précisément des démons, mais bien des esprits animaux, intermédiaires entre le démon et l'ange, des sortes de satyres, de faunes, tels qu'en révéra le paganisme; des espèces de farfadets et de lutins tels qu'en exorcisa le moyen age. Sinistrari ajoute qu'ils n'ont que faire de polluer l'homme endormi, attendu qu'ils possèdent des génitoires et sont doués de vertus prolifiques…

– oui, et il n'y a pas autre chose, dit Gévingey.

Goerres, si savant, si précis, dans sa mystique naturelle et diabolique, passe rapidement sur cette question, la néglige même, comme fait l'église, du reste, qui se tait, car elle n'aime pas à traiter ce sujet et elle voit d'un mauvais oeil le prêtre qui s'en occupe.

– pardon, dit Carhaix, toujours prêt à défendre l'église, elle n'a jamais hésité à se prononcer sur ces ordures. L'existence des succubes et des incubes est attestée par Saint Augustin, par Saint Thomas, par Saint Bonaventure, par Denys Le Chartreux, par le pape Innocent Viii, par combien d'autres!

Cette question est donc résolument tranchée et tout catholique est tenu d'y croire; elle figure aussi dans les vies de saints, si je ne me trompe; dans la légende de Saint Hippolyte, Jacques De Voragine raconte qu'un prêtre, tenté par un succube nu, lui jeta son étole à la tête et qu'il ne resta devant lui que le cadavre de quelque femme morte que le diable avait animé pour le séduire.

– oui, dit Gévingey, dont les yeux pétillèrent.

L'église reconnaît le succubat, j'en conviens; mais laissez-moi parler et vous verrez que mon observation a sa raison d'être!

– vous savez très bien, messieurs, reprit-il, s'adressant à Des Hermies et à Durtal, ce que les volumes enseignent; mais depuis cent ans, tout a changé et si les faits que je vais vous dévoiler sont parfaitement connus par la curie du pape, ils sont ignorés par bien des membres du clergé et vous ne les trouverez, dans tous les cas, consignés dans aucun livre.

A l'heure actuelle, ce sont moins souvent les démons que des morts évoqués qui remplissent l'imperdable rôle d'incube et de succube. Autrement dit, jadis, dans le cas du succubat, il y avait pour l'être vivant qui le subissait, possession. Par l'évocation des morts qui joint au côté démoniaque le côté charnel atroce du vampirisme, il n'y a plus possession dans le sens strict du mot, mais c'est bien pis.

Alors l'église n'a plus su que faire; ou il fallait garder le silence ou révéler que l'évocation des morts, déjà défendue par Moïse, était possible et cet aveu était dangereux, car il vulgarisait la connaissance d'actes plus faciles à produire maintenant qu'autrefois, depuis que, sans le savoir, le spiritisme a tracé la route!

Aussi l'Eglise s'est tue. -et Rome n'ignore point cependant l'effroyable développement qu'a pris de nos jours l'incubat dans les cloîtres!

– cela prouve que la continence est dans la solitude terrible à supporter, fit Des Hermies.