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– cela prouve surtout que les âmes sont faibles et ne savent plus prier, dit Carhaix.

– quoi qu'il en soit, pour vous édifier complètement, messieurs, sur cette matière, je dois diviser les êtres atteint d'incubat et de succubat en deux classes:

la première est composée de personnes qui se sont vouées, elles-mêmes et directement, à l'action démoniaque des esprits. Celles-là sont assez rares; elles meurent, toutes, par le suicide, ou par l'une des formes de la mort violente.

La seconde est composée de gens auxquels l'on a imposé, par voie de maléfice, la visite de ces esprits. Ceux-là sont très nombreux, surtout dans les couvents que les sociétés démoniaques assiègent. Ordinairement, ces victimes finissent par la folie. Les maisons d'aliénés en regorgent.

Les médecins, la plupart des prêtres même ne se doutent pas de la cause de leur démence, mais ces cas-là sont guérissables. Un thaumaturge que je connais a sauvé bien des maléficiés qui hurleraient, sans lui, sous le fouet des douches!

Il y a certaines fumigations, certaines exsufflations, certains commandements portés en amulettes et écrits sur une feuille de parchemin vierge et par trois fois béni, qui presque toujours finissent par délivrer le malade!

– une question, demanda Des Hermies, la femme reçoit-elle la visite de l'incube, pendant qu'elle dort ou pendant qu'elle veille?

– il faut établir une distinction. Si cette femme n'est pas maléficiée, si c'est elle qui a voulu s'accoler volontairement à un esprit de vice impur, elle est toujours éveillée lorsque l'acte charnel a lieu.

Si, au contraire, cette femme est victime d'un sortilège, le péché se commet, soit pendant qu'elle sommeille, soit lorsqu'elle est parfaitement éveillée, mais alors elle est dans un état cataleptique qui l'empêche de se défendre. Le plus puissant des exorcistes de ce temps, l'homme qui a le mieux approfondi cette matière, le docteur en théologie Johannès me disait avoir sauvé des religieuses qui étaient chevauchées sans arrêt, ni trêve, pendant deux, trois, pendant quatre jours, par des incubes!

– oui, je le connais, ce prêtre, dit Des Hermies.

– et l'acte se passe de la même façon que dans la réalité? Demanda Durtal.

– oui et non. -ici, l'immondice des détails m'arrête, dit Gévingey, qui devint un peu rouge; ce que je puis vous raconter est plus qu'étrange.

Sachez-le donc, l'organe de l'être incube se bifurque et, au même moment, pénètre dans les deux vases.

D'autres fois, il s'étend et pendant que l'une des branches agit par les voies licites, l'autre atteint en même temps le bas de la face… vous pouvez vous figurer, messieurs, combien la vie doit être abrégée par ces opérations qui se multiplient dans tous les sens!

– et vous êtes sûr que ces faits existent?

– absolument.

– mais enfin, voyons, vous avez des preuves?

Hasarda Durtal.

Gévingey se tut, puis: -le sujet est trop grave et j'en ai trop dit pour ne pas aller jusqu'au bout. Je ne suis ni halluciné, ni fou. Eh bien, messieurs, j'ai couché une fois, dans une chambre qu'habitait le plus redoutable maître que maintenant le satanisme possède…

– le chanoine Docre, jeta Des Hermies.

– oui, et je ne dormais pas; il faisait grand jour; je vous jure que le succube est venu, irritant et palpable, tenace. Heureusement que je me suis rappelé les formules de délivrance, ce qui n'empêche…

enfin, j'ai couru, le jour même, chez le Dr Johannès dont je vous ai parlé. Il m'a aussitôt et pour toujours, je l'espère, libéré du maléfice.

– si je ne craignais d'être indiscret, je vous demanderais comment était le succube dont vous repoussâtes l'attaque?

– mais, il était comme sont toutes les femmes nues, dit en hésitant l'astrologue.

Ce qui serait curieux, c'est qu'il eût réclamé son petit cadeau, ses petits gants, se dit Durtal, en pinçant les lèvres.

– et savez-vous ce qu'est devenu le terrible docre, fit Des Hermies?

– non, dieu merci; il doit être dans le Midi aux environs de Nîmes, où il résidait jadis.

– mais enfin que fait-il, cet abbé? Questionna Durtal.

– ce qu'il fait! Il évoque le diable, nourrit des souris blanches avec des hosties qu'il consacre; sa rage du sacrilège est telle qu'il s'est fait tatouer sous la plante des pieds l'image de la croix, afin de pouvoir toujours marcher sur le sauveur!

– eh bien, murmura Carhaix dont la moustache en broussaille se retroussa, tandis que ses gros yeux flambaient, eh bien, si cet abominable prêtre se trouvait ici, dans cette pièce, je vous jure que je respecterais ses pieds, mais que je lui ferais descendre l'escalier avec sa tête!

– et la messe noire? Reprit Des Hermies.

– il la célèbre avec des femmes et des gens ignobles; on l'accuse aussi ouvertement d'héritages captés d'inexplicables morts. Malheureusement, il n'y a pas de lois qui répriment le sacrilège, et comment poursuivre en justice un homme qui envoie des maladies à distance et tue lentement sans qu'à l'autopsie des traces de poisons paraissent?

– le Gilles De Rais moderne! Fit Durtal.

– oui, moins sauvage, moins franc, plus hypocritement cruel. Celui-là n'égorge pas; il se borne sans doute à expédier des sortilèges ou à suggérer le suicide aux gens; car il est, je crois, de première force à ce jeu de la suggestion, dit Des Hermies.

– pourrait-il insinuer à une victime de boire peu à peu un toxique qu'il lui désignerait et qui feindrait les phases d'une maladie? Demanda Durtal.

– mais évidemment; les enfonceurs de portes ouvertes que sont les médecins de l'heure actuelle, reconnaissent parfaitement la possibilité de pareils faits. Les expériences de Beaunis, de Liégeois, de Liébaut et de Bernheim sont concluantes; on peut même faire assassiner une personne que l'on désigne par une autre à laquelle on suggère, sans qu'elle s'en souvienne, la volonté du crime.

– je songe à une chose, moi, jeta Carhaix qui réfléchissait, sans écouter cette discussion sur l'hypnose. Je songe à l'inquisition; elle avait décidément sa raison d'être, car elle seule pourrait atteindre ce prêtre déchu qu'a balayé l'Eglise.

– d'autant, fit Des Hermies, avec son sourire en coin, qu'on a bien exagéré la férocité des inquisiteurs. Sans doute le bienveillant Bodin parle d'introduire entre les ongles et la chair des doigts des sorciers de longues pointes, ce qui constitue, dit-il, la plus excellente des géhennes; il prône également le supplice du feu qu'il qualifie de la mort exquise, mais c'est uniquement pour détourner les magiciens de leur vie détestable et sauver leur âme! Puis Del Rio déclare qu'il ne faut appliquer la question aux démoniaques après qu'ils ont mangé, de peur qu'ils ne vomissent. Il s'inquiétait de leurs estomacs, le brave homme. N'est-ce pas lui aussi qui décrète qu'il ne faut pas non plus réitérer la torture, deux fois en un même jour, afin de laisser à la peur et à la douleur le temps de se rasseoir… avouez qu'il était tout de même délicat, ce bon jésuite!

– Docre, reprit Gévingey, sans entendre les paroles de Des Hermies, est le seul individu qui ait retrouvé les anciens secrets et qui obtienne des résultats dans la pratique. Il est un peu plus fort, je vous prie de le croire, que tous les nigauds et les roublards dont nous avons causé.

Au reste, ils le connaissent, l'affreux chanoine, car il a envoyé à plusieurs d'entre eux de sérieuses ophtalmies que les oculistes ne peuvent guérir. Aussi tremblent-ils, lorsque l'on prononce devant eux le nom de Docre!

– mais enfin, comment un prêtre en vient-il là?

– je l'ignore. Si vous voulez avoir de plus amples renseignements sur lui, reprit Gévingey, en s'adressant à Des Hermies, questionnez votre ami Chantelouve.

– Chantelouve! S'écria Durtal.

– oui, lui et sa femme l'ont beaucoup fréquenté jadis; mais j'espère pour eux qu'ils ont depuis longtemps cessé tout commerce avec ce monstre.