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Andrew… Un murmure des plus délicats, une partie du rythme pénétrant.

Callista ? Ce n’était pas une question. Pas besoin de réponse. Comme si nous nous tenions enlacés – cela arrivera un jour – dans une obscurité vaste et ondoyante, bercés ainsi que deux jumeaux dans un même sein. Il était à présent bien en deçà du niveau de la pensée et n’éprouvait qu’une sorte de conscience imprécise. Un fragment détaché de son esprit se demanda si c’était cela, être « accordé à l’esprit d’un autre ». Il comprit, sans saisir la réponse comme une quantité distincte, qu’il était en rapport intime avec l’esprit de Callista. Momentanément, il devina aussi la présence d’Ellemir. Sans qu’il l’ait vraiment désiré, il perçut un éclair d’intimité légèrement déroutante. Il se sentit dévoilé, comme nu, dans l’obscurité vibrante, dans un abandon qui ressemblait au rythme frénétique de l’acte sexuel. Il était conscient des deux femmes. Cela semblait complètement naturel, sans surprise ni embarras, comme faisant partie de la réalité. Puis il passa à un nouveau stade de conscience et se rendit compte que son corps était là de nouveau, froid, baigné de sueur. À ce moment-là, il découvrit aussi la présence de Damon : un contact gênant, importun, car il interrompait son intimité avec Callista. Il ne désirait pas être si proche de Damon : ce n’était pas la même chose, cela le troublait. Pendant un instant, il résista et en eut le souffle coupé. Il lui semblait que le cœur qu’il tenait entre ses mains luttait et battait plus fort… Brusquement, il y eut un éclair et une fusion. Il vit le visage de Damon, et il avait l’impression terrifiante de se regarder dans un miroir. Il sentit alors un contact fulgurant, une étreinte, encore un éclair… Puis, subitement, sans transition, il fut à nouveau conscient de son corps, et Callista disparut.

Andrew s’était effondré sur sa chaise, toujours conscient de son état. Mais le pire du malaise était passé. Damon était agenouillé à côté de lui et l’observait avec inquiétude.

— Andrew, ça va ?

— Ça… ça va, souffla Andrew qui éprouvait un embarras tardif. Nom de Dieu, qu’est-ce que…

Ellemir – il réalisa soudain qu’elle lui tenait une main, et que Damon tenait l’autre – lui donna une petite pression des doigts.

— Je n’ai pas pu voir Callista. Mais elle était là, un instant. Andrew, je vous demande pardon d’avoir douté de vous.

Andrew était affreusement embarrassé. Il savait parfaitement qu’il n’avait pas bougé de sa chaise, qu’il n’avait touché que le bout des doigts d’Ellemir, que Damon ne l’avait pas même effleuré. Mais il sentait de façon précise qu’il s’était produit quelque chose de très profond, de presque sexuel, entre eux quatre.

— Tout ce que j’ai ressenti, c’était réel jusqu’à quel point ? demanda-t-il.

Damon haussa les épaules.

— Définissez vos termes. Qu’est-ce qui est réel ? Tout et rien. Oh, les images !…, dit-il, comprenant enfin l’embarras d’Andrew. C’est donc ça. Je vais essayer de vous l’expliquer. Quand le cerveau – ou l’esprit – éprouve une sensation telle qu’il n’en a jamais éprouvée auparavant, il se la représente sous forme d’expérience familière. J’ai perdu contact pendant quelques secondes… mais je suppose que vous avez éprouvé une émotion très forte.

— Oui, admit Andrew d’une voix presque inaudible.

— C’était une émotion inhabituelle, alors votre esprit l’a associée à une sensation familière, mais également forte, qui s’est trouvée être sexuelle. Moi, j’ai l’impression de marcher sur une corde raide sans tomber, puis je trouve un objet auquel m’accrocher, pour me donner confiance. Mais…

Il sourit alors.

— … beaucoup de gens l’associent au sexe, alors il n’y a pas lieu de s’inquiéter. J’en ai l’habitude, ainsi que toute personne ayant eu à se mettre en rapport direct avec d’autres. Chacun a ses images propres, que vous apprendrez vite à reconnaître, tout comme vous reconnaîtrez leurs voix.

— Moi, j’entendais des voix à des hauteurs différentes, murmura Ellemir. Puis elles se sont regroupées en harmonie et se sont mises à chanter comme un chœur immense.

Damon se pencha vers elle et effleura des lèvres la joue d’Ellemir.

— C’était donc ça, la musique que j’entendais ? dit-il avec tendresse.

Andrew réalisa que lui aussi, quelque part dans son esprit, avait entendu un concert de voix. Les images musicales, pensa-t-il ironiquement, étaient certainement moins dangereuses et révélatrices que les images sexuelles. Il jeta un coup d’œil timide à Ellemir tout en sondant ses propres sentiments, et s’aperçut qu’il pensait à deux niveaux à la fois. D’une part, il se sentait proche d’Ellemir, comme s’ils étaient amants depuis longtemps ; une bienveillance complète, un sentiment de sympathie et de protection. D’autre part, plus clairement encore, il se rendait parfaitement compte qu’elle lui était absolument étrangère, qu’il n’avait jamais touché que le bout de ses doigts, et qu’il n’avait aucune intention d’en faire plus. Et cela le remplissait de confusion.

Comment puis-je ressentir cette acceptation presque sexuelle, et en même temps n’éprouver aucun désir pour elle ? Damon a peut-être raison : je me représente des sensations étranges en termes familiers. Parce que j’éprouve la même intimité et la même acceptation envers Damon, et ça, c’est vraiment déroutant et gênant. Le désarroi d’Andrew lui donnait mal à la tête.

— Moi non plus, je n’ai pas vu Callista, dit Damon.

Et je ne me suis pas vraiment senti en contact avec elle, mais j’ai senti qu’Andrew l’était.

Il poussa un soupir d’épuisement, mais son visage était paisible. Il savait cependant que ce n’était qu’un court intermède. Pour le moment, Callista était saine et sauve. Si on lui faisait du mal, Andrew le saurait. Mais combien de temps cela durerait-il ? Si les ravisseurs avaient le moindre soupçon que Callista avait contacté quelqu’un qui pût lui amener de l’aide, eh bien, il y avait un moyen évident de l’arrêter. Andrew ne pourrait plus l’atteindre si elle était morte. Et c’était tellement simple, tellement flagrant, que la gorge de Damon se serra sous l’effet de la panique. Si les hommes-chats suspectaient qu’on vînt à l’aide de Callista, celle-ci pourrait ne pas vivre assez longtemps pour être sauvée.

Pourquoi l’avaient-ils gardée en vie si longtemps ? Encore une fois, Damon dut se rappeler qu’il ne devait pas juger les hommes-chats d’après les critères humains. Nous ne savons vraiment pas quelles sont leurs motivations.

Il se leva en vacillant. Il savait à quel point le travail télépathique était astreignant, et qu’ils avaient tous besoin de nourriture, de sommeil et de calme. La nuit était déjà très avancée. L’urgence de la situation le tourmentait. Il se retint de s’effondrer, regarda Ellemir et Andrew. Maintenant que les choses se sont remises à avancer, se dit-il, nous devons être prêts à avancer avec elles. Puisque je dois agir en tant que leur gardien, c’est ma responsabilité de les empêcher de paniquer. Je dois veiller sur eux.