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— Donne-moi l’adresse des François, ai-je dit à ma mère.

Nous avons mis l’adresse dans le GPS de mon téléphone et nous avons suivi les flèches. Nous avions l’impression que quelque chose se déroulait presque malgré nous, dans un village faussement calme.

Après avoir garé la voiture, nous avons sonné à l’adresse indiquée. Une dame aux cheveux courts s’est approchée du portail. Elle portait une surblouse bleue à motifs géométriques.

— Bonjour, Madame François ?

— Oui c’est moi, a-t-elle répondu un peu surprise.

— Excusez-moi de vous déranger, mais nous cherchons des souvenirs sur notre famille. Ils vivaient dans ce village pendant la guerre. Vous les avez peut-être connus. Ils s’appelaient Rabinovitch.

Le visage de la dame s’est figé à travers le portail. Son œil était vif.

— Mais qu’est-ce que vous voulez exactement ?

Elle n’était pas méfiante, elle semblait avoir plutôt peur de quelque chose qui n’avait rien à voir avec nous.

— Savoir si vous vous souvenez d’eux, si vous pouvez nous raconter des choses sur eux…

— C’est pour quoi faire ?

— Nous sommes leurs descendantes et comme nous ne les avons pas connus, nous aimerions simplement quelques anecdotes, vous comprenez…

La femme s’est éloignée de la porte. J’ai senti que nous ne nous y prenions pas de la bonne manière avec elle.

— Nous tombons un peu mal, je suis désolée, lui ai-je dit. Laissez-nous vos coordonnées et peut-être on peut se revoir un autre jour, un peu plus tard.

Madame François semblait soulagée par ma proposition.

— Très bien, dit-elle, comme ça je réfléchis…

— Tenez, écrivez sur la page de ce carnet, dis-je en fouillant dans mon sac. Comme ça quand vous en avez envie… Cela ne vous embête pas de mettre votre nom et votre numéro de téléphone ?

Cela semblait l’embêter, mais comme elle avait envie de se débarrasser de nous au plus vite, elle nota son nom de famille et son adresse ainsi que son numéro de téléphone sur notre carnet.

Un vieux monsieur, son mari de toute évidence, est arrivé dans le jardin. On le sentait très inquiet de voir sa femme discuter à la porte avec deux inconnues. Il portait sa serviette de table autour du cou.

— Hey, oh, qu’est-ce qui se passe Myriam ? a-t-il demandé à sa femme.

Lélia m’a regardée. Mon cœur s’est figé. La femme a vu l’interrogation dans nos yeux.

— Vous vous prénommez Myriam ? a demandé ma mère, interloquée.

Mais au lieu de nous répondre, la femme s’est adressée à son mari.

— Ce sont des descendantes de la famille Rabinovitch. Elles veulent savoir des choses.

— Nous sommes en train de manger, c’est pas le moment.

— On se rappelle, a-t-elle dit.

Elle semblait terrorisée par son mari qui voulait reprendre le cours de son déjeuner.

— Écoutez madame, nous comprenons bien qu’il est très impoli de vous importuner à l’heure du déjeuner, mais imaginez… c’est un peu émouvant pour nous, de rencontrer une Myriam, dans le village des Forges…

— J’arrive… a-t-elle dit à son mari, prends les pommes de terre dans le four avant qu’elles brûlent et j’arrive.

Le mari rentra immédiatement dans la maison. La femme alors s’est mise à nous parler vite, d’une seule traite. On ne voyait que sa bouche. Et son œil qui brillait à travers le portail.

— Ma mère travaillait chez eux. C’était une belle famille vous savez, ça je peux vous le dire, croyez-moi ils traitaient ma mère comme aucun autre employeur ne l’a jamais traitée, elle me l’a dit, toute sa vie. C’étaient des gens qui faisaient de la musique, la dame surtout, et ma maman a décidé de m’appeler Myriam à cause d’eux, enfin pas à cause, vous voyez ce que je veux dire. Elle m’a appelée Myriam parce que j’étais sa fille aînée et que leur fille aînée s’appelait Myriam. Voilà, c’est comme ça que ça s’est fait. Maintenant j’y vais parce que mon mari va s’énerver.

Son récit terminé elle est partie sans nous dire au revoir. Nous étions, ma mère et moi, silencieuses. Figées.

— Allons acheter à manger, j’ai vu qu’il y avait une boulangerie après la mairie, ai-je dit à Lélia, j’ai la tête qui tourne.

— D’accord, a répondu ma mère.

En mangeant nos sandwichs dans la voiture, nous étions abasourdies par ce qui venait de se passer. On mastiquait en silence, le regard vide.

— On récapitule, ai-je dit en prenant mon carnet. Au numéro 9, les nouveaux propriétaires, eux, n’ont rien à voir avec l’histoire. Au numéro 7, il n’y avait personne.

— Il faudra retenter après le déjeuner.

— Au numéro 3, il n’y avait personne non plus.

— Ensuite, il y avait la dame du numéro 1, celle des fraises.

— Tu crois que c’est elle qui a pu envoyer la carte postale ?

— Tout est possible. On va pouvoir comparer son écriture avec la carte postale.

— Faut envisager aussi le mari.

— Tu crois qu’ils auraient fait ça en couple ? Jésus disait que ce n’était peut-être pas la même personne qui avait écrit à droite et à gauche… ce serait crédible…

J’ai pris le carnet où le monsieur avait noté son adresse.

— Je les enverrai à Jésus, qu’il nous dise ce qu’il en pense. J’ai aussi l’écriture de la Myriam.

— Très bizarre tout ça…

Soudain on a entendu le téléphone de Lélia sonner, au fond de son sac à main.

— Numéro masqué, a-t-elle dit avec inquiétude.

J’ai pris le téléphone pour décrocher.

— Allô. Allô ?

On entendait simplement le bruit léger d’une respiration. Puis la personne a raccroché. J’ai regardé Lélia, un peu surprise, et le téléphone a sonné de nouveau. J’ai mis sur haut-parleur.

— Allô ? Je vous écoute. Allô ?

— Allez chez monsieur Fauchère, vous trouverez le piano, a dit une voix avant de raccrocher.

Ma mère et moi nous sommes regardées, les yeux écarquillés.

— Cela te dit quelque chose, monsieur Fauchère ? ai-je demandé à Lélia.

— Bien sûr que ça me dit quelque chose. Relis la lettre du maire des Forges.

J’ai attrapé la pochette avec la lettre :

Monsieur le Directeur,

J’ai l’honneur de vous informer qu’après l’arrestation du ménage Rabinovitch (…) Les deux porcs qui restaient sont actuellement gardés par Monsieur Fauchère Jean, avec le grain que nous avons trouvé.

— On aurait dû y penser. On en a parlé dans la voiture tout à l’heure.

— Regarde dans les pages blanches, on va peut-être trouver son adresse, à ce Fauchère. Il faut absolument qu’on aille le voir.

J’ai regardé dans le rétroviseur, j’ai eu l’impression vague que quelqu’un était en train de nous observer. Ensuite je suis sortie de la voiture pour faire quelques pas et respirer. Une voiture a démarré derrière moi. J’ai cherché sur le site des pages blanches, mais aucune trace de Jean Fauchère. En revanche, à Fauchère tout court, sans prénom, une adresse est apparue sur mon portable.

— Que se passe-t-il ? a demandé ma mère en voyant ma tête.

— Monsieur Fauchère, 11, rue du Petit Chemin. C’est là d’où l’on vient.

Lélia a démarré le moteur, nous avons repris exactement les mêmes routes. Nos deux cœurs battaient fort, comme si nous nous précipitions volontairement vers un très grand danger.

— Si on dit qu’on est la famille Rabinovitch, ils ne vont jamais nous laisser entrer.

— Il faut qu’on invente quelque chose. Mais quoi ? Tu as une idée ?