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— Je suis sûre que cela peut m’aider, pour mon enquête. J’en ai besoin.

— Tu veux que je te dise ? Je ne pense pas que tu vas trouver qui a envoyé la carte postale.

— Moi je suis sûre que si.

— Pourquoi tu fais tout ça ? À quoi cela te sert ?

— Je n’en sais rien, maman, c’est une force qui me pousse. Comme si quelqu’un me demandait d’aller jusqu’au bout.

— Eh bien moi j’en ai ras le bol de répondre à tes questions ! C’est mon passé ! Mon enfance ! Mes parents ! Tout cela n’a rien à voir avec toi. Et j’aimerais que tu passes à autre chose maintenant.

Chapitre 32

Mon Anne,

Je suis tellement désolée pour tout à l’heure. Mettons tout cela derrière nous.

Je ne me suis pas réconciliée avec ma mère. C’était sans doute impossible. Mais nous aurions pu faire un bout de chemin ensemble si elle avait accepté de me dire pourquoi elle m’avait abandonnée, plusieurs années. Qu’elle n’avait pas pu faire autrement.

Je pense qu’elle s’est tue à cause d’une mauvaise conscience, d’être, elle, vivante. Et de ses longues absences où j’étais ballottée.

Si elle m’avait expliqué pourquoi, j’aurais compris. Mais il m’a fallu le comprendre par moi-même, et à ce moment-là c’était trop tard, elle n’était plus.

Tout cela pose des questions essentielles… et moi-même je m’y perds, car j’ai l’impression d’une sorte de trahison vis-à-vis de ma mère.

Maman,

Myriam pensait que la guerre n’appartenait qu’à elle.

Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait t’en livrer le récit. Alors évidemment, en m’aidant dans mes recherches, tu te sens la trahir.

Myriam t’impose son silence, au-delà de sa disparition.

Mais maman, n’oublie pas que ses silences t’ont fait souffrir. Et pas seulement ses silences : la sensation qu’elle te mettait en dehors d’une histoire qui ne te concernait pas.

Je comprends que tu puisses être très bouleversée par mes recherches. Surtout en ce qui concerne ton père, la vie sur le plateau, l’arrivée d’Yves dans le couple de tes parents.

Mais maman, ce récit est aussi le mien. Et parfois, à la façon d’une Myriam, tu me regardes comme si j’étais une étrangère dans le pays de ton histoire. Tu es née dans un monde de silence, il est normal que tes enfants aient soif de paroles.

Anne,

Appelle-moi quand tu auras lu ce mail et je répondrai à ta question d’hier. Celle qui m’a fâchée.

Je te dirai, très précisément, non pas quand est-ce que le trio s’est reformé – cela je ne le sais pas –, mais quand Myriam, Yves et mon père se sont vus tous les trois, pour la dernière fois.

Chapitre 33

— C’était pendant les vacances de la Toussaint, en novembre 1947. À Authon, un petit village dans le sud de la France. Comment je le sais ? Alors voilà, c’est bien simple. Je possède une seule et unique photo de moi avec mon père. C’est une photo que j’ai tellement regardée que je la connais par cœur. Mais elle n’avait pas de légende. Si bien que je ne savais ni où elle avait été prise, ni en quelle année. Bien évidemment, cela n’était pas la peine de poser des questions à ma mère… Et puis un jour, je suis à Céreste, chez une cousine Sidoine – c’était à la fin des années 90 –, on parle… de tout… de rien… et la cousine me dit : « Tiens, au fait, j’ai retrouvé par hasard une très jolie photo de toi et d’Yves. Tu es sur ses genoux. Je vais te la montrer. » Elle ouvre un tiroir, sort une photographie. Et là, j’ai une drôle de surprise. Sur cette image, je suis au même endroit, habillée et coiffée exactement de la même façon, que sur la photographie avec mon père. Les deux photographies ne pouvaient avoir été prises que le même jour, et je dirais même sur la même pellicule. J’ai retourné la photographie, en essayant de cacher mon trouble, et là, j’ai vu qu’il y avait une légende cette-fois ci : « Yves et Lélia, Authon, novembre 1947. »

— Cette date… cela a dû te perturber.

— Évidemment. Mon père s’est suicidé le 14 décembre 1947.

— Tu crois que c’est lié ?

— On ne le saura jamais.

— Je ne me souviens plus de quoi est mort ton père, exactement. Je me rends compte que tout cela n’est pas très clair dans ma tête.

— Je te donne le compte rendu du médecin légiste aux archives de la Préfecture de police de Paris. Je te laisse les papiers. Tu te feras ta propre idée.

Chapitre 34

Vicente avait découvert une amphétamine plus récente que la Benzédrine, plus récréative aussi, appelée Maxiton. Du bonbon. Un excellent stimulant du système nerveux, mais sans les tremblements et sans les vertiges, sans la fatigue derrière les yeux. Le Maxiton offrait à Vicente des états de grâce, où la vie lui semblait soudain très simple à vivre.

Les amphétamines sont connues pour couper les élans vitaux mais cette fois-là, ce fut le contraire et Lélia avait été conçue dans l’euphorie d’une nuit sans fin. C’est précisément ce qui passionnait Vicente dans les drogues. La surprise. Les réactions inattendues. Les expériences chimiques entre un corps vivant et des substances tout aussi vivantes, l’infinité des états qui en résultent, suivant l’heure et le jour, le contexte et les doses, la température ambiante et la nourriture ingurgitée. Il pouvait en parler pendant des heures entières, avec une précision de chimiste. Dans ce domaine, Vicente était un érudit, connaissant des pans entiers de la chimie, de la botanique, de l’anatomie et de la psychologie – il aurait pu passer haut la main les examens les plus difficiles, s’il existait un concours en toxicologie.

Vicente sentait qu’il mourrait jeune, qu’il n’en avait pas pour longtemps, à supporter cette vie-là. Ses parents lui avaient donné à la naissance un prénom qu’il n’aimait pas, Lorenzo. Alors Lorenzo s’était rebaptisé Vicente et il avait choisi le prénom d’un oncle mort prématurément, d’un accident mortel dans une usine. Ayant respiré des vapeurs d’un produit corrosif qui perfora ses poumons, cet oncle mourut dans les souffrances indicibles d’une hémorragie interne. Il était papa d’une petite fille de 3 ans. Vicente se suicida à quelques jours de l’anniversaire de Lélia, qui allait avoir cet âge-là.

— Vicente a fait une overdose sur le trottoir, en bas de chez sa mère. C’est la concierge qui l’a retrouvé.

— Donc elle a appelé la police…

— Exactement. Et la police a consigné l’événement dans un cahier, que j’ai retrouvé. C’est un vieux cahier au papier jauni, avec des lignes horizontales. Les pages sont constituées de cinq colonnes à remplir. « Numéros, Dates et Direction, États civils, Résumé de l’affaire. » Sur la page qui concerne mon père, il est essentiellement question de vols. Au milieu, il y a sa mort. Toutes les affaires sont écrites avec la même plume, à l’encre noire. Sauf celle qui concerne Vicente. Pourquoi ? Le policier a utilisé une encre bleu ciel, très claire, presque effacée avec le temps. Il a écrit : « Enquête au sujet du décès du sieur Picabia Laurent Vincent. » Étrange formulation. Il a francisé les noms, Lorenzo est devenu Laurent et Vicente est devenu Vincent.