Выбрать главу

— Je ne vois là aucune raison pour que Théobald nous fasse ses adieux !

Celui-ci jugea utile d’intervenir :

— Si… avec la permission de Madame la marquise, parce que je vais porter là-bas tout ce que Monsieur m’a demandé mais je vais aussi lui rendre mon tablier. J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire : je ne servirai pas cette… dame ! Ma mission remplie, j’irai retrouver mon frère Romuald dans son jardin d’Argenteuil ! J’ai trop souffert du temps de Mme la princesse Obolensky ! Je préfère m’en aller !

— Je vous proposerais volontiers de venir chez nous, dit Mme de Sommières, mais, dans l’état actuel des choses, vous auriez l’air de trahir votre patron. En outre, je pense que cette histoire ne durera pas plus que les précédentes. Aussi je vous propose de ne pas couper les ponts avec qui que ce soit ! Ou je me trompe fort, ou vous n’en avez pas fini avec notre égyptologue ! Et je vous en prie, suivez-le, ne serait-ce que pour nous tenir au courant !

Théobald parti, un peu réconforté, les deux femmes gardèrent le silence un moment. Ni l’une ni l’autre n’aimaient la tournure que prenaient les événements mais aucune ne voulait en convenir. Finalement, la marquise soupira :

— Vous, je ne sais pas, mais moi je boirais bien encore un peu de champagne !

— Ne pensons-nous pas qu’il vaudrait mieux prier ?

— L’un n’empêche pas l’autre ! Demain, vous ferez dire une neuvaine de messes !

— À qui ?

— Comment « à qui » ? Je ne sais pas, moi ! C’est vous, la spécialiste. Personnellement, j’opterais pour saint Michel ! D’abord c’est un archange, ensuite les milices célestes, l’épée flamboyante me paraissent tout à fait adéquates ! Sinon, vous penseriez à qui ?

— Je redoute d’être obligée d’appeler au secours sainte Rita !

— Je n’ai pas l’honneur de la connaître !

— Sainte Rita de Cascia, la patronne des causes désespérées !

— On n’en est tout de même pas là ! Du moins je l’espère ? Tenons-nous-en à l’Archange ! Et vous pourriez lui promettre, dans la foulée, un pèlerinage ! Le sublime Mont au Péril de la Mer m’a toujours profondément fascinée et émue…

Cela, Plan-Crépin voulait bien le croire, en dépit de la foi assez tiède de sa cousine et patronne. Peut-être à cause de la larme, vite essuyée d’un doigt nerveux, qui avait brillé un instant au coin d’un œil toujours aussi vert…

En attendant, elle alla chercher le champagne.

Pendant ce temps, dans la bibliothèque, Langlois achevait de confesser Aldo sans mettre sa parole en doute un seul instant. Il connaissait trop les hommes et surtout celui-là qui semblait attirer les femmes – et pas les plus laides ! – comme le miel attire les mouches pour qu’il en soit autrement. À plusieurs reprises déjà, Morosini avait manqué laisser sa vie au cours de leurs relations houleuses et, une fois, l’harmonie de son couple. Naturellement il connaissait moins son épouse, mais suffisamment pour deviner que cette superbe fille rousse aux yeux de velours violet ne supporterait pas le scandale public qui était à deux doigts d’éclater.

Après le papier fracassant de L’Intran, d’autres publications de moindre importance avaient fait paraître des « échos » sur le mode plaisant, mais d’autant plus venimeux, dans le genre : « Enlèvement ou escapade amoureuse ? » qui, s’ils parvenaient jusqu’à Lisa, ne manqueraient pas de soulever sa colère et la pousser à rejeter définitivement son mari.

Jusqu’à présent, le mal était à peu près jugulé. Il avait suffi au policier – chose qu’il n’aurait concédée à personne d’autre ! – de faire circuler, aux rédacteurs desdites publications, l’ordre – avec toute la courtoisie voulue ! – de mettre en « attente » temporairement, et dans l’intérêt d’une enquête plus dangereuse qu’il n’y paraissait, « leur petit jeu ». En promettant de les tenir au courant des résultats quand on en aurait. Et ça avait marché parce que sa réputation de grand chef n’était plus à démontrer et que tous savaient que se le mettre à dos pouvait coûter très cher.

Aldo ne lui avait rien caché de ce qu’avaient été ses relations avec Pauline Belmont, gêné d’ailleurs de devoir lui laisser la responsabilité de leur dernière rencontre dans le train.

— Sans doute l’ai-je appelée inconsciemment puisque, plantant là mon client et sa Chimère, c’était en fait elle que je fuyais. J’aurais dû…

— Oubliez vos scrupules de gentilhomme ! Moi, ce que j’ai besoin de connaître, c’est la seule vérité. Vous ne l’avez pas enlevée et vous m’avez fourni tous les éclaircissements qu’il me fallait. Je vais la faire rechercher. Une femme d’une telle beauté, d’une telle élégance ne laisse pas indifférent ! Je ferai aussi vérifier votre passage au Continental de Milan. Mais je crains qu’en fait d’escapade amoureuse il ne s’agisse bel et bien d’une affaire criminelle et que, si Mrs Belmont n’a pas été escamotée par vous, c’est par quelqu’un qui ne lui veut aucun bien…

— Vous la croyez en danger ?

— Je le craignais plus ou moins mais à présent j’en suis persuadé. Qu’allez-vous faire, vous-même ?

— Vous laisser travailler… et retourner chez moi en espérant que ma femme ignorera toujours tout de cette aventure !

— Si cela arrivait, envoyez-la-moi ! Je saurais quoi lui dire !

— Merci. Je commence à croire que vous êtes vraiment un ami !

— Vous ne vous en étiez pas encore rendu compte ? En tout cas, bon voyage ! Et… que cela vous serve de leçon ! Bon… maintenant, je vais de ce pas saluer ces dames et prendre congé…

— Pas sans avoir bu un verre de champagne ! Tante Amélie prône ses vertus pour les baisses de moral !

Le champagne était bel et bien au rendez-vous, mais de toute évidence, la sérénité, elle, n’y était pas. Mme de Sommières, visiblement soucieuse, s’efforçait de calmer une Plan-Crépin furibarde chez qui la colère avait au moins l’avantage de sécher des larmes avant qu’elles ne sourdent…

— Quel imbécile ! Non, mais quel imbécile ! répétait-elle en arpentant le tapis, les bras croisés.

Trop content d’avoir une belle occasion de piquer une rogne, Aldo rejoignit son camp. Depuis les péripéties d’Assouan, il savait qu’elle s’était découverte amoureuse d’Adalbert. Langlois, lui, se rangeait aux côtés de Tante Amélie.

— Cette histoire ne me plaît pas, lui confia-t-elle. Les coups de cœur de notre savant lui valent en général plus de déboires que de satisfactions. Et puis, je vous avoue que je n’aime pas cette Torelli ! Elle est sublime, j’en conviens, et les anges ne doivent pas chanter mieux, mais il y a en elle quelque chose qui m’inquiète. Quoi, par exemple ? ajouta-t-elle avec un geste d’impuissance.

— Sans doute le dessèchement du cœur presque obligatoire chez les femmes trop adulées ! Et il paraîtrait que le caractère de la Torelli ne serait pas des plus accommodants ! J’aurais plutôt tendance à plaindre Vidal-Pellicorne. Il risque d’y laisser des plumes.

— Chaque fois qu’il tombe amoureux, il en laisse ! clama Plan-Crépin. Avec celle-ci, il joue peut-être aussi sa fortune ! Voulez-vous me dire de quoi il aura l’air quand il n’aura plus rien ?

— D’un pigeon déplumé ! asséna la marquise. Il lui restera cependant son immense savoir, ses qualités humaines… du moins il faut l’espérer… et trois ou quatre amis fidèles !

— Ça, c’est plus aléatoire ! grommela Aldo, soudain très sombre.