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Morpurgo tourna le dos au héros de la flotte et s’adressa à la Présidente.

— Désirez-vous que nous votions de nouveau, madame ?

Elle secoua négativement la tête. Le sénateur Kolchev se racla la gorge pour dire :

— Le cabinet devrait peut-être en débattre à huis clos à la Maison du Gouvernement…

— Inutile, coupa Gladstone. J’ai pris ma décision. Amiral Singh, vous êtes autorisé à acheminer en renfort dans le système d’Hypérion autant d’unités de la flotte que les chefs d’état-major et vous le jugerez utile.

— Très bien, H. Présidente.

— Amiral Nashita, j’attends l’issue positive des combats au plus tard huit jours après l’acheminement des renforts. Mesdames et messieurs, je ne saurais insister assez sur l’importance que revêtent pour nous le contrôle d’Hypérion et la suppression, une fois pour toutes, de la menace extro. Je vous souhaite une bonne fin de soirée.

Elle se leva et s’éloigna aussitôt vers le plan incliné plongé dans l’obscurité.

Il était près de 4 heures du matin dans le Retz, heure de Tau Ceti Central, quand Hunt vint frapper doucement à ma porte. J’essayais de lutter contre la fatigue depuis trois heures que nous étions rentrés, et je venais de décider que Gladstone m’avait oublié et que je pouvais m’abandonner au sommeil lorsque Hunt arriva.

— Dans le jardin, me dit-il. Et rentrez votre chemise, pour l’amour du ciel !

Mes chaussures crissèrent doucement sur le fin gravier de l’allée lorsque je la remontai dans l’obscurité à peine estompée par les lanternes et les globes bioluminescents. Les étoiles n’étaient pas visibles dans le ciel de TC2 à cause du halo de l’agglomération interminable, mais les lumières en mouvement des habitations orbitales traversaient le ciel comme une ronde sans fin de lucioles.

Gladstone était assise sur le banc de fer près du pont.

— H. Severn, me dit-elle d’une voix faible, merci d’être venu me rejoindre. Pardonnez-moi de vous faire veiller si tard. La réunion du cabinet vient de s’achever.

Je ne répondis pas et demeurai debout.

— Je voulais vous demander vos impressions sur votre visite de ce matin sur Hypérion, me dit-elle. Hier matin, plutôt, rectifia-t-elle avec un petit rire.

Je me demandais ce qu’elle voulait savoir au juste. Je me dis qu’elle devait avoir un appétit insatiable pour les données de toutes sortes, même quand elles paraissaient sans rapport avec le sujet.

— J’ai rencontré quelqu’un.

— Ah#nbsp#?

— Le docteur Melio Arundez. C’était… C’est…

— Un ami de la fille de Sol Weintraub, acheva Gladstone. L’enfant qui grandit à l’envers. Avez-vous des nouvelles sur son état ?

— Pas vraiment. Je n’ai pas dormi beaucoup aujourd’hui. Et mes rêves ont été fragmentés.

— Est-il sorti quelque chose de votre rencontre avec le docteur Arundez ?

Je me frottai le menton d’un doigt soudain glacé.

— Son équipe de recherche attend depuis des mois dans la capitale. Elle représente peut-être notre seul espoir de comprendre ce qui se passe autour des Tombeaux et avec le gritche.

— Selon nos prévisionnistes, il est extrêmement important que les pèlerins soient livrés à eux-mêmes jusqu’au bout.

Je voyais mal le visage de la Présidente, dont le regard semblait fixé, dans la pénombre, sur un point situé du côté du cours d’eau. Je sentis soudain une inexplicable colère monter en moi.

— Le père Hoyt est déjà allé jusqu’au bout, éclatai-je avec plus d’agressivité que je n’aurais voulu en montrer. Ils auraient pu le sauver si le vaisseau du consul avait été au rendez-vous. Arundez et son équipe pourraient maintenant sauver le bébé, bien qu’ils ne disposent plus que de quelques jours.

— Même pas trois jours, murmura Gladstone. Et c’est tout ? Vous n’avez rien remarqué de spécial sur la planète ou à bord du vaisseau de l’amiral Nashita ?

Mes poings se serrèrent, puis je me forçai à me détendre.

— Vous n’autoriserez pas Arundez à se rendre dans la région des Tombeaux ?

— Pas dans l’immédiat.

— Et l’évacuation des civils ? Au moins celle des citoyens hégémoniens ?

— Nous ne sommes pas en mesure de l’organiser pour le moment.

J’ouvris la bouche pour dire quelque chose, puis je me ravisai. Je me contentai d’écouter le bruissement de l’eau sous le pont.

— Aucune autre impression, H. Severn ? insista Gladstone.

— Aucune.

— Très bien. Je vous souhaite une bonne nuit et des rêves agréables. Demain sera peut-être une journée difficile, mais je veux absolument trouver un moment pour m’entretenir avec vous.

— Bonne nuit, répondis-je.

Je tournai les talons et m’éloignai rapidement en direction de l’aile de la Maison du Gouvernement où j’avais mes quartiers.

Dans l’obscurité de ma chambre, je programmai une sonate de Mozart et pris trois comprimés de trisécobarbital. Il était probable qu’ils allaient m’assommer et que je dormirais d’un sommeil sans rêves où le fantôme de Johnny Keats et mes pèlerins encore plus spectraux ne pourraient jamais me trouver. Cela décevrait sans doute Meina Gladstone, mais je n’en avais cure.

Je songeai au personnage de Swift, Gulliver, et à son dégoût de l’humanité lorsqu’il était rentré du pays des chevaux intelligents, les Houyhnhnms. Sa propre espèce l’écœurait tellement qu’il était obligé d’aller dormir à l’écurie pour être rassuré par la présence et l’odeur des chevaux.

Ma dernière pensée, avant de m’endormir, fut : Au diable Meina Gladstone, au diable la guerre, au diable le Retz tout entier.

Et au diable mes rêves.

DEUXIÈME PARTIE.

16.

Brawne Lamia s’endormit peu avant l’aube d’un sommeil agité. Ses rêves étaient remplis d’images et de bruits venus d’ailleurs. Des conversations à moitié inaudibles et à moitié intelligibles avec Meina Gladstone, une salle qui semblait flotter dans l’espace, des mouvements continuels d’hommes et de femmes dans des corridors où les murs chuchotaient comme un récepteur mégatrans mal réglé. Et, derrière ces rêves fiévreux et ces images désordonnées, l’idée insensée que Johnny – son Johnny – était près, tout près d’elle. Lamia cria dans son sommeil, mais le bruit se perdit dans les échos irréguliers des pierres du Sphinx en train de refroidir et des dunes en train de se déplacer.

Lamia se réveilla brusquement, tous ses sens immédiatement en alerte, comme un instrument transistorisé qui se met en marche. Sol Weintraub était censé monter la garde, mais elle vit qu’il s’était endormi devant la porte basse de la chambre où le groupe s’était réfugié. Son bébé, Rachel, dormait par terre, près de lui, dans des couvertures, le derrière levé, le visage vers le sol, une petite bulle de salive au coin des lèvres.

Lamia tourna la tête à la faveur d’un globe bioluminescent de très faible puissance, et dans la clarté du jour qui filtrait de l’entrée située quatre mètres plus loin dans le corridor, un seul autre pèlerin était visible, roulé en boule sur les dalles de pierre. Martin Silenus ronflait, la bouche ouverte. Elle sentit une vague de peur, comme si les autres l’avaient abandonnée dans son sommeil avec le poète, le bébé et Sol. Mais elle se rendit vite compte que, finalement, seul le consul avait disparu. Le groupe de pèlerins, composé à l’origine de sept adultes et d’un enfant, avait déjà perdu Het Masteen pendant la traversée de la mer des Hautes Herbes à bord du chariot à vent ; Lénar Hoyt était mort la nuit précédente, et Kassad avait disparu la veille dans la soirée. Mais le consul… Où était le consul ?