Выбрать главу

Lamia haussa les épaules.

— Nous savions très bien, dit-elle, que chacun de nous aurait à affronter le gritche tout seul. Quelle importance, si nous nous séparons pour quelques heures ? Nous avons besoin de ces vivres. Mais venez avec nous tous les trois, si vous préférez.

Le consul et Sol se tournèrent vers le père Duré. Il était visiblement au bord de l’épuisement. D’avoir cherché Kassad avec les autres l’avait privé des quelques réserves d’énergie qui lui restaient à la suite de son épreuve.

— Il vaut mieux que quelqu’un reste ici, pour le cas où le colonel reviendrait, déclara Sol.

Le bébé, dans ses bras, était devenu encore plus petit. Lamia hocha la tête pour signifier son accord, et remonta les bretelles de son paquetage sur ses épaules.

— Très bien. Il faut compter deux bonnes heures pour arriver à la forteresse, et un peu plus pour le retour. Plus une heure là-bas pour trouver et charger les vivres. La nuit ne devrait pas être encore tombée quand nous reviendrons. Nous dînerons tous ensemble.

Le consul et Duré serrèrent la main de Silenus. Sol serra Brawne dans ses bras.

— J’espère qu’il ne vous arrivera rien, murmura-t-il.

Elle toucha la joue barbue du vieillard et posa la main sur la tête du bébé. Puis elle se détourna et s’éloigna rapidement du groupe.

— Hé ! On ne m’attend pas ? glapit Silenus, qui s’élança à sa poursuite dans un bruit de gourdes et de gamelles accrochées un peu partout à ses sacs.

Ils arrivèrent ensemble au col. Silenus regarda derrière lui. Les trois autres étaient toujours là, rendus petits par la distance, seules taches de couleur parmi les dunes et les rochers qui entouraient le Sphinx.

— Les évènements ne se déroulent pas tout à fait comme prévu, n’est-ce pas ? dit-il.

— Je ne sais pas, fit Lamia. Qu’est-ce qui était prévu, exactement ?

Elle s’était mise en short pour marcher, et les muscles de ses petites jambes puissantes luisaient sous une pellicule de transpiration.

— Pour ma part, tout ce que je voulais, c’était finir le plus grand poème de l’univers et puis rentrer chez moi, lui dit Silenus.

Il but à la dernière gourde où il restait de l’eau.

— Merde ! fit-il. Je regrette de n’avoir pas apporté plus de vin.

— Moi, je n’avais rien prévu de particulier, murmura Lamia, à moitié pour elle-même, ses courtes boucles, collées par la transpiration, dissimulant à demi son cou trapu.

Martin Silenus eut un rire rauque.

— Vous ne seriez pas ici s’il n’y avait pas eu ce cyborg, votre amant…

— Mon client, fit-elle sèchement.

— C’est la même chose. L’idée qu’il était important de venir ici émanait, à l’origine, de la personnalité récupérée de Johnny Keats. Bon. Vous avez réussi à l’amener jusqu’ici… Vous portez toujours cette boucle de Schrön, n’est-ce pas ?

Elle toucha machinalement la minuscule dérivation neurale derrière son oreille gauche. Une fine membrane de polymère osmotique empêchait le sable et les poussières de s’introduire dans l’orifice crânien de la taille d’un follicule.

— Oui, répondit-elle.

Silenus émit un nouveau rire.

— À quoi ça peut vous servir, ma pauvre fille, dans un foutu endroit où il n’y a pas d’infosphère pour s’interfacer ? Vous auriez aussi bien pu laisser votre Johnny sur Lusus ou n’importe où ailleurs… à moins que vous n’ayez un autre moyen d’entrer en contact ? fit-il soudain en s’arrêtant pour ajuster les bretelles de son paquetage.

Lamia songea aux rêves qu’elle avait faits la nuit précédente. Elle avait eu l’impression de sentir la présence de Johnny. Mais les images étaient celles du Retz. Des souvenirs ?

— Non, dit-elle. Je suis incapable d’avoir accès à ma boucle de Schrön. Elle contient plus de données que cent implants normaux ne pourraient en recevoir. Maintenant, taisez-vous et marchez.

Elle reprit le sentier d’un pas vif, le laissant derrière elle. Le ciel était sans nuages, viride, barré de striures lapis. La plaine jonchée de blocs rocheux, devant eux, s’étendait en direction du sud-ouest jusqu’aux terres désolées qui laissaient place, à leur tour, aux dunes. Ils marchèrent en silence durant une demi-heure, séparés par cinq mètres et par leurs pensées. Le soleil d’Hypérion était une petite boule brillante sur leur droite.

— Les dunes sont plus escarpées que la dernière fois, dit Lamia tandis qu’ils arrivaient au sommet de l’une d’elles pour se laisser glisser ensuite sur l’autre versant.

Le sable était brûlant, et leurs chaussures en étaient remplies. Silenus demeura assis au bas de la pente pour souffler un peu et s’éponger le visage à l’aide d’un mouchoir de soie. Son béret pourpre était enfoncé sur ses sourcils et son oreille gauche, mais n’offrait à son visage aucune protection contre le soleil.

— Il serait plus simple de faire un détour par les plateaux du nord et la Cité des Poètes, murmura-t-il en pointant l’index.

Brawne Lamia mit sa main en visière sur son front pour suivre son regard.

— Il nous faudrait au moins une demi-heure de plus, dit-elle.

— En passant par les dunes, nous risquons de perdre bien plus de temps que cela.

Le poète but une gorgée d’eau à sa gourde, ôta sa cape, la plia et la fit entrer dans son sac le plus gros.

— Qu’est-ce que vous transportez là-dedans ? lui demanda Lamia. On dirait qu’il est déjà plein.

— Ce ne sont pas vos putains d’affaires, ma petite dame.

Elle secoua la tête, se frotta les joues et sentit le coup de soleil qui lui cuisait la peau. Elle n’avait pas l’habitude de s’exposer si longtemps, et l’atmosphère d’Hypérion ne filtrait que très peu d’ultraviolets. Elle chercha, dans ses poches, le tube de crème solaire, et s’en mit un peu partout sur le visage.

— D’accord, déclara-t-elle. Nous ferons le détour. Nous allons suivre la ligne des crêtes jusqu’à ce que nous ayons dépassé le gros des dunes. Ensuite, nous irons droit sur la forteresse.

Les montagnes étaient basses sur l’horizon, et leur distance ne semblait jamais varier. Les sommets couronnés de neige lui offraient leur promesse cruelle d’eau fraîche et de brise glacée. La vallée des Tombeaux du Temps était invisible derrière eux, cachée par les dunes et les rochers.

Lamia changea la répartition des sacs sur ses épaules, obliqua vers la droite et se laissa glisser, en faisant de grandes enjambées, sur le versant instable de la dune.

Quand ils quittèrent les sables pour grimper sur la crête couverte d’ajoncs et de genêts épineux, Martin Silenus ne put détacher son regard de la Cité des Poètes abandonnée. Lamia avait coupé un peu plus sur la gauche, évitant tous les obstacles à l’exception des pierres des anciennes chaussées à moitié ensevelies qui faisaient tout le tour de la cité et menaient vers le désert où elles disparaissaient sous les dunes.

Silenus prenait de plus en plus de retard sur elle. Il finit par s’arrêter pour s’asseoir sur une colonne brisée qui avait peut-être jadis fait partie d’un portique sous lequel passaient, chaque soir, les travailleurs androïdes qui revenaient de leur journée de labeur aux champs. Il ne restait plus aucun vestige des champs en question. Les emplacements des aqueducs, des canaux et des routes étaient marqués par des amoncellements de pierres, des dépressions dans le sable ou des souches d’arbres à moitié ensevelies à l’endroit où elles avaient peut-être jadis bordé une voie d’eau ou donné de l’ombre à une paisible allée.