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— Restez avec elle, dit-il. Je vais voir où ça va.

— Servez-vous du communicateur, suggéra Sol.

Il ne se faisait cependant pas trop d’illusions sur l’efficacité de leurs moyens de liaison pendant les périodes d’activité des marées du temps.

Le consul hocha la tête. Il s’éloigna rapidement, avant que la peur ne le fasse changer d’avis.

Le serpent de chrome suivait le corridor principal. Il disparaissait après l’entrée de la pièce où les pèlerins avaient dormi la nuit précédente. Le consul jeta un coup d’œil à l’intérieur en passant. Sa lampe éclaira les couvertures et les paquetages qu’ils avaient laissés derrière eux dans leur précipitation.

Il suivit le câble au détour du couloir, dans le passage central qui donnait sur trois corridors secondaires. Il emprunta un plan incliné vers le haut, puis bifurqua de nouveau sur la droite, jusqu’au passage étroit qu’ils avaient baptisé « Allée du Pharaon » lors de leurs précédentes explorations. Il descendit alors une galerie étroite, où il lui fallut bientôt ramper, en prenant garde de ne pas toucher le tentacule de métal tiède comme de la chair. Il dut ensuite faire l’ascension d’une cheminée inclinée, qui débouchait sur une galerie qu’il ne se rappelait pas avoir visitée précédemment, et où les murs obliques et suintants se rapprochaient pour former une voûte étroite. La galerie descendait ensuite en pente abrupte. Il s’écorcha les mains et les genoux pour ralentir sa descente, et déboucha finalement dans un espace qui semblait bien plus long que le Sphinx vu de l’extérieur. Il était totalement perdu. Il ne pouvait compter que sur le câble pour lui faire retrouver son chemin.

— Sol ! cria-t-il.

Il doutait que le communicateur pût transmettre son appel à travers l’épaisseur des murs et l’obstacle des marées du temps, mais un murmure lui répondit aussitôt.

— Je suis là.

— J’ai suivi le cordon dans les profondeurs de ce foutu labyrinthe. Je me trouve dans une galerie que nous n’avions pas visitée avant. Elle a l’air très grande.

— Vous êtes arrivé à la fin du câble ?

— Oui, fit le consul en s’adossant à la paroi pour s’éponger le visage avec son mouchoir.

— Un nexus ? demanda Sol.

Il faisait allusion à l’un des innombrables terminaux de données où les citoyens du Retz pouvaient se brancher sur l’infosphère.

— Non. Cette chose s’enfonce directement dans la pierre. La galerie où je me trouve est un cul-de-sac. J’ai essayé de tirer sur le câble, mais il est aussi solidement attaché de ce côté-ci que de l’autre, au crâne de Brawne.

— Revenez, lui dit la voix lointaine de Sol sur un fond de parasites. Nous allons tenter de le sectionner de ce côté.

Dans les ténèbres moites de la galerie, le consul se sentit en proie, pour la première fois de sa vie, à une horrible claustrophobie. Il avait du mal à respirer, et il était sûr qu’il y avait une présence derrière lui, dans le noir, lui coupant son oxygène et toute retraite. Les battements précipités de son cœur étaient presque audibles dans l’étroit passage rocheux. Il se força à prendre plusieurs inspirations lentes, s’essuya de nouveau le visage, et fit refluer la panique.

— Cela pourrait la tuer, dit-il entre deux bouffées d’air haletantes.

Pas de réponse. Il essaya encore, mais quelque chose avait coupé le faible lien qui l’unissait à l’extérieur.

— J’arrive, dit-il dans l’instrument muet.

Il se retourna, éclaira les parois et le câble. Était-ce un reflet de lumière, ou le cordon avait-il bougé ?

Il reprit en rampant le chemin par où il était venu.

Ils avaient trouvé Het Masteen au coucher du soleil, quelques minutes avant la tempête anentropique. Le Templier s’avançait en titubant lorsque le consul, Sol et Duré l’avaient reconnu. Quand ils étaient arrivés jusqu’à lui, il avait perdu connaissance.

— Transportez-le à l’intérieur du Sphinx, leur dit Sol.

À ce moment-là, comme si c’était le soleil couchant qui en organisait la chorégraphie, les marées anentropiques se refermèrent sur eux comme un écœurant raz de marée familier. Les trois hommes tombèrent à genoux. Rachel se réveilla et poussa des glapissements aigus avec toute la vigueur d’un nouveau-né terrifié.

— Essayez de… gagner l’entrée… de la vallée, haleta le consul, portant Het Masteen sur ses épaules. Il faut… sortir de cette zone.

Ils dépassèrent le premier tombeau, le Sphinx, mais les marées du temps étaient devenues insupportables. Elles soufflaient sur eux comme un ouragan vertigineux. Ils parcoururent encore trente mètres, et furent incapables d’avancer plus longtemps. Ils s’écroulèrent sur leurs genoux et sur leurs mains. Het Masteen roula au milieu de la piste. Rachel avait cessé de gémir. Elle gigotait spasmodiquement.

— Retournons, souffla le père Duré. Nous étions… plus à l’abri dans la vallée.

Ils reprirent le chemin des Tombeaux du Temps, titubant sur la piste comme des ivrognes, chacun portant un fardeau trop précieux pour être abandonné. Ils s’abritèrent quelques instants à l’entrée du Sphinx, adossés à la pierre, pendant que la texture même de l’espace et du temps semblait se contracter et se gondoler autour d’eux. C’était comme si le monde avait été la surface d’un drapeau que quelqu’un avait déroulé d’un coup rageur. La réalité semblait miroiter et onduler, puis s’enrouler sur elle-même comme une haute vague qui se referme sur sa crête. Le consul déposa le Templier dans le creux d’un rocher et tomba à quatre pattes en haletant, les doigts crispés dans le sable.

— Le cube de Möbius, murmura Masteen en remuant à peine les lèvres, les yeux toujours fermés. Il nous faut le cube de Möbius.

— Merde ! réussit à dire le consul. Pourquoi, Masteen ? fit-il en secouant le Templier par les épaules. Pourquoi nous faut-il ce cube ?

Mais la tête de Het Masteen retomba mollement d’un côté, puis de l’autre. Il avait de nouveau perdu connaissance.

— Je vais le chercher, fit le père Duré.

Il avait l’air encore plus vieux et plus malade que d’habitude. Son visage et ses lèvres étaient d’une pâleur extrême. Le consul acquiesça d’un signe de tête, souleva le Templier sur ses épaules, aida Sol à se remettre debout, et descendit, en chancelant, le sentier de la vallée. Il sentit les ondulations des champs anentropiques diminuer d’intensité tandis qu’ils s’éloignaient du Sphinx.

Le père Duré gravit l’escalier du Sphinx et tituba devant l’entrée, en s’agrippant à la pierre comme un marin à une filière par une mer déchaînée. Le Sphinx, au-dessus de lui, semblait pencher, d’abord de trente degrés d’un côté, puis de cinquante de l’autre. Duré savait que la violence des champs anentropiques déformait ses perceptions, mais ce fut suffisant pour le faire tomber à genoux et vomir sur les dalles de pierre.

Les marées du temps se calmèrent un instant, comme la houle entre les assauts répétés des vagues. Duré se remit sur ses pieds, s’essuya la bouche du dos de la main, et s’avança péniblement vers l’entrée noire.

Il n’avait pas pensé à se munir d’une lampe. Il suivit le corridor en tâtonnant, épouvanté à l’idée que sa main allait rencontrer quelque chose de tiède et de vivant, ou qu’il allait se retrouver dans la chambre où il était revenu à la vie. Il allait peut-être trébucher sur son propre corps, encore tout fumant au sortir de la tombe. Il hurla, mais son cri se perdit dans le rugissement de tornade de son propre pouls tandis que les marées anentropiques revenaient en force.

La chambre qui leur avait servi de dortoir semblait plongée, elle aussi, dans cette terrible obscurité où ne filtre pas la moindre lueur, mais la vision de Duré s’était habituée au noir, et il se rendit compte que le cube de Möbius lui-même émettait une faible lumière et que ses voyants clignotaient.