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— Il a le tapis hawking de sa grand-mère Siri. L’engin a très bien fonctionné jusqu’à cet endroit dont je vous ai parlé, près des écluses de Karla. Mais il… il est tombé dans le fleuve. Je ne sais pas s’il est encore vivant, me hâtai-je d’ajouter, anticipant sa question.

— Parlez-moi du prêtre, le père Hoyt.

— Le cruciforme l’a ressuscité en tant que père Duré.

— C’est vraiment le père Duré, ou une copie sans cervelle ?

— C’est Duré. Mais il est… diminué. Très déprimé.

— Il est toujours dans la vallée ?

— Non. Il a disparu dans l’un des Trois Caveaux. J’ignore ce qu’il est devenu.

Gladstone consulta son persoc. J’essayai d’imaginer la confusion et le chaos qui régnaient dans le reste du bâtiment… du monde… du Retz tout entier. De toute évidence, la Présidente avait voulu se réfugier ici un quart d’heure avant d’affronter le Sénat. C’était peut-être le dernier moment de tranquillité relative qu’elle connaîtrait durant des semaines. Ou pour toujours.

— Et le commandant Masteen ?

— Mort. Enterré dans la vallée.

Elle prit une profonde inspiration.

— Et Weintraub ? Son enfant ?

Je secouai la tête.

— Je n’ai pas rêvé les choses dans l’ordre chronologique. Il y a eu un décalage. Je crois que c’est ce qui s’est passé, mais je ne sais plus très bien où j’en suis.

Je regardai Gladstone. Elle attendait patiemment que je continue.

— Le bébé n’était plus âgé que de quelques secondes lorsque le gritche est apparu, poursuivis-je. Sol a donné sa fille au monstre. Je crois qu’il l’a emportée à l’intérieur du Sphinx. Les tombeaux étaient brillamment éclairés de l’intérieur. Partout, il y avait… d’autres gritches… qui en sortaient.

— Les tombeaux se sont donc ouverts ?

— Oui.

Gladstone manipula son persoc.

— Leigh ? Faites contacter Théo Lane et les responsables de la Force sur Hypérion. Qu’on lève la quarantaine sur le vaisseau du consul. Dites au gouverneur général que je lui transmettrai un message personnel dans quelques minutes.

L’instrument émit un grésillement. La Présidente se tourna de nouveau vers moi.

— Il n’y avait rien d’autre dans vos rêves ?

— Des images. Des mots. Je ne comprends pas tout ce qui se passe. Je vous ai dit le principal.

Elle eut un petit sourire.

— Savez-vous que vos rêves ont une portée qui dépasse de beaucoup celle des autres sujets d’expérience de récupération de la personnalité Keats ?

Je ne répondis pas, frappé de plein fouet par ce qu’elle venait de dire. Mes contacts avec les pèlerins avaient été rendus possibles par l’existence d’une connexion, au niveau du TechnoCentre, avec l’implant de personnalité contenu dans la boucle de Schrön de Brawne et avec l’infosphère rudimentaire ainsi créée. Mais la personnalité avait été libérée, et l’infosphère avait été détruite par la séparation et la distance. Même un récepteur mégatrans est incapable de recevoir un message quand il n’y a plus d’émetteur.

Le sourire de Gladstone disparut abruptement.

— Comment expliquez-vous cela ? demanda-t-elle.

— Je ne l’explique pas, répondis-je en la regardant dans les yeux. Ce n’étaient peut-être que des rêves. De vrais rêves.

Elle se leva.

— Nous saurons peut-être la vérité quand nous aurons éventuellement retrouvé le consul, ou quand son vaisseau arrivera dans la vallée. Il me reste deux minutes avant de me présenter devant le Sénat. Vous n’avez rien d’autre à me dire ?

— Juste une question. Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ?

Elle sourit de nouveau.

— Nous nous posons tous les mêmes questions, H. Sev… H. Keats.

— Je suis sérieux. J’ai l’impression que vous connaissez mieux que moi la réponse.

— Le Centre vous a envoyé pour que vous me serviez de liaison avec les pèlerins. Et pour observer. Vous êtes, après tout, un poète et un artiste.

J’émis un grognement indistinct et me levai à mon tour. Nous nous dirigeâmes lentement vers la porte distrans privée qui la conduirait directement au Sénat.

— À quoi peut servir un observateur lorsque la fin du monde est là ? demandai-je.

— À vous de le découvrir. Allez assister à la fin du monde !

Elle me tendit une microcarte pour mon persoc. Je l’insérai dans le lecteur et lus ce qui s’affichait sur l’écran. Il s’agissait d’une plaque universelle donnant accès à tous les terminaux distrans, publics, privés ou militaires. Un passe pour la fin du monde.

— Et si je me fais tuer ? demandai-je.

— Dans ce cas, nous ne connaîtrons jamais les réponses à vos questions.

La Présidente me toucha légèrement le poignet, me tourna le dos et s’avança à travers la porte distrans.

Je demeurai quelques minutes de plus dans ses appartements, appréciant la pénombre, le silence et le décor artistique. Il y avait bien un Van Gogh accroché au mur. Il devait valoir plus que ce que la plupart des planètes du Retz auraient pu payer. C’était une peinture de la chambre de l’artiste en Arles. La folie n’est pas une invention récente.

Au bout d’un moment, je sortis à mon tour, laissant la mémoire de mon persoc me guider à travers le labyrinthe de la Maison du Gouvernement jusqu’au terminex distrans central. Je m’apprêtai alors à partir découvrir la fin du monde.

Il y avait dans le Retz deux itinéraires distrans à accès total : celui du Quartier Marchand et celui du fleuve Téthys. Je me distransportai dans le Quartier Marchand, où l’esplanade de cinq cents mètres de Tsingtao-Hsishuang Panna était reliée à la Nouvelle-Terre et au court front de mer de Nevermore. Tsingtao-Hsishuang Panna se trouvait dans la zone de la première vague d’invasion, à trente-quatre heures des Extros. La Nouvelle-Terre faisait partie de la deuxième liste, encore en cours d’élaboration, et disposait d’un peu plus d’une semaine standard avant l’invasion. Nevermore était loin dans les profondeurs du Retz, à des années de distance de toute attaque.

Je ne voyais aucun signe de panique. Les gens se tournaient vers l’infosphère et la Pangermie plutôt que de descendre dans les rues. Parcourant les étroites allées de Tsingtao, j’entendis la voix de Gladstone, diffusée par des milliers de récepteurs et de persocs, étrange fond sonore aux cris des marchands ambulants et aux crissements des pneus sur les pavés mouillés tandis que les pousse-pousse électriques bourdonnaient au-dessus, dans les niveaux de transport.

— … comme l’a dit un autre dirigeant à son peuple la veille d’un combat, il y a plus de huit siècles : « Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. » Vous me demandez quelle sera notre politique ? Je vous réponds : faire la guerre dans l’espace, sur terre, sur mer, faire la guerre de toutes nos forces et avec toute l’énergie que pourront nous donner la justice et le bon droit. Voilà quelle sera notre politique…

Il y avait des troupes de la Force stationnées près de la zone de translation entre Tsingtao et Nevermore, mais le flot des piétons semblait tout à fait normal. Je me demandai à quel moment les militaires allaient réquisitionner la voie pour piétons du Quartier Marchand pour leurs véhicules, et si ces derniers prendraient la direction du front ou la direction opposée.

Je passai sur Nevermore. Ici, les rues étaient sèches, à l’exception de quelques embruns qui montaient de l’océan, situé à trente mètres au-dessous des remparts de pierre du Quartier Marchand. Le ciel avait sa coloration habituelle à l’aspect menaçant, ocre et gris, et le crépuscule en plein jour créait une impression sinistre. De petites boutiques de pierre regorgeant de marchandises étaient faiblement éclairées de l’intérieur. Les rues étaient beaucoup moins fréquentées que d’habitude. Les gens étaient par groupes dans les magasins, ou assis sur des bancs de pierre ou des murets à l’extérieur, la tête baissée, écoutant le discours d’un air hagard.