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— … Vous demandez quel est notre objectif ? Je vous réponds en un seul mot. La victoire. La victoire à n’importe quel prix, la victoire malgré toute la terreur, malgré la longueur et les difficultés de la route. Car, sans victoire, il n’est point de survie…

Les lignes, au terminex principal d’Edgartown, étaient peu nombreuses. Je programmai Mare Infinitus comme point de destination et franchis la porte.

Le ciel sans nuages avait sa couleur verte habituelle. Sous la cité flottante, l’océan était d’un vert plus foncé. Les exploitations de varech flottaient à l’horizon. La foule, ici non plus, n’était pas nombreuse, malgré la distance par rapport au Quartier Marchand. Les esplanades semblaient presque désertes. Quelques boutiques étaient fermées. Un groupe d’hommes se tenaient près d’un ponton, écoutant un vieux récepteur mégatrans. La voix de Gladstone résonnait, métallique, dans la riche atmosphère océanique.

— … En ce moment même, de vaillantes unités de la Force font route vers leurs différents postes, résolues à protéger non seulement les mondes menacés mais également toutes les planètes de l’Hégémonie de la plus vile et de la plus abjecte tyrannie qui ait jamais souillé les annales de l’histoire…

Mare Infinitus se trouvait à dix-huit heures de l’invasion. Je levai les yeux vers le ciel, m’attendant presque à voir déjà un signe de présence de l’essaim ennemi, ou des indications de mouvements de troupes, ou encore de mise en place de défenses orbitales. Mais il n’y avait que le ciel à voir. La journée était chaude, et la cité flottante était doucement bercée par les flots.

Heaven’s Gate figurait en tête sur la liste des mondes menacés d’invasion. Après avoir franchi la porte des officiels au terminal de Plaine des Boues, je contemplai, depuis les Hauts de Rifkin, la magnifique cité qui démentait son nom. La nuit était bien avancée, et les engins automatiques de nettoyage des rues étaient à l’œuvre. On entendait le bourdonnement des brosses et des soniques sur les pavés. Il y avait cependant pas mal de monde dehors. De longues files de personnes attendaient, silencieuses, devant le terminex public des Hauts de Rifkin, et des files encore plus longues étaient visibles aux alentours du portail de l’Esplanade. La police locale était présente, avec ses uniformes noirs anti-impact. Si des unités de la Force faisaient route de toute urgence pour renforcer les défenses de ce secteur, elles demeuraient, pour le moment, totalement invisibles.

Les gens qui faisaient la queue n’étaient pas des citoyens ordinaires de Rifkin, et les riches propriétaires du quartier avaient certainement leurs terminaux distrans privés. Ceux qui attendaient là ressemblaient plutôt à des travailleurs des chantiers d’aménagement ouverts à quelques kilomètres de là, après les grands parcs et les forêts de fougères. Il n’y avait pas de signes de panique, et les conversations étaient rares. Tout le monde attendait avec la patience stoïque des familles qui avancent pas à pas vers le guichet d’un parc d’attractions. Rares étaient ceux qui avaient avec eux plus qu’une valise ou un sac de voyage.

Avons-nous atteint un degré de sérénité tel que nous soyons devenus capables de nous comporter dignement devant une invasion ? me demandai-je.

Heaven’s Gate se trouvait à treize heures de l’heure H. Je réglai mon persoc sur l’Assemblée de la Pangermie.

— … Si nous sommes capables de triompher de cette menace, les mondes que nous aimons pourront demeurer libres, et le Retz tout entier entrera dans un avenir radieux. Mais si nous échouons, c’est toute l’Hégémonie, tout l’univers que nous avons connu et aimé, qui sombrera dans l’abîme d’un nouvel âge noir rendu infiniment pénible et sinistre par les lumières d’une science pervertie et des libertés humaines annihilées.

« Unissons donc nos forces et notre courage dans l’accomplissement de notre devoir, et soyons persuadés que si l’Hégémonie humaine, ses protectorats et alliés devaient encore exister dans dix mille ans, l’humanité dirait : « Le meilleur de nous-mêmes, c’est alors que nous l’avons donné. »

Quelque part, dans le silence de la cité d’où montaient d’agréables senteurs de nuit, une fusillade éclata. Ce fut d’abord le crépitement des fusils à fléchettes, puis le grondement sourd des étourdisseurs anti-émeutes, puis le grésillement des lasers. Des cris s’élevèrent. La foule de l’esplanade se bouscula vers les terminex. La police anti-émeutes surgit du parc voisin, braquant de puissants projecteurs halogènes, et ordonna aux gens, au moyen de mégaphones, de reformer les queues ou de se disperser. Il y eut un moment d’hésitation, puis la foule reflua d’avant en arrière et d’arrière en avant comme une méduse prise dans des courants capricieux. Mais lorsque les coups de feu devinrent plus forts et plus rapprochés, il y eut un nouveau mouvement de masse en avant, vers les plates-formes.

Les flics anti-émeutes tirèrent des gaz lacrymogènes et des grenades à nausée. Entre la foule et le terminex, des champs de confinement mauves apparurent. Une formation de VEM militaires et de glisseurs de la sécurité survola alors la ville à basse altitude, ses projecteurs en action. L’un des rayons lumineux me captura, et ne me lâcha pas jusqu’à ce que mon persoc se mette à clignoter en réponse aux demandes de renseignements. Puis il se mit à pleuvoir.

Autant pour la sérénité.

La police avait investi le terminex public des Hauts de Rifkin, et affluait par la porte privée que j’avais utilisée pour venir ici. Je décidai qu’il était temps d’aller voir ce qui se passait ailleurs.

Il y avait des commandos de la Force de garde dans tous les couloirs de la Maison du Gouvernement, vérifiant toutes les arrivées distrans, bien que cette porte fût probablement l’une des plus difficiles d’accès de tout le Retz. Je dus franchir trois postes de contrôle avant de pouvoir passer dans l’aile résidentielle où se trouvaient mes appartements. Soudain, des gardes firent irruption dans le corridor principal pour le vider et en garder tous les accès. Gladstone apparut, accompagnée de tout un cortège de conseillers, de collaborateurs et de chefs militaires. Chose étonnante, elle m’aperçut, arrêta tout le monde sur sa lancée, et me parla à travers une haie de marines en tenue de combat.

— Comment avez-vous trouvé mon discours, H. Personne ?

— Très bien, répliquai-je. Particulièrement émouvant, quoiqu’un peu emprunté à Winston Churchill, si je ne me trompe.

Elle sourit, et haussa faiblement les épaules.

— S’il faut plagier, autant plagier les grands maîtres oubliés. Quelles nouvelles du front rapportez-vous ? demanda-t-elle, soudain plus grave.

— La réalité est à peine en train de commencer à pénétrer les esprits. Attendez-vous à un vent de panique.

— C’est la chose à laquelle je m’attends toujours. Et nos pèlerins ?

Je fus pris au dépourvu.

— Les pèlerins ? Je n’ai fait… aucun rêve.

La force du courant de son escorte et de l’actualité pressante l’avait fait dériver peu à peu vers l’autre bout du couloir.

— Vous n’avez peut-être plus besoin de dormir pour faire ces rêves, me cria-t-elle. Essayez !

Je la regardai s’éloigner. Puis on me laissa gagner mes appartements. J’ouvris la porte et me détournai, écœuré de moi-même. La peur et la hantise des horreurs qui étaient en train de s’abattre sur nous me poussaient à me réfugier au plus profond de moi-même. Je n’aspirais qu’à m’étendre sur ce lit, fuyant même le sommeil, les couvertures remontées jusqu’au menton, versant une larme pour le Retz, une autre pour l’enfant Rachel, et une pour moi-même.