Выбрать главу

— Vous voyez cette chose rouge ?

— Une Bugatti ? Faudrait être aveugle !

— Et vous vous sentez capable de la suivre sans vous faire remarquer ?

— C’est l’enfance de l’art à condition qu’elle n’aille pas trop vite. Et avec cette neige… elle ne va sûrement pas courir la poste.

Après un vrombissement impressionnant on partit en effet à une allure modérée mais quand on atteignit la Goldenküste, Marie-Angéline fronça le sourcil : si Lisa était rentrée chez son père – et malheureusement cela y ressemblait beaucoup ! – les choses allaient se compliquer… bien que ce fût un peu fort que l’on ose opposer à la marquise de Sommières une fin de non-recevoir !

Mais ce ne fut qu’un moment d’inquiétude : la Bugatti dépassa la somptueuse demeure, parcourut encore un demi-kilomètre avant de pénétrer dans les jardins tirés au cordeau de ce qui s’annonçait comme la clinique Morgenthal.

— Parfait ! déclara Plan-Crépin à l’intention de son chauffeur. Vous pouvez me ramener maintenant à l’hôtel !

Au contraire d’un confrère parisien qui se serait sans doute livré à quelque commentaire, l’homme des Cantons opéra, cent mètres plus loin, un impeccable demi-tour et ramena sa cliente à bon port. Ce dont elle le remercia par un généreux pourboire.

— Voilà ! clama-t-elle en rejoignant Mme de Sommières. Je sais où elle est et je n’ai rien eu à demander à qui que ce soit : le cousin Gaspard m’a conduite tout droit à la clinique.

— Il est encore là ?

— Pourquoi voulons-nous qu’il abandonne si tôt son rôle de preux chevalier ? Il apportait même une brassée de roses. Rouges comme il se doit ! Couleur de la passion !

— Lisa préfère les roses blanches ! On dirait qu’il ne la connaît pas si bien ! Le fleuriste est loin ?

— À trois pas !

— Alors filez commander des roses blanches…

— Allons-nous ajouter un épisode à la guerre des Deux-Roses (2) en territoire helvétique ? C’est la blanche – celle d’York – qui a gagné. Ce serait de bon augure ! Outre qu’Aldo et Adalbert ont récupéré jadis le diamant qui la symbolisait !

— L’ennui, c’est que, par la suite, la rouge a repris du poil de la bête et s’est installée définitivement.

— Mais après un sérieux laps de temps ! Allez en commander !

Dans l’après-midi on récupéra les fleurs que Marie-Angéline avait fait livrer à la réception et un taxi – qui se trouva être le même que celui du matin ! – emmena les deux femmes à la maison de santé, mais cette fois franchit la grille et les déposa devant l’entrée où veillait un portier galonné comme dans un palace… Non sans satisfaction, Marie-Angéline avait noté qu’aucune Bugatti rouge n’était rangée dans l’espace réservé au stationnement.

Tante Amélie marcha d’un pas décidé à la réception :

— Je désire voir la princesse Morosini, dit-elle. Quelle chambre occupe-t-elle ?

La préposée à l’accueil des visiteurs était en train de remplir une fiche et sans bouger répondit :

— La princesse ne reçoit pas. Les visites sont interdites !

— Elle est si mal en point ? Pourtant, ce matin elle a reçu M. Gaspard Grindel, son cousin ! Et moi je suis sa tante, la marquise de Sommières, et je vous prie de me conduire à elle !

La femme consentit enfin à lever les yeux, considéra cette dame de si grande allure dans un manteau et une toque de zibeline, rougit et se précipita :

— Veuillez me pardonner, madame la marquise ! Je vous conduis. Si vous voulez bien me suivre ! ajouta-t-elle en débarrassant Marie-Angéline des fleurs qu’elle remit à une autre infirmière. Elle les mena dans un large couloir garni de quelques sièges. Plan-Crépin s’installa sur l’un d’eux pour attendre.

Dans une chambre aussi blanche qu’un igloo sur lequel les roses pourpres de Gaspard avaient l’air de taches de sang, Lisa reposait les paupières closes, les bras abandonnés le long du corps, si semblable à un gisant de cathédrale que Mme de Sommières fronça le sourcil : elle était l’image même de la sévérité.

— Lisa ! appela-t-elle.

La jeune femme tressaillit, tourna la tête, la regarda mais ne sourit pas :

— Tante Amélie ? J’avais pourtant spécifié que je ne voulais voir personne…

— Sauf votre cousin Gaspard ? rétorqua celle-ci en désignant les fleurs d’un mouvement de tête. Je vous ai connue plus courtoise, ma chère. Une femme de mon âge qui vient d’effectuer un voyage fatigant mérite au moins qu’on lui dise bonjour, non ?

— Si. Pardonnez-moi !… Et bonjour Tante Amélie… mais je préfère vous avertir tout de suite que vous perdez votre temps et que vous auriez pu vous épargner ce « voyage fatigant ». Il n’est pas difficile de deviner quelle cause vous venez tenter de plaider. Aldo est mort pour moi !

— Pas tout à fait heureusement, sinon je ne serais pas là, mais cela peut se produire à chaque instant. On ne réchappe pas aisément d’une balle dans la tête !

— Une balle dans… Et vous êtes ici ?

Lisa s’était redressée et, appuyée sur un coude, fixait sur sa visiteuse de grands yeux effarés.

Impavide, la vieille dame reprit :

— Je préférerais de beaucoup être à l’hôpital de Tours auprès de lui. Sa seule chance de vivre sans devenir idiot est dans les mains quasi miraculeuses du docteur Lhermitte, le chirurgien qui l’a opéré. Alors j’ai pensé que même si vous le détestiez, il serait préférable que je vienne vous l’apprendre moi-même. D’autant que vous venez de subir une nouvelle épreuve…

La porte s’ouvrit, livrant passage à l’infirmière apportant un vase plein de roses immaculées qu’elle vint déposer auprès des autres…

— Vous m’avez apporté des fleurs ?

— C’est normal, je crois, quand quelqu’un est hospitalisé ? Et je sais que vous les aimez blanches… tout au moins jusqu’à présent !

— Merci ! Qu’avez-vous fait de Marie-Angéline ? Vous auriez pu l’envoyer au lieu…

— … d’imposer cette fatigue à ma vieille carcasse ? Cela tient à sa façon un rien trop brutale de porter les nouvelles. Mais rassurez-vous elle n’est pas loin : tout juste à côté dans le couloir où elle doit être en train de se ronger les ongles.

— J’avoue que j’ai peine à vous croire…

— Voilà qui est franc au moins ! Vous avez peine à croire que nous soyons ici toutes les deux, laissant dans la solitude votre époux en danger de mort ? Il n’est pas seul : Adalbert ne le quitte pas… et le commissaire principal Langlois non plus. À ce propos, s’il ne vous a pas priée de revenir répondre à ses questions, c’est en raison de votre état. Il se peut d’ailleurs qu’il vienne ici !

— M’interroger ? Pourquoi ? Parce je n’ai pas jugé utile de rester plus longtemps dans cet affreux château où j’ai failli mourir ?

— Certes il aurait souhaité vous entendre mais il ne s’agit pas de cela !

— De quoi alors ?

— Mais… de la voiture qui vous attendait et de celui qui la conduisait. Comment avait-il pu arriver jusque-là alors que, par définition, les livreurs de rançon mettent en péril la vie des otages s’ils se font suivre par un tiers ?

— J’ignorais que mon cousin Gaspard avait réussi à suivre mes ravisseurs après qu’un de ses employés se fut rendu à la gare pour convoyer l’argent. Mais si sa présence a été pour moi la plus heureuse des surprises, je n’en ai pas été autrement étonnée. Non seulement Gaspard est le plus habile conducteur que je connaisse mais sa vue exceptionnelle lui permet de rouler la nuit sans allumer ses phares. Si c’est de cela que le commissaire Langlois souhaite m’entretenir, il est inutile qu’il se dérange : vous pourrez lui répéter ce que je viens de vous dire !

— Je ne pense pas que cela lui suffise. Certes, l’espèce de miracle qui l’a dirigé vers la Croix-Haute l’intéressera, mais celui qu’il veut avoir c’est le tireur.

— Le tireur ? Celui qui a blessé…

— Mortellement peut-être votre époux !

Devenue soudain rouge brique, la jeune femme se laissa retomber dans ses oreillers :