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— Il faut toujours connaître les repaires de l’ennemi ! clama, doctoral, Adalbert qui entrait un doigt en l’air. Moi, tu vois, je le sais ! La banque est sise boulevard Haussmann et l’appartement avenue de Messine. Autrement dit pas bien loin d’ici !

— Comment l’as-tu appris ?

— J’y suis allé à l’époque où tu sortais le soir avec une belle comtesse russe et qu’il te faisait suivre par un détective privé chargé de lui rendre un rapport destiné surtout à ta femme ! À ce moment-là il a si parfaitement joué son rôle de « grand frère » au cœur innocent que je l’avais trouvé sympathique !

— Pourquoi pas touchant ?

— Pourquoi pas en effet ! Pour l’heure présente je peux t’affirmer qu’il n’est pas rentré ! En attendant, on va faire un tour dans le parc avant le déjeuner ? Le temps est superbe et…

— Tu m’as assez promené comme ça. Ce dont je te remercie infiniment. D’abord j’attends Guy Buteau qui arrive de Venise pour me mettre au courant des affaires en cours. Ensuite dès qu’il sera reparti tu pourras m’emmener « faire un tour » à Zurich !

Un triple tollé qu’il écouta avec un sourire moqueur salua cette annonce inattendue :

— C’est hors de question ! fit Adalbert.

— Vous devenez fou ? s’indigna Plan-Crépin.

— Sois un peu raisonnable ! plaida Mme de Sommières. Tu n’es qu’à un tiers de ta convalescence !

— Ce qui me paraît tout à fait suffisant, Tante Amélie ! Je me sens dans une forme voisine de la perfection et si je ne me remue pas je vais faire du lard comme les indispensables anges gardiens de Langlois. Quant à toi, mon vieux, je ne t’oblige pas à m’accompagner ! De toute façon, je ne serai pas absent une éternité : juste l’aller et retour, histoire de me remettre en jambes !

— Et qu’est-ce que tu veux aller fabriquer à Zurich ?

— Bavarder avec le portier du Baur-au-Lac ! Je le connais depuis longtemps et je peux t’assurer qu’il ne me fera pas grandes difficultés pour me donner l’adresse de l’illustre comte de Gandia-Catannei ! Et si mon beau-père est de retour j’irai mettre les choses au point avec lui !

— Tu as l’intention de lui parler de son neveu ?

— C’est même par là que je vais entamer la conversation.

— Je ne sais pas si tu as raison… Va le voir si tu veux mais ne commence pas par taper sur Gaspard, conseilla Tante Amélie. Certes, Moritz t’a toujours montré de l’estime et même de l’affection mais lui c’est son neveu auquel il a confié sa plus importante succursale. En outre, il faut admettre qu’à ses yeux tu ne dois pas avoir le beau rôle, surtout s’il a gardé dans un coin de sa mémoire le souvenir de tes relations avec sa seconde épouse…

— C’était avant la guerre, j’avais vingt ans et elle était comtesse Vendramin, donc Kledermann était bien loin de s’inscrire dans son paysage ! Nous n’allons pas remonter aux calendes grecques et, n’importe comment, nous nous sommes expliqués là-dessus une fois pour toutes quand elle est morte !

— Du calme ! Je désirais seulement te faire comprendre qu’il n’est peut-être plus en aussi bonnes dispositions envers toi… Alors va le voir si tu y tiens mais vas-y doucement !

— Tante Amélie, ayez tout de même un peu confiance en moi, non ?

— Bien sûr que oui ! assura-t-elle, lénifiante. D’ailleurs je serais fort étonnée que tu t’y rendes seul. Adalbert te servira de régulateur !

— Ça, vous pouvez être tranquille, je ne le lâcherai pas d’une semelle !

Un coup de sonnette et l’ouverture du portail les précipitèrent tous dans le vestibule pour accueillir Guy Buteau, fondé de pouvoir de la firme Morosini après avoir été le précepteur d’Aldo. C’est lui qui avait communiqué à son élève la passion de l’Histoire et surtout celle des pierres précieuses qui en jalonnaient toutes les époques… sans compter l’art de choisir et de déguster un bon vin. La guerre les avait séparés mais quelques années plus tard, Aldo l’avait retrouvé à l’hôtel Drouot lors d’une vente de prestige à laquelle il venait assister en tant que spectateur car il se trouvait alors dans une gêne proche de la misère. Fou de bonheur de cette rencontre, Morosini l’avait pris sous son aile, rhabillé, ramené à Venise où Guy s’était épanoui comme une fleur sous l’arrosoir, mis au travail avec enthousiasme et était devenu rapidement le second patron de la maison.

C’était à présent un vieux monsieur élégant, encore très vert sous ses beaux cheveux blancs, dont les yeux bleus brillaient de joie en saluant Mme de Sommières et Marie-Angéline qui l’embrassèrent en lui souhaitant la bienvenue.

— Moi aussi je suis heureux d’être ici… et de constater que vous êtes redevenu vous-même, Aldo ! Toute votre maison s’est fait un sang d’encre à votre sujet…

— Vous voyez ! On dirait que ma chance tient bon. Bien que…

— On parlera de tout ça à table, coupa Mme de Sommières. Laisse Guy aller prendre possession de sa chambre et se rafraîchir ! Accompagnez-le, Plan-Crépin !

— Mais j’y vais, voyons ! protesta Aldo.

— Non. Toi tu restes où tu es ! Il faut que je te dise quelque chose. Vous m’excusez n’est-ce pas, Guy ?

Ce fut Adalbert qui se chargea de la réponse en déclarant qu’il y allait aussi. Resté face à sa grand-tante, Aldo la regarda presque sous le nez :

— C’est plutôt soudain, ce grand besoin de solitude à deux ? Qu’est-ce que vous mijotez, Tante Amélie ?

— Je ne mijote rien ! Ce serait davantage notre invité.

— Lui ? Qu’est-ce qui vous le fait dire ? Il est heureux comme tout d’être ici…

— Et de constater que tu vas beaucoup mieux. Il en éprouve même un soulagement !

— Vous parlez par énigmes maintenant ?

— Depuis le temps je le connais, peut-être mieux que toi ! Question d’âge… et d’expérience ! Évidemment il est heureux d’être ici et de nous revoir tous, toi en particulier, mais derrière tout ça, il y a un problème…

— Quel problème ?

— Je n’en sais rien mais ce dont je suis certaine c’est qu’il a quelque chose sur le cœur et que cela gâche une partie de sa joie !

Aldo ne répondit pas. D’un geste machinal, il prit une cigarette, l’alluma et alla vers une fenêtre ouvrant sur le parc Monceau.

— Il se pourrait que vous ayez raison, concéda-t-il. Il y a en effet comme un voile de tristesse dans ses yeux… J’aurais dû m’en rendre compte dès son arrivée… comme je l’aurais fait avant cet… accident ! lâcha-t-il mécontent.

— On donne dans les extrêmes maintenant ! Non, tu n’es pas en train de devenir gâteux, là !

— Vous avez de ces mots !

Il la regarda, eut un rire bref :

— Ils ont au moins l’avantage de vous remettre les idées en place. Quant à Guy on va lui faire lâcher sa mauvaise nouvelle, et sans tarder, sinon il ne digérera pas son déjeuner et Eulalie se mettra en grève !

Effectivement, à peine avait-on pris place autour de la table ronde que, laissant tout juste le temps à son vieil ami de déplier sa serviette, Aldo entamait le dialogue :

— Et si vous nous racontiez à présent ce qui vous tourmente tellement, mon cher Guy ? Je crois que vous vous sentirez mieux après !

L’interpellé se figea tandis que son regard surpris faisait le tour de la table – où deux autres l’étaient autant que lui ! – et revenait à Aldo :

— Comment avez-vous deviné ?

— Pas moi, mais Tante Amélie ! Rien ne lui échappe… et elle m’a prévenu pensant que cela ne pouvait concerner que moi ! Alors, allez-y ! Ensuite on pourra tous faire honneur aux petits chefs-d’œuvre d’Eulalie.

— Je voulais justement vous accorder encore cet agréable instant de rémission…

— C’est si grave que ça ?

— Oui… mais, après tout, il ne sert à rien d’atermoyer. Alors voilà : la princesse Lisa demande le divorce !

Un silence accueillit ces paroles, seulement troublé par le juron échappé à Cyprien qui apportait un plat et avait failli le laisser tomber. Pour sa part, Mme de Sommières se contenta de poser sa main sur celle d’Aldo devenu soudain livide et la sentit se crisper.