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Avec satisfaction, il observa qu’une lueur d’intérêt venait de s’allumer dans l’œil assombri de son ami. Qui émit, soucieux :

— En parlant de ce traitement tu penses à quoi ? Une drogue ?

— Nous y pensons tous ! Que ta femme se mette à te haïr au point de vouloir divorcer, arguer pour cela de sa double nationalité et annoncer même son intention de devenir huguenote alors que nous savons tous qu’elle est à présent sous la coupe de son cousin Gaspard, lequel Gaspard est acoquiné avec une résurgence des Borgia particulièrement teigneuse, relève du délire le plus absolu ! Et cela sous l’œil bienveillant de papa Kledermann et de la vieille comtesse Valérie ? Dans quel but ? Ne plus porter le même nom que ses enfants et risquer de se les faire enlever ?… Parce que je ne vois pas un juge, suisse ou pas, confier des petits à une mère à ce point déjantée ! Voilà ! À présent tu as la parole ! conclut-il en s’adjugeant un troisième verre de volnay.

Aldo ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait au point d’en oublier le mince rouleau de tabac dont le mégot incandescent lui brûla les doigts et le ramena à la réalité :

— Tu pourrais avoir raison.

— Bien sûr que j’ai raison ! C’est l’évidence ! Alors maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

— À ton avis ?

— La première chose est d’interroger Kledermann, mais encore faut-il arriver à mettre la main dessus ! Son secrétaire ne cesse de répondre qu’il prolonge son séjour en Angleterre…

— Ça ne lui ressemble pas beaucoup. Il faudrait demander à Warren de le faire surveiller et peut-être de le faire suivre discrètement quand il se décidera à rentrer. Ce séjour qui n’en finit pas m’inquiète. Une aussi longue absence jointe à la grande hâte de Lisa de se débarrasser de moi par voie légale après que l’on m’eut raté…

— Ah, tu commences à comprendre ? Grindel a entrepris de laver le cerveau de Lisa afin qu’elle se sépare de toi légalement puisque la balle dont on t’a gratifié a manqué son but – ce qui ne signifie pas que l’on ne remettra pas ça. Dès lors il tombera un gros pépin sur ton beau-père dont la fortune reviendra à sa fille que Grindel convaincra de l’épouser. Naturellement César-Ottavio aura sa part du gâteau…

— … qui pourrait fort être un morceau de la collection Kledermann. Il a l’air d’adorer les bijoux ce salopard ! Et pourquoi pas la totalité ? Quelle aubaine ce serait ! Seulement là, les deux associés…

— Pourquoi pas les trois ? La divine Lucrezia ne devrait pas rester inactive si je m’en réfère à mes souvenirs.

— Les trois si tu y tiens ! Quoi qu’il en soit, il y a un détail qu’ils ignorent sûrement, c’est le contenu du testament de Moritz !

— Tu le connais, toi ?

— Oui. Il m’en a parlé à l’époque de l’affaire Marie-Antoinette. La collection est destinée à Lisa bien sûr mais à condition qu’elle me soit confiée. Au cas où elle refuserait, ce seraient mes enfants qui en hériteraient. Ce qui revient au même.

— Sauf si on a réussi à t’éliminer d’une façon ou d’une autre… Conclusion…

— … je suis dans une effroyable mélasse et pour l’instant je ne vois pas du tout comment en sortir ! soupira Aldo en appuyant sa tête au dossier de son fauteuil.

— D’abord tu pourrais dire : nous ! Et pour l’amour de Dieu, tâche de ne pas te laisser envahir par une déprime qui vient du fait que tu dois avoir encore besoin de repos…

On frappa à la porte mais contrairement à ce qu’attendait Adalbert, c’est-à-dire Cyprien venu chercher le plateau, ce fut Marie-Angéline qui fit son apparition. Elle considéra le tableau, poussa un soupir et finalement suggéra :

— Notre marquise aimerait bien que l’un de vous – au moins ! – descende pour l’aider à consoler ce pauvre Guy qui est plongé dans un vrai désespoir !

— Allons bon ! Lui aussi ? s’alarma Adalbert en se levant. Tu as entendu Aldo ? Il est temps de te secouer !

— Il faut savoir ce que tu veux ! Il y a deux minutes tu disais que j’avais besoin de repos ! On vous suit, Angelina ! Et pardonnez-moi ! J’ai honte de me comporter comme je le fais !

— Les nouvelles de Vienne ne vous ont pas donné beaucoup de raisons de danser de joie mais au lieu de faire bande à part, il vaudrait peut-être mieux rassembler nos idées et en débattre tous ensemble, non ? Pour ma part j’en ai quelques-unes…

Les yeux rougis de son vieil ami furent la première chose qu’Aldo vit en regagnant le rez-de-chaussée. Sans un mot il alla le prendre dans ses bras puis :

— Pardonnez-moi, mon cher Guy ! J’ai honte de moi : je vous laisse la maison sur le dos avec, en plus, le crève-cœur d’avoir à délivrer le message le plus cruel qu’on vous ait jamais confié. Je vous avoue que j’ai été pris au dépourvu et que j’ai mal réagi mais nous allons examiner en famille la situation qu’on nous impose.

— C’est surtout par un avocat international qu’il va falloir la faire examiner ! dit Pierre Langlois arrivé depuis cinq minutes et qui sirotait tranquillement un café près d’un oranger en pot. C’est le document le plus aberrant qu’il m’ait été donné de lire.

Aldo le regarda avec une sorte de soulagement et parvint à sourire :

— Je ne sais pas quelle magie vous a fait surgir mais en vous voyant je me sens l’âme d’Aladin en face du génie de la lampe !

— Doucement ! Je ne suis pas là pour exécuter vos ordres ! Quant à la magie, c’est un simple coup de téléphone de Mme de Sommières. Cela posé, comment vous sentez-vous ?

— Plus solide que je ne l’aurais cru. C’est moralement que ça pèche ! Mais puisque le ciel vous envoie…

— Pas le ciel, rectifia Marie-Angéline qui tenait à la vérité : notre marquise !

— De toute façon, je serais venu… Mais pour l’amour de Dieu cessez de me regarder de cet œil d’espoir ! Je ne suis là que pour vous annoncer un problème de plus…

— Si vous le disiez d’abord à moi ? proposa Adalbert après avoir jeté un vif regard en direction de son ami.

— Pas question ! coupa celui-ci qui alluma une cigarette en réussissant à ne pas trembler. Allez-y, commissaire !

— Une communication de Warren : Kledermann a disparu !

Il n’y eut pas d’exclamations. Rien qu’un silence atterré que brisa Adalbert :

— On évoquait cette hypothèse il n’y a pas un quart d’heure. Avez-vous des précisions ?

— Plutôt courtes ! Il a quitté avant-hier le Savoy pour passer le week-end à Hever, dans le Kent, chez l’un de ses rares amis, lord Astor of Hever… et il n’y est jamais arrivé…

— Comment est-ce possible ?

— De la façon la plus bête du monde : lord Astor a envoyé la voiture chercher son ami au Savoy, une magnifique Rolls armoriée et tout, Kledermann est monté dedans et hop il a disparu ! On a retrouvé plus tard le véhicule dans un champ et, dans un bois, le chauffeur et le valet de pied ficelés à des arbres, les yeux bandés, en petite tenue et à moitié morts de froid. C’est un chasseur et son chien qui les ont découverts. Le chasseur les a déliés et a entrepris de les réchauffer tandis que l’épagneul retournait au logis avec dans son collier un appel à l’aide. Bien entendu les secours sont intervenus et les deux hommes ont pu raconter leurs malheurs. Oh, rien de très original : le coup classique de l’embuscade. Comme vous le savez le Kent est une région ravissante, pittoresque, idéale pour tendre un piège avec ses chemins creux, ses vieux arbres, ses rochers.

— L’examen de la voiture n’a rien appris à la police ? s’enquit Aldo.

— Absolument rien ! soupira Langlois. Ces gens-là sont au fait des dernières techniques de laboratoire et travaillent avec des gants, des masques et tout l’attirail. Lord Astor a récupéré une Rolls aussi anonyme – si je peux me permettre cette banalité à propos d’une aussi auguste mécanique ! – que si elle sortait de chez le constructeur. Je crois qu’il n’y avait même pas un grain de poussière ! Naturellement Warren a mis l’Angleterre tout entière sous surveillance.

— L’embêtant avec ce pays, observa Adalbert, c’est que la côte n’est jamais loin et que ce pauvre Kledermann peut à cette heure être n’importe où : en Belgique, en Hollande, au Danemark, etc.