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— C’est sûr ! Il m’apporte parfois des fleurs, ou des chocolats ! C’est mon péché mignon !

— Il aurait dû me le dire : je vous en aurais apporté… mais je pense que ce modeste remerciement vous permettra d’en acheter.

Le billet tentateur avait glissé doucement du portefeuille. Après quoi il reprit l’enveloppe et jeta un coup d’œil à sa montre :

— Il se fait tard et si vous pouviez avoir la gentillesse d’inscrire l’adresse…

En même temps il lui tendait son stylo qu’elle prit avec révérence :

— C’est que je n’ai pas le certificat d’études et j’écris très mal…

— Cela ne fait rien. Il est préférable que ce soit votre écriture ! Moi je ne suis jamais venu et vous ne m’avez pas vu.

Elle leva les yeux au plafond pour mieux rassembler ses souvenirs sans doute et s’appliqua à écrire.

— Voilà ! C’est M. Rolf Schurr (elle épela), Les Bruyères blanches… avenue de la Belle-Gabrielle à Nogent. Je ne sais plus si c’est 60 ou 94… C’est un vieux serviteur de son père qui l’a connu enfant et qui l’aime comme son fils. Le monsieur s’est marié sur le tard à une Française qui est morte en lui laissant un petit héritage. Ah… J’allais oublier ! À côté du nom il faut écrire deux lettres majuscules : PG. Ça veut dire que c’est pour lui !

— Je ne vous remercierai jamais assez ! Lui non plus d’ailleurs, commenta-t-il avec un rien d’ironie qu’il se reprocha aussitôt. Cette femme était peut-être la seule de tout le quartier qui aimât Grindel mais elle était sincère, allant même jusqu’à risquer le mécontentement d’un époux qu’elle semblait par ailleurs révérer ! Voyant qu’elle guettait la pendule, il se leva.

— Il est temps que je vous laisse. M. Branchu ne va peut-être pas tarder à rentrer ?

— Non… C’est à peu près son heure !

— Vous auriez dû me mettre à la porte ! Encore merci, madame Branchu ! J’espère avoir le plaisir de vous revoir un jour prochain…

— Est-ce que… vous pourriez me donner des nouvelles ? demanda-t-elle.

Cette brave femme s’inquiétait vraiment pour son locataire préféré.

— J’essaierai de vous en faire parvenir mais il se peut que Gaspard aille à l’étranger et que je le suive… Je ferai de mon mieux !

Il prit la main qu’elle n’osait pas lui tendre et sans aller jusqu’à l’effleurer de ses lèvres s’inclina dessus ce qui la fit rosir de plaisir… Puis, prenant son chapeau il s’esquiva avec la légèreté d’un elfe et rejoignit Adalbert qui tuait le temps en fumant comme une cheminée d’usine. Heureusement il faisait doux et les glaces étaient baissées.

— Ah, enfin ! C’était plutôt long !

— Je sais mais cela en valait la peine. Mme Branchu s’est autant dire confessée à moi !

— Ton charme irrésistible, n’est-ce pas ?

— Je préférerais mon air honnête ! Et figure-toi que j’en ai un peu honte. Cette pauvre femme est tout bêtement amoureuse de Grindel. Ce qui n’est pas le cas à l’égard de son époux qu’elle semble redouter. Elle me croit le meilleur ami de son idole et…

— Qui n’est pas la tienne alors laisse tomber tes états d’âme et raconte !

Ce qui fut vite fait. Vint la conclusion :

— Tu connais Nogent-sur-Marne, toi ?

— Encore assez ! Mais pas tout si ce n’est que c’est un coin agréable où on va danser le dimanche dans les guinguettes fleuries au bord de la Marne au son de l’accordéon en buvant du vin blanc et en mangeant une friture ! C’est là qu’habite… ?

— La boîte aux lettres de Grindel… et j’aimerais y aller ce soir.

— Moi itou ! Solution ! on passe chez moi et on interroge Théobald ! Il a les plans des banlieues de Paris grâce à l’Almanach du facteur que les PTT éditent pour les vœux de fin d’année. Il y en a en général de plusieurs villes… et comme nous savons être généreux chez nous…

— Vu ! Démarre !

Mais le majordome-factotum d’Adalbert n’eut pas besoin de se plonger dans de longues recherches :

— Je connais très bien Nogent. J’avais un oncle là-bas et quand on était petits mon frère et moi, on allait souvent à la pêche avec mon père. L’oncle avait un bateau sur la Marne.

— Et l’avenue de la Belle-Gabrielle, c’est au bord de l’eau ?

— Absolument pas ! C’est en lisière du bois et la nuit c’est assez désert mais plutôt chic. Pour y aller il faut traverser Vincennes en passant devant l’entrée du château et continuer tout droit. Quand on arrive sur Nogent, c’est des deux côtés de la route avant d’entrer dans la ville… Ces messieurs veulent que je leur serve de guide ?

— Je préfère que tu restes ici, dit Adalbert. Si par hasard on ne revenait pas tu pourrais envoyer le commissaire Langlois à notre rescousse… On ne prend jamais trop de précautions ! Ah !… N’oublie pas de téléphoner à Mme de Sommières pour qu’elle ne se tourmente pas si on rentre un peu tard !

— Comme je vais tomber sur Mlle du Plan-Crépin, elle voudra en savoir davantage !

— On ne peut pas dire ce qu’on ignore et étant donné que tu ne sais rien… pas même qu’on va danser dans une guinguette !

Bien que l’heure ne fût pas vraiment tardive, l’endroit était en effet désert et chichement éclairé par quelques becs de gaz disposés de loin en loin.

D’un côté c’était la dense épaisseur du bois de Vincennes, de l’autre quelques maisons, pourvues de jardins qui les tenaient espacées. Cossues, datant de la fin du siècle précédent et à l’évidence habitées – il y avait même une clinique apportant une note lumineuse et rassurante dans un univers obscur même si des lumières à certaines fenêtres de rez-de-chaussée ou derrière des volets clos signalaient la présence humaine.

Les Bruyères blanches étaient relativement éloignées, dans la partie remontant vers Fontenay. C’était, sous un toit en auvent, une maison bourgeoise en meulière adossée à des arbres devant laquelle une pelouse s’ornait en son milieu d’une corbeille de géraniums. Dans le fond on apercevait un garage. Elle était surélevée de cinq marches qui, d’un côté, formaient une terrasse sur laquelle des fenêtres étaient éclairées…

Adalbert qui roulait au ralenti allait arrêter la voiture quand deux « hirondelles » en bicyclettes surgirent de la nuit, les croisèrent et leur jetèrent un coup d’œil avant de poursuivre leur chemin.

— Faut trouver un coin où se garer au cas où ils reviendraient !

— Cela m’étonnerait. Ils doivent faire une ronde…

— Dans le doute…

Un peu plus loin on avisa l’angle d’une petite rue sans réverbères. L’endroit idéal ! On s’y rangea et on revint à pied vers l’objectif dont le premier obstacle ne leur avait pas échappé : une grille de fer forgé noir armée de pointes comme il se devait enchâssée entre des murets de parpaings où elle se continuait.

— Au boulot ! murmura Adalbert. Fais le guet !

Mais la serrure ne se défendit guère et le vantail s’ouvrit sans même un grincement. Par chance, l’allée contournant le motif central était revêtue de sable et non de gravillons. Cela permis à leurs pieds chaussés de crêpe d’atteindre les buissons sans susciter le moindre bruit. En revanche, celui qui leur parvint par une fenêtre ouverte – l’orage menaçait et l’on devait fumer à l’intérieur – était caractéristique.

— On joue au billard là-dedans ! souffla Aldo.

Avec mille précautions ils se glissèrent dans la haie qui, peu épaisse, ne leur donna guère de difficulté et se redressèrent jusqu’à ce que leurs yeux atteignissent le ras de la fenêtre.

Le meuble principal de ce salon, meublé à l’anglaise et confortable, était en effet un magnifique billard. Il y avait là trois hommes. L’un âgé et d’une surprenante beauté sous ses cheveux blancs fumait un cigare dans un fauteuil roulant auprès d’un guéridon supportant des verres et des flacons. Il regardait les autres, nettement plus jeunes et qui semblaient absorbés par leur jeu. L’un d’eux était Gaspard Grindel – c’était lui qui jouait ! –, le second, à peu près du même gabarit et offrant quelque ressemblance avec lui, l’observait tout en remettant de la craie bleue sur l’embout de sa canne.