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— Le lac ? Vous faites allusion à Lugano ? demanda Adalbert.

— Ça me paraît naturel puisque c’est son fief, et si je crois ce que l’on a dit, ce n’est pas la place qui manque !

— Oui, mais il y a plus de trois mois que la baraque est sous surveillance de jour comme de nuit et, à part une vieille folle qui se prend pour une infante en exil, on n’a jamais rien trouvé ! Or amener d’Angleterre jusqu’à Lugano un corps du gabarit de Kledermann doit tout de même présenter quelques difficultés !

Le résultat de ce débat animé fut que personne ne dormit beaucoup cette nuit-là à l’hôtel de Sommières et qu’en se rendant Quai des Orfèvres le lendemain matin, les deux hommes n’étaient pas au meilleur de leur forme.

L’accueil qu’ils reçurent du grand chef n’était pas fait pour les réconforter. Il était visiblement à cran :

— Un appartement en désordre, hein ? Des paperasses un peu partout ? Il ne manquait guère que des fleurs…

Aldo monta aussitôt au créneau :

— Il aurait pu y en avoir. On a oublié de vous dire que c’est la concierge qui fait le ménage chez Grindel et comme elle a un petit faible pour lui…

— Je croyais qu’il était mal vu de tous les voisins ?

— Parce qu’il est peu aimable, avare et a le porte-monnaie coincé ! Ce qui n’atteint pas Mme Branchu qui, au contraire, le porte aux nues… à condition que les oreilles de son mari ne traînent pas dans le voisinage.

— Comment le savez-vous ?

— J’ai pris la peine d’aller bavarder avec elle en me présentant pour ce que je suis d’ailleurs : un cousin par mariage… de Grindel.

— Nom et titre compris ?

— Absolument ! Nous avons été très vite bons amis. D’autant plus que me disant inquiet pour Gaspard, il fallait à tout prix lui éviter de rentrer chez lui durant quelques jours. Aussi sachant quelle confiance il avait en elle, j’avais préparé une lettre que je la priai instamment de lui faire parvenir s’il lui avait laissé une adresse ou un numéro de téléphone comme il est normal de le faire en cas d’urgence. L’enveloppe était timbrée mais sans suscription et je l’ai posée devant elle en laissant apparaître le coin d’un billet de banque.

— Et elle a pris le paquet en vous disant qu’elle ferait le nécessaire puis vous a dit « au revoir » ? J’imagine qu’ensuite vous l’avez guettée quand elle est allée la porter à la boîte ?

— Pour l’assommer plus ou moins ? Vous me prenez pour qui ? Elle a réagi comme je l’espérais quand je lui ai présenté mon stylo…

— Un Montblanc hors de prix qui lui a fait perdre ses moyens, susurra Adalbert…

— Tais-toi !… et m’a donné ce que je voulais : l’adresse d’un pavillon à Nogent où vit un ancien serviteur des parents Grindel. Un vieux Suisse nommé Rolf Schurr qui y a pris sa retraite après la mort de sa femme française. Voilà ! Maintenant j’attends vos reproches !

— Donnez-moi cette adresse !

Aldo respira à fond :

— À une condition !

— Quoi ? Vous perdez la tête, ma parole !

— Oh, que non ! J’expliquerai après…

Langlois tourna alors sa colère contre Adalbert :

— Et vous ? Vous restez là sans rien dire ? Que votre copain en prenne à son aise avec la police française passe encore : il est italien…

— Vénitien ! rectifia Morosini impavide.

— Mais vous, Vidal-Pellicorne, vous êtes bien français, il me semble ?

— Jusqu’au bout des ongles… mais vous nous connaissez assez, monsieur le commissaire principal, pour savoir que s’il nous arrive de dépasser quelque peu les limites de la loi, c’est toujours pour le bon motif. Et dans le cas présent, c’est de la vie des siens qu’il s’agit !

— Ça va ! La condition ?

— Vous vous abstenez d’y envoyer vos troupes de choc mais vous mettez le téléphone sur écoute. J’avoue ignorer le numéro mais vous le trouverez facilement ! Cela vous paraît excessif ?

— Non… pour le moment. Que voulez-vous savoir ?

— L’endroit où aura lieu la prochaine rencontre, voyons ! Grindel ne peut pas faire autrement que livrer une partie de la collection…

— Et si Gandia se contente d’une phrase dans le genre : « là où vous savez ! » ou encore « là où nous nous sommes rencontrés la première – ou la dernière – fois », que ferez-vous ?

— On suivra, grogna Adalbert. Vous devez penser qu’on ne va pas le laisser batifoler dans la nature sans surveillance !

— Comprenez-moi ! reprit Morosini. La collection Morosini m’importe peu. Ce que je veux, à n’importe quel prix, c’est sauver mon beau-père. Je ne supporte pas l’idée de le savoir aux mains d’une bande d’aigrefins qui jouent du couteau pour un oui ou pour un non ! Je veux le ramener à Lisa ! Outre l’amitié profonde que j’éprouve pour lui, ce sera la meilleure façon de me faire pardonner et de retrouver ma famille !

Malgré l’arrogance affichée, le désespoir était flagrant dans cette voix et Langlois ne s’y trompa pas :

— Allons ! Vous savez que nous sommes prêts à tout pour vous aider ! Puis changeant brusquement de ton : Parce que voilà cinq minutes que nous parlons dans le vide et que cela me donne la mesure du degré de perturbation que vous avez atteint… tous les deux ! ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous faites toute une histoire de me donner une adresse dont vous voulez que je surveille le téléphone ! De deux choses l’une : ou ce Schurr l’a et l’annuaire m’indiquera cette adresse, ou il ne l’a pas et je ne vois pas vraiment ce que je pourrais surveiller !

— Ou il n’est pas à l’annuaire ! fit Adalbert rogue.

— Si c’est une maison respectable – même seulement en apparence ! – et non un repaire de malfrats, il est impossible qu’il en soit autrement !

— Ça va, on est battus ! soupira Adalbert : les Bruyères blanches, 8, avenue de la Belle-Gabrielle à Nogent-sur-Marne. C’est une maison tout ce qu’il y a de convenable ! Enfin, elle en a l’air !

— Voyons si elle en a la chanson ! Je vais coller dessus l’inspecteur Sauvageol que vous connaissez peut-être ?

— Non. C’est lui que vous aviez envoyé à Lugano ?… Où il n’a pas trouvé grand-chose, il me semble ? dit Morosini.

— Suffisamment pour m’intriguer ! Il se peut que je l’y renvoie pour vérifier un curieux bruit : Gandia aurait vendu sa propriété afin de la transformer en clinique de luxe pour malades mentaux et comme Sauvageol s’est fait de nombreuses… relations dans la population…

— Gandia, vendre la Malaspina ? Ça m’étonnerait, répondit Aldo. Pourquoi le ferait-il ? C’est son fief familial depuis des décennies, pratiquement à cheval en outre sur une frontière. De plus les lois helvétiques lui sont plutôt favorables. Où trouverait-il meilleure base pour ses… activités ?

— Il se peut qu’il veuille couper définitivement les ponts avec la vieille Europe et, en vue de cela, réaliser deux gros coups : la moitié de la collection Kledermann… et de la vôtre, Morosini. Après cela l’Amérique, l’Australie ou les Indes, qui peut savoir ? N’oublions pas que personne ne sait où est passée sa sœur à laquelle l’attache un sentiment trouble…

— L’Amérique me paraît impossible ! Elle y était trop connue !

— C’est immense, les États-Unis. Pour une comédienne de sa classe il doit être possible de s’y recréer une vie somptueuse… et pas fatalement au Texas !

— Je pencherais plutôt pour le Brésil ! fit rêveusement Adalbert. Il est encore plus facile de s’y refaire une nouvelle vie… et en plus les pierres précieuses – n’oublions pas la passion de Gandia pour les joyaux ! – y poussent comme les pissenlits après la pluie !

— Quoi qu’il en soit, coupa Aldo en se levant pour partir, la priorité absolue c’est d’être présent à l’entrevue de ces deux salopards !