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— Cordon bleu ! rectifia Plan-Crépin. Et qu’est-ce qu’il vous prépare ?

— Cuisine polonaise ! Du chou… plein de chou ! Et des quenelles à l’eau ! Du poulet bouilli…

— Mais aussi des gâteaux, j’espère ? glissa la marquise. Dans leurs pâtisseries on mange de délicieux gâteaux !

— Ça, il ne sait pas faire. Alors on l’envoie en acheter en ville ainsi que des pizzas. On a beaucoup regretté le départ du jeune policier !…

Mme de Sommières prit un temps puis susurra :

— Je vois ! Dites-moi un peu, mon bon ami, quand nous sommes arrivées ce n’est pas ma femme de chambre que vous cherchiez ? C’est bel et bien ma cuisinière ! Seulement ce n’est pas dans les habitudes des dames en voyage d’emmener la leur ! Eulalie aurait poussé les hauts cris si j’avais osé seulement une allusion ! Bon, je vais le prendre en main, votre Boleslas.

— Nous n’allons pas faire la cuisine pour ce tas d’hommes ignares ! protesta Plan-Crépin choquée.

— Ma chère enfant, vous n’imaginez pas le nombre de soi-disant cuisinières que j’ai dressées avant d’arracher notre Eulalie à ma grand-mère ! Sans grande peine d’ailleurs : Bonne Maman Feucherolles se nourrissait exclusivement de soupes aux légumes, d’œufs à la coque où elle trempait ses mouillettes beurrées, de fromage blanc et de compotes de pommes, étant donné l’absence de ses dents. Je vais l’éduquer, ce Boleslas. Cela me procurera une distraction et vous irez au marché avec lui !

Wishbone ne pipa mot mais le rétroviseur restitua cette fois un sourire épanoui dont on se hâta de diminuer l’enthousiasme en lui tapant sur l’épaule :

— Eh là, jeune homme ! Ne nourrissez tout de même pas d’espoirs insensés ! Eulalie est exceptionnelle et ce n’est pas moi qui l’ai formée… Et… à part la cuisine, que fait-il au juste, votre Boleslas ?

— Le ménage. Il n’aime pas mais il le fait à la perfection et il n’y manque rien. Boleslas s’est même levé avant l’aube pour cueillir des fleurs.

— Allons, c’est déjà ça ! Ne faites pas cette tête, Plan-Crépin ! Admirez plutôt le paysage ! Il est tout bonnement ravissant !

On roulait à présent le long du lac d’où l’on découvrait, sur un fond de montagnes où s’attardaient des plaques de neige, de douces collines tapissées de vignes et de jardins, ponctuées de petits villages et de grandes villas, de bois de châtaigniers et de noyers.

— Voit-on d’ici votre maison et sa voisine ? demanda Marie-Angéline.

Pour toute réponse, Wishbone arrêta la voiture et la fit descendre :

— Ça c’est le mont Brè… commença-t-il.

— Oh ! Il y a un téléphérique ! J’adore les téléphériques !…

— Vous pourrez l’utiliser tant que vous voudrez… à condition de descendre le prendre à la station. Quant à notre maison elle n’est pas très belle mais sa tour adjacente que vous voyez là-bas est fort commode. C’est la villa Hadriana ! D’ici vous pouvez seulement apercevoir un coin de la Malaspina qui est légèrement en contrebas… que vous verrez plus en détail de chez nous !

Du fond de la voiture, une voix indignée leur parvint :

— Vous allez avoir tout le temps de vous adonner au tourisme, Plan-Crépin ! Et moi je meurs d’envie d’une bonne tasse de café !

— Ça, Boleslas sait faire ! Et même très bon ! rassura Wishbone en réembarquant.

Quelques minutes plus tard, on était à destination et le professeur redevenu lui-même par la grâce d’un costume de coutil clair, d’une cravate foulard et d’une paire de moustaches en voie de reconstruction offrait à son ex-belle-sœur sa main pour l’aider à descendre :

— Ma chère Amélie, je n’ai jamais été aussi content de vous voir !

— Je veux bien le croire, Hubert. Je veux bien le croire…

Après quoi, quand, lui ayant baisé la main, il la fit entrer dans le salon, elle braqua sur lui son face-à-main :

— Vous avez une mine superbe et vous êtes… fort élégant, ma foi ! Mais j’aurais aimé pouvoir vous admirer dans le rôle d’Amélie de Sommières ! Ne me ferez-vous pas la faveur d’une représentation particulière ? Cela me ferait tellement… mais tellement plaisir !

— Afin de vous offrir une petite récréation en vous payant ma tête ? grogna-t-il. N’y comptez pas !

Ravie d’avoir réussi à le mettre de mauvaise humeur d’entrée de jeu, elle le gratifia d’un sourire moqueur :

— Savez-vous que je pourrais vous demander des droits d’auteur ? Après tout c’est du plagiat ! À moins que ce ne soit de la caricature ? Qu’en dites-vous ?

— Allez au diable ! On n’aurait jamais dû vous laisser venir ! J’aurais dû me douter que vous n’auriez rien de plus pressé que de me pourrir la vie…

— Il faut vous faire une raison… Par exemple en pensant à la confortable amélioration que je vais apporter à vos menus !

— Vous allez faire la cuisine, vous ?

— Ne rêvez pas ! Je n’ai pas envie de repartir l’estomac ravagé. Aussi vais-je donner quelques leçons à votre… tournant légèrement les talons, elle braqua son objectif sur le Polonais… Boleslas ? C’est bien ça ?

— Tout à fait, madame la marquise. Tout à fait !

— À merveille ! Commencez donc, mon ami, par nous faire un café ! Il paraît que c’est une de vos réussites ?

Et c’est ainsi que Mme de Sommières et Marie-Angéline du Plan-Crépin firent leur entrée à la villa Hadriana !

Enchantée d’elle-même, Tante Amélie prit possession avec grâce de sa chambre – la plus spacieuse de la maison, préparée et fleurie pour elle et d’où l’on découvrait la ville de Lugano et la rive occidentale du lac inondée de soleil. Un cabinet de toilette la séparait du logis de Plan-Crépin et, du balcon sur lequel ouvraient leurs fenêtres, on avait une excellente vue sur les jardins et la terrasse de la Malaspina, mais aucune sur l’arrière dissimulé par un épais bouquet d’arbres.

— Il faudra aller se rendre compte sur place, murmura Marie-Angéline pour elle-même. Heureusement le mur n’est pas très haut !

— Avant de partir en exploration, venez plutôt défaire les valises ! À moins que vous ne préfériez sortir juste le nécessaire ! Je vous avoue franchement que j’ai de moins en moins envie de m’éterniser dans cette baraque alors que j’aperçois là-bas l’ex-villa Merlina devenue un agréable hôtel dont j’ai gardé le souvenir !

— Nous sommes déjà venue ici ?

— Oh, il y a longtemps ! C’était bien avant que vous n’arriviez !…

— Nous étions seule ?

— Non. J’étais avec… (elle émit un toussotement)… des amis. Que j’ai perdu de vue depuis des décennies !

Et soudain nerveuse, elle rentra dans sa chambre, laissant Marie-Angéline trouver une réponse à l’énorme point d’interrogation qui venait de fleurir dans son cerveau. Se pouvait-il que sa marquise ?… Mais non ! Qu’est-ce qu’elle allait chercher ? Néanmoins, elle ne put s’empêcher de se livrer à un rapide calcul entre le départ du défunt marquis vers les sphères célestes et sa propre arrivée. Il s’était écoulé un grand nombre d’années dont elle ne savait pratiquement rien si ce n’est que l’on avait mené une vie mondaine dont on avait gardé – à travers l’Europe d’ailleurs ! – quantité d’amis.

Elle en resta là de ses cogitations. À l’intérieur elle entendit Mme de Sommières se moucher puis :

— Alors ? Vous les défaites ces valises ? À moins que vous ne préfériez reprendre le prochain train ! Au fond, c’est peut-être ce qui serait préférable…

— Je viens, je viens ! se hâta-t-elle de répondre en se précipitant sur les bagages qu’elle défit en un temps record, tenant essentiellement à séjourner dans cette maison qui parlait trop à son imagination pour l’abandonner si vite ! Ce qui ne serait peut-être pas si facile. Sans en avoir fait mention, elle redoutait en effet la cohabitation entre Combeau-Roquelaure et celle qu’il appelait le « vieux chameau » il n’y avait pas si longtemps. Et si maintenant s’y ajoutait un « souvenir » qu’elle n’osait pas qualifier, la tâche serait rude et il allait falloir s’accrocher !