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– Certes, de tout mon cœur, répondit le greffier. Et Dieu veuille qu'il réussisse à disculper monsieur de Boiscoran, quand ce ne serait que pour rabaisser un peu le caquet de mon cher patron.

– Ah! monsieur Galpin-Daveline triomphe!

– Sans la moindre pudeur. Il voit déjà son ancien ami au bagne! Il a reçu de monsieur le procureur général une nouvelle lettre de félicitations, et il est venu hier, à l'issue de l'audience, la montrer à qui voulait la lire. Tous ces messieurs l'ont complimenté, sauf monsieur le président, toutefois, qui lui a tourné le dos, et monsieur le procureur de la République, qui lui a dit en latin de ne pas vendre la peau de l'ours avant qu'il fût par terre…

Déjà, depuis un moment, on commençait à entendre des pas dans les corridors.

– Vite une dernière recommandation, fit maître Folgat. Goudar tient à dissimuler sa personnalité, ne parlez de lui à âme qui vive. Et surtout ne vous étonnez pas du costume sous lequel il vous apparaîtra…

Le bruit de la porte qui s'ouvrait lui coupa la parole.

Un juge entra, qui après avoir salué fort civilement se mit à demander au greffier une multitude de renseignements au sujet d'une affaire qui venait au rôle le jour même.

– Au revoir, monsieur Méchinet, dit le jeune avocat.

Et, reprenant sa course, il alla sonner à la porte du docteur Seignebos.

– Monsieur le docteur est sorti, répondit le domestique, mais il va rentrer, et il m'a recommandé de prier monsieur de l'attendre dans son cabinet.

La preuve de confiance que donnait le docteur à maître Folgat était inouïe, en lui permettant de rester seul dans le sanctuaire de ses méditations.

C'était une pièce immense, tout encombrée d'objets disparates et incohérents, et qui du premier coup révélait les idées, les opinions, les goûts et les aspirations du médecin. Ce qui frappait, dès l'entrée, c'était, sur la cheminée, un admirable buste de Bichat, flanqué des bustes plus petits de Robespierre à droite et de Rousseau à gauche. Une horloge du temps de Louis XIV, dressée entre les deux fenêtres, battait les secondes avec des grincements de vieille ferraille. Tout un des côtés était occupé par une bibliothèque de bois noir bondée, à défoncer, de livres de toutes sortes, brochés ou habillés de reliures qui auraient bien fait rire M. Daubigeon. Un de ces meubles comme on en fabrique pour classer les herbiers disait la passion passagère du docteur pour la flore de Sauveterre. Une machine électrique rappelait le temps où le docteur s'était engoué de l'électrothérapie.

Sur la table, placée au milieu de la pièce, des montagnes de bouquins trahissaient les récentes études du médecin. Tous les auteurs qui se sont occupés de la folie et de l'idiotie étaient là, depuis Apostolidès jusqu'à Tardieu, en passant par Broussais et Fodéré, par Spurzheim, Guardia, Marc, Esquiros, Blanche et vingt autres encore.

Maître Folgat achevait l'inventaire quand le docteur Seignebos entra, toujours comme une trombe, mais beaucoup plus joyeux que de coutume.

– Je savais bien, parbleu, que je vous trouverais ici! s'écria-t-il dès le seuil. Vous venez me demander un rendez-vous pour Goudar.

Le jeune avocat tressauta.

– Qui a pu vous le dire? fit-il abasourdi.

– Goudar en personne! Il me plaît, à moi, ce garçon. Évidemment on ne saurait me suspecter de tendresse pour tout ce qui, de près ou de loin, tient à la préfecture, moi qui ai traversé la vie avec des mouchards à mes trousses… Mais votre homme me raccommoderait presque avec la police.

– Quand l'avez-vous vu?

– Ce matin, à sept heures. Il s'ennuyait si prodigieusement de perdre son temps dans son galetas du Mouton-Rouge, que l'idée lui est venue de feindre une indisposition et de m'envoyer chercher. J'y suis allé, et j'ai trouvé une manière de ménétrier de campagne qui m'a paru se porter comme un charme. Mais dès que nous avons été seuls, il m'a dégoisé toute son affaire, en me demandant mon opinion et en me disant ses idées. Maître Folgat, ce Goudar est très fort, c'est moi qui vous le dis, et nous nous sommes parfaitement entendus…

– Vous a-t-il donc expliqué ce qu'il compte faire?

– À peu près… Mais il ne m'a pas autorisé à le divulguer. Patience, laissez faire, attendez, et vous verrez que le vieux Seignebos a encore un certain flair!

Et, ce disant d'un air de fatuité superbe, il retirait, essuyait et replaçait sur son nez ses lunettes d'or.

– J'attendrai donc, dit le jeune avocat, et puisque voici ma commission faite, je vous demanderai la permission de vous entretenir d'une autre affaire… Je suis chargé par monsieur Jacques de Boiscoran de voir la comtesse de Claudieuse.

– Fichtre!

– Et de tâcher d'obtenir d'elle un moyen de nous disculper…

– Va-t'en voir s'ils viennent!

Difficilement, maître Folgat dissimula un mouvement d'impatience.

– J'ai accepté cette mission, fit-il d'un ton sec, je tiens à la remplir.

– Je le comprends, mon cher maître, seulement vous n'arriverez pas jusqu'à madame de Claudieuse. Le comte est très mal, elle ne quitte pas son chevet et ne reçoit même pas les personnes de son intimité.

– Et cependant, il faut que je parvienne jusqu'à elle… Il faut à tout prix que je lui remette en mains propres le billet que m'a confié mon client. Et, tenez, docteur, je vais être franc avec vous. C'est parce que je prévoyais des difficultés que je viens vous demander un moyen de les surmonter ou de les tourner.

– À moi!

– N'êtes-vous pas le médecin du comte de Claudieuse?

– Dix mille diables! s'écria M. Seignebos, vous ne doutez de rien, vous autres avocats! (Et plus bas, répondant plutôt aux objections de son esprit qu'à maître Folgat): Certainement, grommelait-il, je soigne monsieur de Claudieuse, dont, entre parenthèses, la maladie déroute toutes mes conjectures, mais c'est pour cela précisément que je ne puis rien. Notre profession a des règles qu'on ne saurait enfreindre sans compromettre la dignité du corps médical tout entier.

– Mais il y va de l'honneur et de la vie de Jacques, monsieur, d'un ami…

– Et d'un coreligionnaire politique, c'est très vrai. Mais je ne puis vous aider sans abuser de la confiance de madame de Claudieuse…

– Eh! monsieur, cette femme n'a-t-elle pas commis le crime pour lequel monsieur de Boiscoran, innocent, va passer en cour d'assises…

– Je le crois, et cependant… (Il se tut, réfléchissant, jusqu'à ce que soudain, prenant son chapeau à larges bords et l'enfonçant d'un coup sec sur sa tête): Au fait! s'écria-t-il, tant pis! Il est des intérêts sacrés qui priment tout! Venez…

25

C'est rue Mautrec qu'après l'incendie du Valpinson étaient venus s'établir provisoirement le comte et la comtesse de Claudieuse. La maison louée pour eux par le maire, M. Séneschal, a été pendant plus d'un siècle la demeure de la famille de Juliac et passe pour une des plus anciennes et des plus magnifiques de Sauveterre.

En moins de dix minutes, le docteur Seignebos et maître Folgat y furent arrivés.

De la rue on n'aperçoit qu'un grand mur, contemporain du château, à ce que prétendent les archéologues, et tout fleuri de pariétaires, de giroflées et de gueules-de-lion. Dans ce mur est encastrée une lourde porte à deux battants. Le jour, on ouvre un de ces battants et on le remplace par un portillon à claires-voies, qui, dès qu'on le pousse, met en mouvement une sonnette. On traverse alors un grand jardin où une douzaine de statues, vertes de mousse, s'émiettent sur leur piédestal à l'ombre des vieux tilleuls plantés en quinconce.