Выбрать главу

Jamais sourire ne fut plus faux que celui que le docteur Seignebos, non sans un grand effort de volonté, maintenait sur ses lèvres.

– Tu as rêvé cela, Marthe…, fit-il.

Ce fut la bonne, jusque-là silencieuse, qui répondit:

– Mademoiselle ne rêvait pas, prononça-t-elle. Moi aussi, j'avais entendu les détonations, et j'avais ouvert la porte de ma chambre pour savoir ce que ce pouvait être, quand j'ai vu madame traverser le palier en deux sauts et se lancer dans l'escalier…

– Oh! je ne discute pas, interrompit le docteur, du ton le plus indifférent qu'il put prendre, qu'importe cette circonstance.

Mais la fillette tenait à achever son récit:

– Maman partie, continua-t-elle, l'inquiétude me prit, et je me soulevai sur mon lit, prêtant l'oreille… Je ne tardai pas à entendre des bruits que je ne connaissais pas, des craquements et des pétillements, et aussi comme des cris dans le lointain. La peur me prenant, je sautai à terre, et je courus ouvrir la porte. Mais je faillis être renversée par un tourbillon de fumée et d'étincelles… Pourtant je ne perdis pas la tête. Je réveillai ma petite sœur, je la pris dans mes bras, et j'allais essayer de gagner l'escalier quand Cocoleu arriva comme un fou, qui nous enleva toutes deux et nous emporta…

– Marthe! cria une voix de la maison, Marthe!

L'enfant interrompit court son histoire.

– C'est maman qui m'appelle, dit-elle. (Et, faisant une belle révérence): Au revoir, messieurs…

Déjà Marthe avait disparu, que Seignebos et maître Folgat restaient encore plantés sur leurs pieds, se regardant d'un air de suprême détresse.

– Nous n'avons plus rien à faire ici, docteur, dit enfin le jeune avocat.

– En effet, rentrons, et même hâtons-nous, car on m'attend peut-être… Vous déjeunez avec moi…

Ils se retirèrent alors, la tête basse, et à ce point abîmés dans leurs réflexions qu'ils oubliaient de rendre les coups de chapeau qu'on leur tirait le long des rues, circonstance qui fut remarquée de plusieurs bourgeois.

En arrivant chez lui:

– Deux couverts, dit le docteur à son domestique, et monte une bouteille de vin de Médis… (Et lorsqu'il eut conduit l'avocat à son cabinet de travail): Maintenant, commença-t-il, que pensez-vous de l'aventure?

Maître Folgat eut un geste de douloureux abattement.

– Je m'y perds! murmura-t-il.

– Peut-on admettre que madame de Claudieuse ait fait le mot à sa fille?

– Non.

– Et à sa femme de chambre?

– Encore moins. Une femme de cette trempe ne se confie à personne; elle combat, triomphe ou succombe seule.

– Donc la bonne et l'enfant nous ont dit la vérité.

– Je le crois fermement.

– C'est ma conviction… Alors, elle n'est pour rien dans le meurtre de son mari?

– Hélas!

Ce que maître Folgat ne remarquait pas, c'est qu'un victorieux sourire éclairait la physionomie du docteur Seignebos. Il avait retiré ses lunettes d'or, et les essuyant vigoureusement:

– Si la comtesse était innocente, reprit-il, Jacques serait donc coupable! Jacques nous aurait donc dupés tous…

Maître Folgat secouait la tête.

– De grâce, docteur, fit-il avec un effort, ne me pressez pas ainsi, laissez-moi me recueillir, rassembler mes idées. Je suis épouvanté de mes conjectures. Non, monsieur de Boiscoran ne nous a pas menti, et assurément madame de Claudieuse a été sa maîtresse. Non, il ne nous a pas trompés, et certainement le soir du crime, il a eu une entrevue avec la comtesse. Marthe ne nous a-t-elle pas dit que sa mère était sortie? Où allait-elle, sinon au rendez-vous? Seulement…

Il hésitait.

– Oh! allez, allez, dit le médecin, vous n'avez rien à craindre de moi…

– Eh bien, il se pourrait qu'après que madame de Claudieuse a eu quitté monsieur de Boiscoran, la fatalité s'en fût mêlée. Monsieur de Boiscoran nous a conté comment les lettres qu'il brûlait s'étaient enflammées tout à coup, avec une telle violence qu'il en avait été effrayé. Qui nous dit qu'une flammèche emportée par le vent n'a pas mis le feu aux paillers! Tirez les conséquences. Au moment de se retirer, monsieur de Boiscoran aperçoit ce commencement d'incendie; il court essayer de l'éteindre; ses efforts sont inutiles, la flamme gagne de proche en proche, elle grandit, elle illumine déjà toute la façade du château… À ce moment, monsieur de Claudieuse sort… Monsieur de Boiscoran se croit surpris, il voit ses amours dévoilées, son mariage rompu, sa vie manquée, son avenir brisé, son bonheur anéanti… Il perd la tête, il ajuste le comte, il fait feu et s'enfuit éperdu… Et ainsi s'explique la maladresse des coups et aussi cette circonstance jusqu'ici inexplicable d'un assassinat tenté avec du plomb de chasse…

– Malheureux! interrompit le docteur.

– Quoi! Qu'ai-je dit?

– Gardez-vous de jamais répéter ceci. Telle est l'effroyable vraisemblance de votre hypothèse que, si elle s'ébruitait, vous ne trouveriez plus personne pour vous croire le jour où vous direz la vérité.

– La vérité!… Vous pensez donc que je m'abuse?

– Positivement. (Et rajustant ses lunettes): Ce que je ne pouvais admettre, reprit M. Seignebos, c'était que madame de Claudieuse eût de sa main fait feu sur son mari… J'avais raison. Elle n'a pas commis le crime, matériellement, elle l'a seulement commandé…

– Oh!…

– Serait-elle donc la première? Voilà mon hypothèse, à moi: avant de rejoindre Jacques au rendez-vous, madame de Claudieuse avait pris son parti et combiné ses mesures. L'assassin était à son poste. Si elle eût réussi à ramener Jacques, le complice désarmait son fusil et allait tranquillement se coucher. N'ayant pu obtenir que Jacques renonçât à son mariage, résolue à se faire libre pour l'empêcher, elle a donné le signal, l'incendie a été allumé et on a tiré sur le comte.

Le jeune avocat ne semblait pas absolument convaincu.

– En ce cas, il y aurait eu préméditation, objecta-t-il, et alors, comment le fusil n'était-il chargé que de cendrée?

– C'est que le complice manquait d'intelligence…

Encore bien qu'il eût prévu où tendait le docteur, maître Folgat se dressa vivement.

– Toujours Cocoleu! fit-il.

Du bout du doigt, M. Seignebos se toucha le front.

– Quand une idée est entrée là, répondit-il, elle y est solidement fixée… Oui, madame de Claudieuse a un complice, et ce complice est Cocoleu. Et si l'intelligence lui a fait défaut, vous voyez jusqu'où ce misérable idiot pousse le dévouement et la discrétion…

– Si vous dites vrai, docteur, jamais nous n'aurons la clef de cette affaire, car jamais Cocoleu ne parlera…

– Ne jurez de rien. On m'a proposé un expédient…

Il fut interrompu par l'entrée brusque de son domestique.

– Monsieur, lui dit ce brave garçon, il y a en bas un gendarme qui vous amène un individu qu'il faudrait faire admettre d'urgence à l'hôpital.

– Qu'ils montent, répondit le médecin. (Et pendant que le domestique courait remplir la commission): Voilà mon expédient, maître Folgat, dit M. Seignebos. Attention…

Un pas pesant ébranlait déjà l'escalier, et presque aussitôt un gendarme parut, qui, d'une main, tenait un violon, et de l'autre aidait à marcher un pauvre diable.