Выбрать главу

– Que voulez-vous faire!

– Aller trouver la comtesse de Claudieuse, la voir, lui parler…

– Oh!…

– À moi, elle ne niera pas, peut-être! À moi, quand je la tiendrai sous mon regard, il faudra bien qu'elle avoue le crime dont je suis accusé…

Maître Folgat avait promis au docteur Seignebos de ne point parler des déclarations de Marthe et de sa bonne, mais il ne s'était pas interdit de s'en servir.

– Et si madame de Claudieuse n'était pas coupable? fit-il.

– Qui donc le serait?

– Si elle avait un complice?

– Eh bien! elle me le nommera, je l'exige, il le faut… Je ne veux pas être déshonoré, je suis innocent, je ne veux pas aller au bagne…

Essayer de faire entendre raison à Jacques, c'eût été se montrer aussi fou que lui.

– Prenez garde, dit simplement le jeune avocat, notre défense est déjà difficile, ne la rendez pas impossible…

– Je serai prudent.

– Un scandale nous perd sans rémission.

– Soyez sans inquiétude.

Maître Folgat se tut. Comment Jacques s'y prendrait pour sortir de la prison, il le devinait. Et s'il ne lui demandait pas de détails, c'est que sa situation de défenseur lui faisait une loi d'ignorer – ou du moins de paraître ignorer – certaines choses.

– Maintenant, mon cher maître, reprit le prisonnier, un service, s'il vous plaît…

– Parlez.

– Je voudrais connaître aussi exactement que possible les dispositions de l'habitation de madame de Claudieuse.

Sans mot dire, maître Folgat prit une feuille de papier et traça le plan de ce qu'il connaissait de la maison de la rue Mautrec, du jardin, du vestibule et du salon.

– Et la chambre du comte, interrogea Jacques, où est-elle?

– Au premier étage.

– Vous êtes sûr qu'il ne peut pas se lever?

– Le docteur Seignebos me l'a dit.

Le prisonnier eut un mouvement de joie.

– Alors tout va bien, fit-il, et il ne me reste plus, mon cher défenseur, qu'à vous prier de dire à mademoiselle de Chandoré que j'ai besoin de la voir aujourd'hui, le plus tôt possible. Qu'elle vienne accompagnée seulement d'une des tantes Lavarande. Et, je vous en conjure, hâtez-vous…

Maître Folgat se hâta si bien que, vingt minutes plus tard, il arrivait rue de la Rampe.

Mlle Denise était dans sa chambre. Il la fit prier de descendre, et dès qu'il lui eut dit que Jacques l'attendait:

– Je pars, répondit-elle simplement. (Et, appelant une des demoiselles Lavarande): Vite, tante Élisabeth, commanda-t-elle, vite, ton châle et ton chapeau, je sors et tu viens avec moi.

Le prisonnier comptait si bien sur l'empressement de sa fiancée, que déjà il s'était fait conduire au parloir lorsqu'elle y arriva, tout essoufflée de la rapidité de sa course.

Il lui prit les mains, et les pressant contre ses lèvres:

– Ô mon amie, balbutia-t-il, comment vous remercier jamais de votre sublime fidélité au malheur! Sera-ce assez de toute ma vie, si je la sauve, pour vous témoigner ma reconnaissance!

Mais il se raidit contre l'attendrissement qui le gagnait, et s'adressant à la tante Élisabeth:

– Pardonnez-moi, lui dit-il, d'oser vous demander un service qu'une fois déjà vous avez bien voulu nous rendre… Il serait bien important qu'on n'entendît rien de ce que j'ai à confier à Denise, et je crains d'être épié…

Façonnée à l'obéissance passive, la brave demoiselle sortit sans se permettre une réflexion et alla se mettre au guet dans le corridor.

L'étonnement de Mlle de Chandoré était grand, mais Jacques ne lui laissa pas le temps de prononcer une parole:

– Ici même, commença-t-il, vous m'avez dit que si je voulais m'évader, Blangin m'en fournirait les moyens…

La jeune fille recula, et d'un accent de stupeur immense:

– Voudriez-vous donc fuir? balbutia-t-elle.

– Jamais, à aucun prix… Seulement, vous devez vous rappeler que tout en résistant à vos prières, je vous ai dit qu'un jour peut-être j'aurais besoin de quelques heures de liberté…

– Je me souviens.

– Je vous ai priée de pressentir le geôlier à ce sujet.

– C'est fait. Avec de l'argent il sera toujours à notre discrétion.

Jacques parut respirer plus librement.

– Eh bien! reprit-il, le moment est venu. Il faut que demain je passe la soirée hors de la prison. Je voudrais sortir vers neuf heures, je serai rentré avant minuit…

Mlle Denise l'arrêta.

– Attendez, dit-elle, je vais appeler la femme de Blangin.

Le ménage des geôliers de Sauveterre ressemblait à beaucoup de ménages. Brutal, exigeant, despote, l'homme se coiffait sur l'oreille, parlait haut et ferme en roulant de gros yeux, et, de par la raison du plus fort, prétendait régner. Humble, soumise, résignée en apparence, la femme baissait la tête, semblait toujours obéir, mais en réalité, de par le droit de l'intelligence, gouvernait. Quand le mari avait promis, il fallait encore le consentement de la femme. Dès que la femme s'était engagée, elle se chargeait de faire vouloir son mari.

Mlle Denise avait donc bien fait de s'adresser tout d'abord à Mme Blangin. Appelée, elle accourut au parloir, la bouche pleine d'hypocrites protestations, jurant qu'elle était tout à la dévotion de sa chère demoiselle, rappelant le temps où elle était au service de M. de Chandoré, le seul bon temps de sa pauvre vie, soupirait-elle, et qu'elle regrettait toujours…

– Je sais, interrompit la jeune fille, que vous m'êtes dévouée. Mais écoutez-moi…

Et vivement elle se mit à expliquer ce qu'elle souhaitait, tandis que Jacques, retiré un peu à l'écart, dans l'ombre, épiait les impressions de la femme du geôlier.

Petit à petit, elle redressait la tête, et, quand Mlle Denise eut achevé:

– Je comprends très bien, répondit-elle, et si j'étais la maîtresse, je dirais: «C'est fait…» Mais c'est Blangin qui est le maître dans la prison… Oh! il n'est pas méchant, seulement il tient à son devoir… Nous n'avons que notre place pour vivre…

– Ne vous l'ai-je pas déjà payée!

– Oh! je sais que mademoiselle n'est pas regardante…

– Vous m'aviez promis de parler de cette affaire à votre mari.

– Je lui en ai bien parlé, seulement…

– Je donnerai la même somme que l'autre fois.

– En or?

– Soit, en or.

Un éclair de convoitise brilla sous les épais sourcils de la geôlière, et néanmoins, se possédant toujours:

– Moyennant cela, dit-elle, mon homme consentira peut-être. Je vais l'arraisonner, et je vous l'envoie.

Elle sortit en courant, et dès qu'elle eut disparu:

– Combien donc avez-vous déjà donné à Blangin? demanda Jacques à Mlle Denise.