Выбрать главу

Tristement, M. Seignebos hochait la tête.

– Puissent vos espérances se réaliser, mon cher maître, prononça-t-il.

Mais, pour la troisième fois depuis une heure, on venait chercher le docteur. Échangeant une poignée de main, ils se séparèrent, et après une courte visite à maître Magloire, qu'il importait de tenir au courant, maître Folgat se hâta de regagner la rue de la Rampe.

À la seule physionomie de Mlle Denise, il comprit qu'elle n'avait rien à lui apprendre, qu'elle savait la vérité et l'injustice de ses soupçons.

– Que vous avais-je dit, mademoiselle? fit-il simplement.

Elle rougit, honteuse d'avoir livré le secret des doutes qui l'avaient déchirée, et au lieu de répondre:

– Il est venu des lettres pour vous, maître Folgat, dit-elle, et on les a montées dans votre chambre…

Deux lettres étaient arrivées, en effet, une de Mme Goudar, l'autre de l'agent expédié en Angleterre.

La première était insignifiante. Mme Goudar priait simplement le jeune avocat de faire passer à son mari un billet qu'elle lui adressait.

La seconde était, au contraire, du plus haut intérêt.

L'agent d'Angleterre écrivait:

Non sans de grandes difficultés, non sans de fortes dépenses surtout, j'ai réussi à découvrir, à Londres, le frère de sir Francis Burnett, ancien caissier de la maison Gilmour et Benson.

Notre sir Francis n’est pas mort. Envoyé par son père à Madras, pour y régler une très importante affaire de banque, il est attendu par le prochain paquebot. Le jour même où il mettra pied à terre, nous serons avisés de son retour.

J'ai eu moins de peine à dénicher les parents de Suky Wood, qui sont des gens très à leur aise, tenant à Folkestone une auberge bien achalandée. Il n'y a pas trois semaines qu’ils ont eu des nouvelles de leur fille, qu'ils aiment beaucoup, à ce qu'ils m'ont affirmé. Malgré ce grand amour, ils n’ont pu me dire au juste où je la trouverais. Tout ce qu’ils savent, c'est qu'elle doit être à Jersey, servante dans quelque public-house.

Mais cela me suffit. L'île n’est pas grande, et je la connais bien pour y avoir filé autrefois un notaire qui était parti avec l'argent de ses clients. On peut donc considérer Suky comme prise.

Lorsque vous recevrez cette lettre, je serai en route pour Jersey. Adressez-m'y des fonds à l'Hôtel de la Pomme-d 'Or, où je me propose de descendre. La vie est si incroyablement chère à Londres que c'est à peine s'il me reste quelque chose de la somme qui m'a été remise à mon départ…

Ainsi, de ce côté du moins, tout allait bien.

Tout heureux de ce premier succès, maître Folgat mit sous pli, à l'adresse indiquée, un billet de mille francs qu'il fit porter à la poste.

Après quoi, demandant à M. de Chandoré sa voiture et son cheval, il se fit conduire à Boiscoran. Il voulait voir Michel, le fils du métayer, ce brave garçon qui avait su retrouver si promptement Cocoleu. Justement, lorsqu'il arriva, Michel rentrait à la métairie, conduisant une charrette de paille. Le prenant à part:

– Voulez-vous rendre un grand service à monsieur Jacques de Boiscoran? lui demanda le jeune avocat.

– Que faut-il faire? répondit le digne gars d'un accent qui, mieux que toutes les protestations, prouvait qu'il était prêt à tout.

– Connaissez-vous Frumence Cheminot?

– L'ancien saunier de la Tremblade?

– Précisément.

– Pardi! si je le connais! Il m'a assez volé de pommes, le câlin!… Mais je ne lui en veux pas, parce que, malgré tout, c'est un bon garçon.

– Il était en prison à Sauveterre.

– Oui, je sais, pour avoir enfoncé la porte d'un enclos, près de Bréchy.

– Eh bien! il s'est évadé.

– Ah! le mâtin!

– Et il faudrait absolument le retrouver. On a mis les gendarmes à ses trousses, mais le prendront-ils?

Michel éclata de rire.

– Jamais de la vie, répondit-il. Cheminot va gagner l'île d'Oléron, où il a des amis… les gendarmes peuvent courir.

Amicalement, maître Folgat frappa sur l'épaule du jeune gars.

– Mais vous, fit-il, si vous vouliez… Oh! ne froncez pas le sourcil, il ne s'agit pas de le faire arrêter… Je vous demande seulement de lui remettre le billet que voici, et de me rapporter sa réponse.

– Si ce n'est que cela, je suis votre homme! Le temps de me changer, de prévenir mon père, et je pars…

Ainsi, autant qu'il était en lui, maître Folgat ensemençait l'avenir et préparait les événements, opposant aux savantes manœuvres de l'accusation toutes les combinaisons que lui pouvaient suggérer son expérience et son génie.

S'ensuivait-il que sa foi en un succès définitif fût telle qu'il le disait à ceux-là mêmes dont il était le plus sûr, au docteur Seignebos, par exemple, à maître Magloire et au bon greffier Méchinet? Non… Portant toute la responsabilité, il avait trop bien évalué les chances contraires de la terrible partie qui allait s'engager, et dont l'enjeu était l'honneur et la vie d'un innocent. Mieux que personne il savait qu'il suffisait d'un rien pour anéantir ses espérances, et que la destinée de Jacques était à la merci du plus vulgaire incident. Mais tel qu'un général à la veille d'une bataille, il maîtrisait ses émotions, affectant, pour l'inspirer aux autres, une assurance qu'il n'avait pas, et rien sur son visage ne trahissait le secret des angoisses poignantes qui, le plus souvent, le tenaient éveillé une partie de la nuit.

Et certes, pour demeurer impassible et résolu, il lui fallait un caractère d'une trempe exceptionnelle. On désespérait autour de lui, on s'abandonnait… La maison de la rue de la Rampe, si riante autrefois et si vivante, était désormais silencieuse et morne comme un tombeau.

En deux mois, grand-père Chandoré était devenu décidément un vieillard. Sa robuste taille s'était affaissée, courbée et cassée. Son pas traînait, ses mains tremblaient.

Plus rudement encore, le marquis de Boiscoran avait été frappé. Lui, si vert quelques semaines plus tôt, il semblait toucher à la décrépitude. Il ne mangeait ni ne dormait, pour ainsi dire. Sa maigreur devenait effrayante. Prononcer une parole lui coûtait un effort.

Quant à la marquise, elle, c'est aux sources mêmes de la vie qu'elle avait été atteinte. N'avait-elle pas entendu maître Magloire déclarer que le salut si problématique de Jacques eût été assuré, si l'on eût obtenu le renvoi de l'affaire à une autre session! Et c'était elle qui avait empêché de solliciter ce renvoi! Cette idée la tuait! À peine lui restait-il assez de forces pour se traîner chaque jour à la prison embrasser son fils.

Sur les tantes Lavarande retombaient tous les détails matériels, et on les voyait, pâles comme des ombres, aller et venir, parlant bas et marchant sur la pointe du pied, comme dans la maison d'un mort.

Seule, Mlle Denise haussait son énergie au niveau de son malheur. Elle ne se berçait pas d'illusions: «Je sens que Jacques sera condamné!» avait-elle dit à maître Folgat. Mais elle ajoutait que l'abattement et le désespoir sont le fait des criminels, et que l'erreur affreuse dont Jacques, innocent, était victime ne devait inspirer à ses amis que colère et désir de vengeance.