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Et pendant que son grand-père et le marquis de Boiscoran sortaient le moins possible, elle affectait de se montrer par la ville, étonnant les «dames de la société» par la façon dont elle recevait leurs hypocrites compliments de condoléances. Mais il était évident que la fièvre seule la soutenait, donnant à ses joues leur pourpre, à ses yeux leur éclat, à sa voix son timbre métallique et vibrant.

Ah! c'est pour elle surtout que maître Folgat souhaitait la fin de cette incertitude plus douloureuse que le pire malheur.

Ce terme approchait. Ainsi que l'avait annoncé le docteur Seignebos, le président des assises, M. Domini, venait de s'installer à Sauveterre. C'était un de ces hommes dont le caractère est l'honneur de la magistrature, pénétré de la majesté de sa mission, mais ne se croyant pas infaillible, ferme sans rigueurs inutiles, froid et cependant bienveillant, n'ayant d'autre passion que la justice, d'autre ambition que de faire éclater la vérité.

Il avait interrogé Jacques. Mais cet interrogatoire n'était qu'une formalité dont il n'était rien résulté. Il avait de plus procédé à la formation du jury. Déjà les jurés désignés par le sort arrivaient de tous les coins du département. Ils descendaient tous à l'Hôtel de France, où ils prenaient leurs repas en commun, dans la grande salle du fond, qu'on leur réserve à toutes les sessions.

Et, dans l'après-midi, on les voyait, graves et soucieux, se promener sur la place du Marché-Neuf ou le long des anciens remparts.

M. Du Lopt de la Gransière aussi était arrivé. Mais il se tenait, lui, sévèrement enfermé dans son appartement de l'Hôtel des Messageries, où chaque jour M. Galpin-Daveline allait passer de longues heures.

– Il paraît, disait confidentiellement Méchinet à maître Folgat, il paraît qu'il prépare un réquisitoire foudroyant…

Le lendemain, en ouvrant L'indépendant de Sauveterre, Mlle Denise put lire l'ordre des affaires de la session.

Lundi. – Banqueroute frauduleuse, détournements, faux.

Mardi. – Assassinat et vol.

Mercredi. – Infanticide. – Vols domestiques.

Jeudi. – Incendie et tentative d'assassinat (affaire Boiscoran).

C'est donc pour ce jeudi fameux que les habitants de Sauveterre se promettaient les plus étonnantes émotions.

Aussi, était-ce à qui se procurerait une carte d'entrée à la cour d'assises. M. Domini, M. Du Lopt de la Gransière, M. Daubigeon et Méchinet lui-même étaient harcelés de demandes. Des gens qui, la veille, ne saluaient pas M. Daveline l'arrêtaient dans la rue et sollicitaient la faveur d'une petite place, non pour eux, mais pour leur dame. Fait sans exemple, il se négocia des billets à prix d'argent. Une famille, enfin, eut l'inconcevable courage d'écrire au marquis de Boiscoran pour lui demander trois entrées, promettant en échange de «contribuer, par son attitude, à l'acquittement de l'accusé».

Et c'est au plus fort de ces rumeurs que tout à coup circula dans la ville une liste de souscription en faveur des parents des malheureux pompiers qui avaient péri à l'incendie du Valpinson. Qui avait lancé cette liste? C'est en vain que M. Séneschal essaya de découvrir la main d'où partait le coup. Le secret de la perfidie fut bien gardé. Et c'était une perfidie atroce que de venir ainsi, à la veille des débats, rappeler des souvenirs sinistres et raviver les haines.

– Il y a du Galpin là-dessous, disait en grinçant des dents le docteur Seignebos. Et penser qu'il l'emportera peut-être… Ah! pourquoi Goudar n'a-t-il pas commencé plus tôt son expérience?

C'est qu'en effet Goudar, tout en répondant du succès, demandait du temps. Ce ne pouvait être l'œuvre d'un jour que de calmer les défiances de l'ombrageux Cocoleu. Il déclarait que, s'il précipitait le dénouement, il perdrait tout irrémissiblement. D'ailleurs, rien de nouveau ne survenait. Le comte de Claudieuse allait plutôt mieux que mal. L'agent de Jersey avait télégraphié qu'il était sur la piste de Suky, qu'il la rejoindrait sûrement, mais qu'il ne pouvait dire quand. Michel, enfin, avait inutilement couru tout l'arrondissement et fouillé l'île d'Oléron, personne n'avait pu lui donner des nouvelles de Cheminot.

Si bien que le jour même de la session, après un conseil auquel prirent part tous les amis de Jacques, il fut arrêté que les défenseurs ne prononceraient pas le nom de Mme de Claudieuse et s'en tiendraient, quoi que pût dire le comte, au système de défense imaginé par maître Folgat.

Hélas! il n'avait que de bien faibles chances de succès, car le jury, contre l'ordinaire, se montrait d'une excessive sévérité. Le banqueroutier fut condamné à vingt ans de travaux forcés. L'homme accusé de meurtre n'obtint pas de circonstances atténuantes et fut condamné à mort. On était alors au mercredi. Il fut décidé que le marquis et la marquise de Boiscoran et M. de Chandoré assisteraient aux débats. On voulait épargner à Mlle Denise cette épouvantable émotion, mais elle déclara qu'elle irait seule à l'audience, et force fut de se rendre à sa volonté.

Grâce à une autorisation de M. Domini, maître Folgat et maître Magloire passèrent la soirée près de Jacques, à arrêter les derniers détails et à bien convenir de certaines réponses.

Jacques était excessivement pâle, mais très calme. Et quand ses défenseurs le quittèrent en lui disant:

– Bon espoir et bon courage…

– D'espoir, répondit-il, je n'en ai plus. Mais du courage, soyez tranquilles, j'en aurai!

31

Enfin, du fond de sa prison, Jacques de Boiscoran vit se lever le jour qui allait décider de sa destinée… Il allait être jugé!

Trop rare était l'occasion pour que L'indépendant de Sauveterre la laissât échapper. Paraissant le matin, il publia, «vu la gravité des circonstances», une édition du soir, qui jusqu'à minuit fut criée dans les rues par une douzaine de gamins.

Et voici son compte rendu:

COUR D'ASSISES DE SAUVETERRE

Audience du jeudi 23… PRÉSIDENCE DE M. DOMINI

Assassinat - Incendie (Correspondance particulière de L'Indépendant)

Pourquoi dans notre paisible cité ce mouvement inaccoutumé, ce tumulte, cette animation! Pourquoi ces rassemblements sur nos places publiques, ces groupes devant les maisons? Pourquoi sur tous les visages l'inquiétude, dans tous les yeux l'anxiété?

C'est que c'est aujourd'hui qu'arrive devant la cour cette ténébreuse affaire du Valpinson qui, depuis tant de semaines, tient en éveil nos populations. C'est que c'est aujourd'hui que doit être jugé l'homme accusé de ce grand crime…

Aussi, est-ce vers le palais de justice que chacun se hâte, se précipite, court…

Le palais de justice!… Longtemps avant le jour il était assiégé par la multitude, difficilement contenue par les appariteurs aidés de la gendarmerie. Et on se presse, on se pousse, on se heurte. Des paroles grossières sont échangées. Des mots on passe aux gestes, une rixe est imminente, les femmes crient, les hommes menacent, et nous voyons conduire au poste deux paysans de Bréchy.

C'est qu'il y aura peu d'élus, on le sait. La place du Marché-Neuf ne contiendrait pas toute cette foule, accourue des quatre points de l'arrondissement. Comment donc notre salle des assises suffirait-elle?