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Pour elles, le secret, ce n'était que la privation de la liberté, la cellule avec son mobilier sinistre, les grilles aux fenêtres, les verrous aux portes, le geôlier secouant ses trousseaux de clefs le long des corridors sombres et le soldat de faction dans la cour.

– Il est impossible, disait Mme de Boiscoran, qu'on me refuse de voir mon fils.

– Impossible, approuvait Mlle Denise. Et, d'ailleurs, je connais le geôlier Blangin, dont la femme était autrefois à notre service.

C'est donc avec une entière confiance que la jeune fille, de sa main frêle, souleva le lourd marteau de la porte de la prison.

Ce fut Blangin lui-même qui vint ouvrir, et, à la vue des deux pauvres femmes, un immense étonnement se peignit sur sa large face.

– Nous venons voir monsieur de Boiscoran, dit résolument Mlle Denise.

– Ces dames ont donc une permission? demanda le geôlier.

– Une permission!… De qui?

– De monsieur Galpin-Daveline.

– Nous n'avons pas de permission.

– Alors j'ai le regret de dire à ces dames qu'il est impossible qu'elles voient monsieur de Boiscoran. Il est au secret, et j'ai les ordres les plus rigoureux…

Mlle Denise fronçait les sourcils.

– Vos ordres, monsieur Blangin, interrompit-elle, ne sauraient concerner madame, qui est la marquise de Boiscoran.

– Mes ordres concernent tout le monde, mademoiselle.

– Vous empêcheriez, vous, une mère désolée d'embrasser son fils!

– Eh! ce n'est pas moi, mademoiselle! Moi! Que suis-je? Rien, un verrou que la justice pousse ou tire à son gré.

Pour la première fois, la jeune fille eut l'idée que sa tentative pouvait échouer.

– Mais moi, mon bon monsieur Blangin, insista-t-elle, avec des larmes plein les yeux, moi, me refuserez-vous? Ne me connaissez-vous pas? Votre femme ne vous a-t-elle jamais parlé de moi?

Le geôlier, certainement, était ému.

– Je sais, répondit-il, tout ce que ma femme et moi devons aux bontés de mademoiselle, mais… J'ai ma consigne, mademoiselle ne voudrait pas perdre la place d'un pauvre homme…

– Si vous perdez votre place, monsieur Blangin, moi, Denise de Chandoré, je vous en garantis une qui vous vaudra le double.

– Mademoiselle…

– Douteriez-vous de ma parole, monsieur Blangin?

– Dieu m'en garde! mademoiselle, mais ce n'est pas seulement de ma place qu'il s'agit… Si je faisais ce que vous demandez, je serais puni sévèrement…

À l'accent du geôlier, Mme de Boiscoran comprit que Mlle de Chandoré n'obtiendrait rien.

– N'insistez pas, mon enfant, dit-elle, rentrons…

– Quoi! sans savoir rien de ce qui se passe derrière ces murs implacables, sans savoir même si Jacques est vivant ou mort!

Il était clair qu'un rude combat se livrait dans le cœur du geôlier. Tout à coup, d'une voix brève, et en jetant autour de lui des regards inquiets:

– Parler, dit-il, m'est interdit, mais n'importe… Je ne vous laisserai pas vous éloigner sans vous apprendre que monsieur de Boiscoran est en bonne santé.

– Ah!

– Hier, quand on l'a amené, il était comme hébété… Il s'est jeté sur son lit à corps perdu, et il y est resté sans faire un mouvement plus de deux heures. Je crois bien qu'il pleurait…

Un sanglot, que ne put maîtriser Mlle Denise, fit tressaillir M. Blangin.

– Oh! rassurez-vous, mademoiselle, reprit-il bien vite, cet état n'a pas duré. Bientôt monsieur de Boiscoran s'est levé en s'écriant: «Ah çà! mais je suis stupide de me désespérer ainsi…»

– Vous l'avez entendu? demanda Mme de Boiscoran.

– Pas personnellement. C'est Frumence Cheminot qui l'a entendu…

– Frumence Cheminot?

– Oui, un de nos détenus. Oh! un simple vagabond, pas méchant du tout, et qui a la commission de monter la garde au guichet de monsieur de Boiscoran et de ne jamais le perdre de vue… C'est monsieur Galpin-Daveline qui a eu l'idée de cette précaution, parce que les accusés, quelquefois, dans le premier moment, si le désespoir les prend et le dégoût de la vie… Un malheur est si vite arrivé! Frumence empêcherait le malheur…

Mme de Boiscoran frémissait d'horreur. Mieux que tout, cette précaution lui donnait la mesure exacte de la situation de son fils.

– Du reste, poursuivit M. Blangin, il n'y a plus rien à craindre. Monsieur de Boiscoran est redevenu calme, tranquille et même gai, si j'ose m'exprimer ainsi. Quand il s'est levé ce matin, après avoir dormi toute la nuit comme un loir, il m'a appelé pour me demander du papier, de l'encre et des plumes. C'est ce que les prisonniers demandent le second jour. J'avais ordre de lui en donner: il en a eu. Et quand je suis allé lui porter son déjeuner, il m'a remis une lettre, à l'adresse de mademoiselle de Chandoré.

– Comment! s'écria Mlle Denise, vous avez une lettre pour moi et vous ne me la donnez pas!

– C'est que je ne l'ai plus, mademoiselle; c'est que je l'ai remise, comme c'était mon devoir, à monsieur Galpin-Daveline, quand il est venu, avec son greffier Méchinet, pour interroger monsieur de Boiscoran.

– Et qu'a-t-il dit?

– Il a décacheté la lettre, il l'a lue, et il l'a mise dans sa poche en disant: «Bon!»

Des larmes, mais de colère, cette fois, jaillirent des yeux de Mlle Denise.

– Quelle honte! s'écria-t-elle. Cet homme, lire une lettre que Jacques m'adressait! C'est infâme!

Et, sans songer à remercier M. Blangin, elle entraîna Mme de Boiscoran, et jusqu'à la maison elle ne prononça pas une parole.

– Ah! pauvre enfant, tu n'as pas réussi! s'écrièrent tantes Lavarande lorsqu'elles virent rentrer leur nièce.

Mais quand Denise leur eut tout appris:

– Eh bien! s'écrièrent-elles, nous allons aller le voir, nous, ce petit juge, qui avant-hier encore nous faisait bassement sa cour pour obtenir la dot de notre nièce. Et nous lui dirons son fait. Et si nous n'obtenons pas qu'il nous rende Jacques, nous troublerons du moins son triomphe et nous rabaisserons son orgueil.

Comment Mlle de Chandoré n'eût-elle pas adopté l'idée des tantes Lavarande, un projet qui donnait à sa colère une satisfaction immédiate et qui servait ses secrètes espérances!

– Oh, oui! vous avez raison, chères tantes! s'écria-t-elle. Vite, sans perdre une minute, partez…

Incapables de résister à de tels accents, elles se mirent en route, sans écouter les timides objections de la marquise de Boiscoran.

Seulement les bonnes demoiselles se trompaient quant aux dispositions d'esprit de M. Galpin-Daveline. L'ex-prétendant de leur nièce Lavarande n'était pas sur un lit de roses. Au début de cette étrange affaire, il s'y était jeté fiévreusement, comme sur l'occasion admirable qu'il guettait depuis tant d'années et qui devait ouvrir à deux battants les portes jusqu'alors fermées à son ambition. Puis, une fois engagé, l'enquête commencée, il avait été emporté par un courant plus rapide que la réflexion. Aussi est-ce avec une sorte de satisfaction malsaine qu'il avait vu les charges se multiplier et grossir, jusqu'à le contraindre de signer un mandat d'arrêt contre son ancien ami. Alors, il était comme aveuglé par les plus magnifiques espérances. Ne prouvait-elle pas les plus hautes facultés et un savoir-faire supérieur, cette enquête qui, en quelques heures, avait conduit la justice d'un crime presque inexplicable à un coupable que personne n'eût osé soupçonner?