Выбрать главу

– Oui, mademoiselle. Sur sa demande, monsieur Daveline est allé de sa personne lui chercher, chez monsieur Daubigeon, quelques volumes de voyages et plusieurs romans de Cooper…

Une exclamation joyeuse de Mlle Denise l'interrompit.

– Ô Jacques! s'écria-t-elle, merci d'avoir compté sur moi!

Et sans remarquer le profond étonnement de Méchinet, elle écrivit:

Nous sommes sûrs de votre innocence, Jacques, et cependant nous sommes au désespoir. Votre mère est ici, avec un avocat de Paris, maître Folgat, tout dévoué à nos intérêts. Que devons-nous faire? Donnez-nous vos instructions. Vous pouvez répondre sans crainte, puisque vous avez NOTRE livre.

Denise.

–  Lisez, monsieur, dit-elle au greffier dès qu'elle eut terminé.

Mais lui, au lieu d'user de la permission, plia le billet qu'elle lui tendait et le glissa dans une enveloppe qu'il cacheta.

– Oh! vous êtes bon, murmura la jeune fille, touchée de cette délicatesse.

– Non, répondit-il, je cherche simplement à faire le plus honnêtement possible une action… malhonnête. Demain, mademoiselle, j'espère avoir une réponse.

– Je viendrai la chercher…

Méchinet tressaillit.

– Gardez-vous-en bien, mademoiselle, interrompit-il. Les gens de Sauveterre sont assez fins pour comprendre que la toilette ne doit guère vous préoccuper en ce moment, et vos visites ici sembleraient suspectes. Remettez-vous-en à moi du soin de vous faire tenir la réponse de monsieur de Boiscoran.

Pendant que Mlle Denise écrivait, le greffier avait fait un paquet des titres qu'elle avait apportés. Il le lui remit en disant:

– Prenez, mademoiselle, s'il me fallait de l'argent pour Blangin ou pour Frumence Cheminot, je vous le ferais savoir… Et maintenant… partez. Il est inutile de revoir mes sœurs. Je me charge de leur expliquer votre visite.

8

– Que peut-il être arrivé à Denise, qu'elle ne revient pas! murmurait grand-père Chandoré en arpentant la place du Marché-Neuf et en consultant sa montre pour la vingtième fois.

Longtemps la crainte de déplaire à sa petite-fille et la peur d'être grondé le retinrent à l'endroit où elle lui avait commandé d'attendre; mais à la fin, sérieusement tourmenté: ah! ma foi, tant pis! se dit-il, je me risque…

Et traversant la chaussée qui sépare la place des maisons, il s'engagea dans le long corridor de l'immeuble des sœurs Méchinet. Déjà il mettait le pied sur la première marche de l'escalier, lorsqu'il vit le haut s'éclairer. Il entendit presque aussitôt la voix de sa petite-fille et reconnut son pas léger.

Enfin!… pensa-t-il.

Et, leste comme l'écolier qui entend le maître, tremblant d'être pris en flagrant délit d'inquiétude, il regagna la place.

Mlle Denise y fut presque en même temps, et lui sautant au cou:

– Bon papa, dit-elle en faisant claquer ses lèvres si fraîches sur les joues rudes du vieillard, je te rapporte tes titres.

Si une chose devait étonner M. de Chandoré, c'était qu'il se trouvât en ce monde un être assez dur, assez cruel, assez barbare pour résister aux prières et aux larmes de Mlle Denise – surtout à des larmes et à des prières appuyées de cent vingt mille francs.

Néanmoins:

– Je t'avais bien dit, chère fillette, fit-il tristement, que tu ne réussirais pas.

– Et tu te trompais, bon papa, et tu te trompes encore, j'ai réussi.

– Cependant… puisque tu rapportes l'argent.

– C'est que j'ai trouvé un honnête homme, grand-père, un homme de cœur. Pauvre garçon! à quelle épreuve j'ai mis sa probité!… car il est très gêné, je le sais de bonne source, depuis que ses sœurs et lui ont acheté leur maison. C'était plus que l'aisance, c'était évidemment la fortune que je lui offrais. Aussi, il fallait voir l'éclat de ses yeux et le tremblement de ses mains pendant qu'il regardait ces titres et qu'il les maniait. Eh bien! il les a refusés, bon papa, il les refuse. Il ne veut pas de récompense pour l'immense service qu'il va nous rendre.

De la tête, M. de Chandoré approuvait:

– Tu as raison, fillette, dit-il, ce greffier est un brave homme, et qui vient d'acquérir des droits éternels à notre reconnaissance.

– Il convient d'ajouter, reprit Mlle Denise, que j'ai été extraordinairement brave. Jamais je ne me serais crue capable de tant d'audace. Que n'étais-tu caché dans un petit coin, bon papa, pour me voir et pour m'entendre! Tu n'aurais pas reconnu ta petite-fille. J'ai bien pleuré un peu, mais après, quand j'ai obtenu ce que je voulais…

– Oh! chère, chère enfant! murmurait le vieillard ému.

– C'est que, vois-tu, je ne songeais qu'au danger de Jacques et à la gloire de me montrer digne de lui, qui est si courageux. J'espère qu'il sera content de moi.

– Ce serait un seigneur difficile, s'il ne l'était pas! s'écria M. de Chandoré.

Mais c'est sous les arbres de la place du Marché-Neuf que causaient le grand-père et sa petite-fille, et déjà plusieurs promeneurs avaient trouvé le moyen de passer trois ou quatre fois près d'eux, les oreilles largement ouvertes, fidèles à cette discrétion charmante qui est un des agréments de Sauveterre.

Mise sur ses gardes par les prudentes recommandations de Méchinet, Mlle Denise ne tarda pas à s'en apercevoir.

– On nous écoute, dit-elle à son grand-père, viens, je te dirai tout en route.

Et en effet, tout en cheminant, elle lui racontait jusqu'aux moindres détails de son entrevue, et le vieux gentilhomme déclarait ne savoir en vérité ce qu'il devait le plus admirer, de sa présence d'esprit à elle ou du désintéressement de Méchinet.

– Raison de plus, conclut la jeune fille, pour ne pas augmenter les périls auxquels va s'exposer cet honnête homme. Je lui ai promis une discrétion absolue, je tiendrai ma promesse. Si tu veux me croire, bon papa, nous ne parlerons de rien, ni aux tantes ni à madame de Boiscoran.

– Dis tout de suite, rusée, que tu voudrais sauver Jacques à toi toute seule…

– Ah! si je le pouvais!… Malheureusement il va falloir mettre maître Folgat dans la confidence, car nous ne saurions nous passer de ses conseils.

Ainsi fut-il fait. Tantes Lavarande et la marquise de Boiscoran durent se contenter de l'explication assez peu vraisemblable que donnait, de sa sortie, Mlle Denise.

Et quelques heures plus tard, la jeune fille, maître Folgat et M. de Chandoré tenaient conseil dans le cabinet du baron.

Plus que M. de Chandoré encore, le jeune avocat devait être surpris de la conception de Mlle Denise et de sa hardiesse à l'exécuter. Jamais il ne l'eût soupçonnée capable d'une telle démarche, tant, jeune fille, elle gardait encore les grâces naïves et les timidités de l'enfant.

Il voulait la complimenter, mais elle:

– Où est mon mérite? interrompit-elle vivement. À quel danger me suis-je exposée?

– À un danger fort réel, mademoiselle, je vous l'assure.

– Bah! fît M. de Chandoré.

– Corrompre un fonctionnaire, poursuivait maître Folgat, c'est grave! Il y a dans le Code pénal un certain article 179 qui ne plaisante pas et qui assimile le corrupteur au corrompu…