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– L'instruction durera donc des années! s'écria Mlle Denise, puisque monsieur Galpin-Daveline prétend obtenir de Jacques l'aveu d'un crime qu'il n'a pas commis.

Maître Magloire secoua la tête.

– Je crois, au contraire, mademoiselle, répondit-il, que l'instruction sera bientôt terminée.

– Si Jacques se tait, cependant…

– Le mutisme d'un prévenu, pas plus que son caprice ou son obstination, ne saurait entraver la marche de la procédure. Mis en demeure de produire sa justification, s'il refuse de le faire, la justice passe outre…

– Pourtant, monsieur, quand un prévenu a des raisons…

– Il n'y a jamais de raisons valables de se laisser accuser injustement. Cependant le cas a été prévu. Libre au prévenu de ne pas répondre à une question qui l'embarrasse: Nemo tenetur prodere se ipsum. Mais avouez que ce refus de répondre autorise le juge à considérer comme décisives les charges sur lesquelles le prévenu ne s'explique pas.

Plus était calme le célèbre avocat de Sauveterre, plus ses auditeurs, à l'exception de maître Folgat, étaient effrayés. En écoutant ces expressions techniques qu'il employait, ils se sentaient glacés jusqu'aux moelles, comme les amis d'un blessé qui entendent le chirurgien repasser des bistouris.

– Ainsi, monsieur, demanda d'une voix faible Mme de Boiscoran, la situation de mon malheureux fils vous paraît grave…

– J'ai dit périlleuse, madame.

– Vous pensez avec maître Folgat que chaque jour qui s'écoule ajoute au danger qu'il court…

– Je n'en suis que trop sûr. Et si monsieur de Boiscoran est réellement innocent…

– Ah! monsieur, interrompit Mlle Denise, monsieur, pouvez-vous parler ainsi, vous qui êtes l'ami de Jacques…

C'est d'un air de commisération profonde, et bien sincère, que maître Magloire considéra un moment la jeune fille. Puis:

– C'est parce que je suis un ami, mademoiselle, répondit-il, que je vous dois la vérité. Oui, j'ai connu et apprécié les hautes qualités de monsieur de Boiscoran, je l'ai aimé, je l'aime… Mais ce n'est pas avec le cœur, c'est avec la raison qu'il faut examiner la situation. Jacques est homme, c'est par d'autres hommes qu'il sera jugé. Il y a de sa culpabilité des indices matériels, palpables, tangibles. Quelles preuves avez-vous à offrir de son innocence? Des preuves morales!…

– Mon Dieu! murmurait Mlle Denise.

Je pense donc comme mon honorable confrère… (Et maître Magloire saluait maître Folgat.) Je crois fermement que si monsieur de Boiscoran est innocent, il a adopté un système déplorable. Ah! si par bonheur il a un alibi, qu'il se hâte, qu'il se hâte de le produire! Qu'il ne laisse pas la procédure arriver à la chambre des mises en accusation! Une fois là, un prévenu est aux trois quarts condamné.

Positivement, le cramoisi des joues de M. de Chandoré pâlissait.

– Et cependant, s'écria-t-il, Jacques ne changera pas de système; ce n'est que trop sûr pour qui connaît son entêtement de mule!

– Et, malheureusement, sa résolution est prise, dit Mlle Denise, et maître Magloire, qui le connaît bien, ne le verra que trop par cette lettre qu'il nous écrit.

Jusqu'alors, rien n'avait été dit qui pût faire soupçonner à l'avocat de Sauveterre le moyen employé pour correspondre avec le prisonnier.

Lui montrant la lettre, il fallait le mettre dans la confidence, et c'est ce que fit Mlle Denise.

Étonné d'abord, il ne tarda pas à froncer le sourcil.

– C'est bien imprudent, murmura-t-il, dès qu'il sut tout, c'est bien hardi… (Et regardant maître Folgat): Notre profession, continua-t-il, a certaines règles dont il est toujours fâcheux… de s'écarter.

Corrompre un greffier, profiter de sa faiblesse et de sa pitié! L'avocat de Paris avait rougi imperceptiblement.

– Je n'aurais jamais conseillé une telle imprudence, dit-il; mais du moment où elle était commise, je n'ai pas cru devoir refuser d'en profiter, et dussé-je encourir un blâme sévère, ou pis encore… j'en profiterai.

Maître Magloire ne répondit pas; mais ayant lu la lettre de Jacques:

– Je suis aux ordres de monsieur de Boiscoran, dit-il, et dès que le secret sera levé, je me rendrai près de lui. Je crois, comme mademoiselle Denise, qu'il s'obstinera à garder le silence. Cependant, puisque vous avez un moyen de lui faire parvenir une lettre… Allons, bien! voici que, moi aussi, je profite de l'imprudence commise. Suppliez-le, dans son intérêt, au nom de tout ce qu'il a de plus cher, de parler, de se disculper, de s'expliquer…

Et, saluant, maître Magloire se retira précipitamment, laissant ses auditeurs consternés, tant il était visible que le but de sa brusque retraite était surtout de cacher la pénible impression qu'il ressentait de la lettre de Jacques.

– Certes! dit M. de Chandoré, nous allons lui écrire, mais ce sera comme si nous chantions… Il attendra la fin de l'instruction.

– Qui sait!… murmura Mlle Denise. (Et après une minute de méditation): On peut toujours essayer, ajouta-t-elle.

Et sans s'expliquer davantage, elle sortit et courut à sa chambre écrire ce laconique billet:

Il faut que je vous parle. Notre jardin a une petite porte qui donne sur la ruelle de la Charité, je vous y attends. Si tard que vous soit remis ce mot, venez.

Denise.

Puis, ayant mis ce billet sous enveloppe, elle appela la vieille bonne qui l'avait élevée, et après toutes les recommandations que la prudence lui pouvait inspirer:

– Il faut, lui dit-elle, que monsieur Méchinet, le greffier, ait cette lettre ce soir même; pars, dépêche-toi!

9

Depuis vingt-quatre heures, Méchinet était si changé que ses sœurs ne le reconnaissaient plus.

Aussitôt après le départ de Mlle Denise, elles étaient allées le trouver, espérant qu'il leur apprendrait enfin ce que signifiait cette mystérieuse entrevue; mais dès les premiers mots:

– Cela ne vous regarde pas! s'était-il écrié d'un accent qui fit frémir les deux couturières. Cela ne regarde personne!

Et il était resté seul, tout étourdi de l'aventure, et rêvant aux moyens de tenir sa promesse sans se compromettre. Ce n'était pas aisé.

Le moment décisif arrivé, il reconnut que jamais il ne réussirait à faire passer à Jacques de Boiscoran le billet qui brûlait sa poche sans être aperçu de l'œil de lynx de M. Galpin-Daveline.

Force lui fut donc, après de longues hésitations, de recourir à la complicité de l'homme qui servait Jacques, de Frumence Cheminot enfin. C'était, d'ailleurs, un assez bon diable que ce pauvre diable, dont le vice capital était une incurable paresse, et qui n'avait sur la conscience que de légers délits de vagabondage.

Il aimait Méchinet, lequel, pendant ses séjours antérieurs à la prison de Sauveterre, lui avait donné quelquefois du tabac ou quelques sous pour s'acheter du vin. Il ne fit donc aucune objection à la proposition que lui fit le greffier de remettre un billet à M. de Boiscoran et de rapporter une réponse. Et il s'acquitta fidèlement et honnêtement de la commission.

Mais de ce que tout s'était bien passé cette fois, il ne s'ensuivait pas que Méchinet fût plus tranquille. Outre qu'il était assailli de remords en songeant à ses devoirs trahis, il frémissait de se sentir à la merci d'un complice. Que fallait-il, pour qu'il fût découvert? Une indiscrétion, une maladresse, un hasard malheureux. Qu'adviendrait-il alors? Destitué, il perdrait successivement toutes ses places. La confiance et la considération se retireraient de lui. Adieu les rêves ambitieux, les illusions de fortune, l'espoir d'arriver à une belle position par un mariage avantageux.