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– Ce n'est plus possible! murmura l'infortuné.

– Elle est donc bien affreuse?

– Elle est invraisemblable.

Ce n'est pas sans effroi que Mlle Denise le considérait. Elle ne retrouvait en lui ni l'expression de son visage, ni son regard, ni le timbre de sa voix. Elle s'approcha, et lui prenant la main entre ses petites mains blanches:

– Mais à moi, fit-elle, à moi, votre amie, vous pouvez la dire, cette vérité!

Il tressaillit, et reculant:

– À vous moins qu'à tout autre! s'écria-t-il. (Et comprenant ce que cette réponse avait d'affligeant): Trop pur est votre esprit, ajouta-t-il, pour de si honteuses intrigues. Je ne veux pas que sur votre robe de noces rejaillisse une tache de cette boue où l'on m'a précipité!

Fut-elle dupe? Non, mais elle eut ce courage de sembler l'être.

– Soit, poursuivit-elle, mais cette vérité, il vous faudra la dire tôt ou tard…

– Oui, à maître Magloire.

– Eh bien! Jacques, ce que vous lui diriez, écrivez-le-lui, voici des plumes et de l'encre, je porterai fidèlement votre lettre.

– Il est des choses qu'on n'écrit pas, Denise!

Elle se sentait vaincue, elle comprenait que rien ne ferait plier cette volonté glacée; et cependant:

– Mais si je vous suppliais, Jacques, reprit-elle, au nom de notre passé et de notre avenir, au nom de cet amour unique et éternel que vous me juriez…

– Voulez-vous donc, interrompit-il, rendre mille fois plus atroces encore mes heures de prison! Voulez-vous m'enlever ce qu'il me reste encore de forces et de courage! N'avez-vous plus en moi aucune confiance! Ne sauriez-vous me faire crédit de quelques jours encore…

Il s'arrêta. On frappait à la porte; et presque aussitôt:

– Le temps passe! cria Blangin par le guichet, je voudrais être en bas quand on relèvera les factionnaires! Je joue gros jeu… je suis un père de famille…

– Éloignez-vous, Denise, dit Jacques vivement, éloignez-vous… La pensée qu'on vous surprendrait ici m'est odieuse.

Combien elle courait peu de risques d'être surprise, Mlle de Chandoré avait payé pour le savoir. Pourtant elle ne résista pas.

Elle tendit son front à Jacques qui l'effleura de ses lèvres et, plus morte que vive et se tenant aux murs, elle regagna la chambrette du geôlier. On lui avait préparé un lit, elle s'y jeta toute habillée et elle y resta, aussi immobile que si elle eût été morte, plongée dans un anéantissement qui lui enlevait jusqu'à la faculté de souffrir.

Il faisait grand jour, il était huit heures, quand elle se sentit tirée par le bras.

– Chère demoiselle, lui disait la geôlière, le moment serait bien propice pour vous esquiver. On s'étonnera peut-être de vous voir seule dans les rues, mais on se dira que vous revenez de la messe de sept heures.

Sans mot dire, Mlle Denise sauta à terre, et en un tour de main elle eut réparé le désordre de sa toilette. Puis, comme Blangin, inquiet, venait voir si elle se décidait à partir:

– Tenez, lui dit-elle en lui donnant un des rouleaux de mille francs restés dans son sac, ceci est pour que vous vous souveniez de moi si j'avais encore besoin de vous.

Et, rabattant sa voilette sur son visage, elle sortit.

11

Le baron de Chandoré avait eu, en sa vie, une nuit terrible, dont il avait compté les secondes au pouls de son fils agonisant. La veille au soir, les médecins lui avaient dit: «S'il passe cette nuit, il peut être sauvé.» Au jour, il avait rendu le dernier soupir.

Eh bien! c'est à peine si, pour le vieux gentilhomme, cette nuit fatale avait eu plus d'angoisses que celle-ci, passée tout entière hors de la maison par Mlle Denise. Il savait bien que Blangin et sa femme étaient de braves gens, malgré leur avarice et leur âpreté au gain; il savait bien que Jacques de Boiscoran était un homme d'honneur. N'importe!… Toute la nuit, son vieux valet de chambre l'entendit se promener de long en large dans sa chambre, et dès sept heures du matin, il était sur le seuil de la porte, interrogeant d'un œil inquiet le lointain de la rue.

Vers sept heures et demie, maître Folgat vint le rejoindre, mais c'est à peine s'il lui souhaita le bonjour, et certainement il n'entendit rien de tout ce que lui dit l'avocat pour le rassurer.

Jusqu'à ce qu'enfin:

– La voilà! s'écria le vieillard.

Il ne se trompait pas. Mlle Denise venait de tourner le coin de la rue de la Rampe. Elle remontait avec une hâte fiévreuse, comme si elle eût senti que ses forces étaient à bout et qu'il lui en resterait bien juste assez pour arriver.

C'est avec une sorte de joie farouche que grand-père Chandoré se jeta au-devant d'elle et qu'il la serra entre ses bras en répétant:

– Ô Denise, ô ma fille bien-aimée, comme j'ai souffert, comme tu as tardé!… Mais tout est oublié, viens, viens vite!

Et il l'entraîna, il la porta plutôt, dans le salon, et il l'assit mollement sur une causeuse. Il s'agenouilla ensuite près d'elle, riant de bonheur. Mais dès qu'il lui eut pris les mains:

– Tes mains sont brûlantes! s'écria-t-il. Tu as la fièvre…

Il la regarda. Elle venait de relever son voile.

– Tu es pâle comme la mort, continua-t-il, tu as les yeux rouges et gonflés…

– J'ai pleuré, bon papa, répondit-elle doucement.

– Pleuré!… Pourquoi?

– Hélas! je n'ai pas réussi!

Comme s'il eût été mû par un ressort, M. de Chandoré se dressa.

– Par le saint nom de Dieu! s'écria-t-il, on n'a jamais rien ouï de pareil depuis que le monde est monde!… Quoi! tu es allée, toi, Denise de Chandoré, le trouver dans sa prison, tu l'as supplié…

– Et il est resté inflexible, oui, bon papa. Il ne parlera pas avant la fin de l'instruction.

– C'est que nous nous étions trompés, ce garçon n'a ni cœur ni âme…

Péniblement, Mlle Denise s'était soulevée.

– Ah! ne l'accuse pas, bon papa, interrompit-elle, ne l'accuse pas. Il est si malheureux!

– Enfin, que dit-il, pour ses raisons?

– Il dit que la vérité est tellement invraisemblable que certainement on refusera de le croire, et qu'il se perdrait s'il parlait tant qu'il est au secret et privé de l'assistance d'un défenseur. Il dit que son horrible situation est le résultat d'une exécrable vengeance. Il dit qu'il croit connaître le coupable, et que, puisqu'il y est réduit, pour se défendre il accusera…

Témoin silencieux jusqu'à ce moment, maître Folgat s'approcha.

– Êtes-vous bien sûre, mademoiselle, interrogea-t-il, que monsieur de Boiscoran se soit exprimé ainsi?

– Oh! très sûre, monsieur, et je vivrais des milliers d'années que je n'oublierais ni l'expression de son regard, ni le timbre de sa voix…

M. de Chandoré ne permit pas qu'on l'interrompît davantage.

– Mais à toi, reprit-il, à toi, chère fille, Jacques a dû dire quelque chose de plus précis.

– Rien.

– Tu ne lui as donc pas demandé ce qu'est cette vérité si invraisemblable?

– Oh, si!…

– Eh bien?