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– Ah! permettez!… s'écria M. Seignebos.

Mais M. de Chandoré ne perdait pas une syllabe.

– Permettez vous-même, docteur, interrompit-il. Cet argument de l'imbécillité de Cocoleu est celui que vous avez invoqué dès le premier jour, et qui vous paraissait, disiez-vous, si décisif qu'il n'était pas besoin d'en chercher un autre…

Avant que le médecin eût trouvé une réplique maître Folgat poursuivit:

– Qu'il soit établi, au contraire, que Cocoleu a véritablement conscience de ses paroles, et tout change, et la prévention est en droit, de par un arrêt de la Faculté, de dire à monsieur de Boiscoran: «Il n'y a plus à nier, vous avez été vu, voilà un témoin.»

Il fallait que ces considérations frappassent bien vivement M. Seignebos, car il demeura court dix bonnes secondes, essuyant d'un air pensif ses lunettes d'or. Allait-il donc avoir nui à Jacques de Boiscoran en prétendant le servir? Mais il n'était pas homme à douter longtemps de soi.

– Je ne discuterai pas, messieurs, reprit-il d'un ton sec. Je vous adresserai seulement une question: oui ou non, croyez-vous à l'innocence de Jacques de Boiscoran?

– Nous y croyons absolument, répondirent M. de Chandoré et maître Folgat.

– Alors, messieurs, nous ne courons, ce me semble, aucun risque à essayer de démasquer un misérable garnement.

Tel n'était pas l'avis du jeune avocat.

– Démontrer que Cocoleu a conscience de ce qu'il dit, reprit-il, serait funeste, si l'on ne réussissait pas à prouver en même temps qu'il a menti et que son accusation lui a été suggérée. Peut-on le prouver? Est-il un moyen d'établir que, s'il s'obstine à ne répondre à aucune question, c'est qu'il redoute les conséquences de son faux témoignage?…

Le docteur n'en voulut pas écouter davantage.

– Arguties d'avocat, que tout cela! s'écria-t-il assez peu poliment. Je ne connais qu'une chose, moi, la vérité…

– Elle n'est pas toujours bonne à dire, murmura l'avocat.

– Si, monsieur, toujours! riposta le médecin, toujours et quand même, et quoi qu'il puisse arriver. Je suis l'ami de monsieur de Boiscoran, mais je suis encore plus l'ami de la vérité. Si Cocoleu est un misérable fourbe, comme j'en ai la conviction, notre devoir est de le démasquer.

Ce que ne disait pas M. Seignebos – et peut-être ne se l'avouait-il pas -, c'est que c'était entre Cocoleu et lui une affaire personnelle. Cocoleu l'avait joué, pensait-il, et lui avait été l'occasion d'une averse de quolibets dont il avait cruellement souffert, sans qu'il y parût. Démasquer Cocoleu, c'était prendre sa revanche et renvoyer à ses ennemis le ridicule dont ils l'avaient accablé.

– Ainsi, reprit-il, mon parti est pris, et quoi que vous décidiez, messieurs, je vais dès aujourd'hui me mettre en campagne, pour obtenir, s'il est possible, la nomination d'une commission.

– Il serait peut-être prudent, objecta maître Folgat, de réfléchir avant de rien faire, de consulter maître Magloire…

– Je n'ai pas besoin des consultations de maître Magloire, quand le devoir parle.

– Vous nous accorderez bien vingt-quatre heures…

Le docteur Seignebos fronçait les sourcils en broussaille.

– Pas une heure! s'écria-t-il, et je me rends de ce pas chez monsieur Daubigeon, le procureur de la République!

Sur quoi, reprenant son chapeau et sa canne, il salua et sortit, aussi mécontent que possible, sans daigner répondre à grand-père Chandoré qui lui demandait des nouvelles de M. de Claudieuse, dont la situation, d'après ce qui se disait en ville, loin de s'améliorer empirait de jour en jour.

– Le diable emporte le vieil original! s'écria M. de Chandoré avant même que le médecin eût quitté le corridor. (Puis, s'adressant à maître Folgat): Bien que je doive convenir, ajouta-t-il, que vous avez un peu froidement accueilli les grandes nouvelles qu'il nous apportait.

– C'est précisément parce qu'elles sont terriblement graves, répondit l'avocat, que j'aurais voulu qu'il me laissât le temps de réfléchir. Cocoleu jouant l'imbécillité, ou du moins exagérant son inintelligence!… c'est la confirmation de ce que disait hier monsieur de Boiscoran à mademoiselle Denise. C'est la preuve d'un odieux guet-apens, d'une exécrable vengeance longuement méditée et préparée. Là est le nœud de l'affaire, évidemment…

M. de Chandoré tombait de son haut.

– Quoi! s'écria-t-il, telle est votre opinion, et vous avez hésité à appuyer les démarches de Seignebos, qui est un brave homme, décidément…

Le jeune avocat hochait la tête.

– Si je tenais à gagner vingt-quatre heures, c'est que je crois indispensable de consulter monsieur de Boiscoran. Pouvais-je dire cela à monsieur Seignebos? Avais-je le droit de lui livrer le secret de mademoiselle Denise?

– C'est juste, murmura M. de Chandoré, c'est juste…

Mais pour écrire à M. de Boiscoran, l'assistance de Mlle Denise était indispensable, et ce n'est que dans l'après-midi qu'elle reparut, très pâle encore, mais armée, visiblement, d'une énergie nouvelle.

Maître Folgat lui dicta les questions à poser au prisonnier, elle se hâta de les traduire, et, vers les quatre heures, la lettre fut portée au greffier Méchinet.

Le lendemain soir, la réponse arriva.

Le docteur Seignebos doit avoir raison, mes chers amis, écrivait Jacques. Je n'ai que trop de raisons d'être sûr que l'imbécillité de Cocoleu est en partie simulée et que sa déposition lui a été suggérée. Cependant, je vous en prie, ne faites aucune démarche pour provoquer une nouvelle enquête médicale. La moindre imprudence peut me perdre. Au nom du ciel, attendez pour agir la fin de l'instruction, qui est prochaine maintenant, d'après ce que me dit Daveline…

C'est en famille que fut lue cette réponse, et sa concision résignée arracha à Mme de Boiscoran un cri de désespoir.

– Lui obéirons-nous donc! s'écria-t-elle, lorsqu'il est évident qu'il se perd, le malheureux, en s'obstinant ainsi…

Mlle Denise se leva.

– Seul juge de la situation, prononça-t-elle, Jacques a le droit de commander, et notre devoir est d'obéir… J'en appelle à maître Folgat.

Du geste le jeune avocat approuvait.

– Tout ce qui était possible a été fait, dit-il. Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre.

12

Depuis la nuit fameuse de l'incendie du Valpinson, Sauveterre ne s'ennuyait plus. Sauveterre avait sur le tapis, désormais, palpitant d'un intérêt toujours renouvelé, intarissable, fécond en discussions et en conjectures, un sujet de conversation: l'affaire Boiscoran. «Où en est l'affaire?» se demandaient les gens qui s'abordaient.

Aussi, lorsque M. Galpin-Daveline se rendait du Palais à la prison et qu'il remontait de son pas solennel et roide la rue Nationale, vingt bourgeoises embusquées derrière leurs rideaux cherchaient à surprendre sur son visage les secrets de l'instruction. Elles n'y surprenaient que l'empreinte des plus cuisants soucis, et une pâleur de jour en jour plus visible. De sorte qu'elles se disaient: «Vous verrez que ce pauvre monsieur Galpin finira par attraper la jaunisse.»

Si triviale que fût l'expression, elle traduisait exactement les sensations de l'ambitieux magistrat. Cette affaire de Boiscoran lui était devenue comme une de ces plaies vives, dont rien ne saurait calmer l'incessante irritation.