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Et comme un malheur ne vient jamais seul, la plus jeune des filles du comte de C… est très souffrante. Elle était malade de la rougeole, lors de l'incendie; la terreur, le froid et le déplacement ont amené une rechute qui peut n’être pas sans danger. Au milieu de si cruelles épreuves, Mme la comtesse de C… est admirable de dévouement, de courage et de résignation. Aussi, lorsqu'il lui arrive de quitter un moment ses chers malades pour venir à l'église prier pour eux, recueille-t-elle sur son passage les marques de la plus respectueuse sympathie et la plus sincère admiration.

«Ah! misérable Boiscoran!» s'écriaient les Sauveterriens après un tel article. Le lendemain, ils lisaient:

Nous avons envoyé prendre à l'hôpital, et Mme la supérieure a bien voulu nous donner des nouvelles de C…, le pauvre idiot dont le rôle a été si décisif dans le drame sanglant du Valpinson. L'état mental de C… ne s'est pas modifié depuis qu'il a été soumis à l'examen des hommes de l'art. L'étincelle d'intelligence allumée en son cerveau par l'horreur du crime semble décidément et à tout jamais éteinte. Impossible de lui arracher une parole. À peine semble-t-il reconnaître les gens qui prennent soin de lui. Il n'est cependant pas enfermé. Inoffensif et doux, comme un pauvre animal qui aurait perdu son maître, il erre tristement à travers les cours et les jardins de l'hospice.

M. le docteur S…, qui s'était beaucoup occupé de lui, a presque totalement renoncé à le voir.

Quelques personnes pensaient que C… serait appelé en témoignage. Des informations puisées aux meilleures sources nous autorisent à croire, au contraire, que les débats perdront cet élément si dramatique d'intérêt, et que C… ne paraîtra pas devant le jury.

«Décidément la déclaration de Cocoleu a été un coup de la Providence», disaient, après cela, en hochant la tête, des gens qui n'étaient pas bien éloignés d'y voir un miracle.

Le jour suivant, le rédacteur de L'Indépendant s'occupait de M. Galpin-Daveline:

M. G.-D…, écrivait-il, le juge d'instruction, est en ce moment assez souffrant, ce qui est bien compréhensible, après une enquête aussi laborieuse que celle de l'affaire Boiscoran. On nous assure qu'il n'attend que l'arrêt de la chambre des mises en accusation pour prendre un congé qu’il compte passer à une des stations thermales des Pyrénées.

Arrivait alors le tour de Jacques:

M. J. de B… supporte mieux qu'on ne s'y serait attendu la détention préventive. Sa santé, d'après les renseignements qui nous parviennent, serait excellente, et son moral n'aurait point souffert. Il lit beaucoup et consacre une partie de ses nuits à préparer sa défense et à rédiger des notes pour ses avocats…

Puis venaient au jour le jour de moindres nouvelles:

Le secret de M. J. de B… vient d'être levé.

Ou:

M. de B… a eu ce matin une entrevue avec ses défenseurs, maître M…, l'homme le plus éminent de notre barreau, et maître F…, un jeune et déjà célèbre avocat de Paris. Cette conférence a duré plusieurs heures. Nous nous abstiendrons de détails, mais nos lecteurs comprendront la réserve que nous impose la situation pénible d'un prévenu qui continue à protester énergiquement de son innocence…

Et encore:

M. de B… a reçu hier la visite de sa mère.

Ou enfin:

Nous apprenons, à l'instant, le départ pour Paris de Mme la marquise de B… et de maître F… – Notre correspondant de Poitiers nous écrit que la décision de la chambre des mises en accusation ne saurait tarder.

Jamais L'Indépendant de Sauveterre n'avait eu tant de lecteurs assidus.

Et comme c'était à qui serait le mieux renseigné, quantité de désœuvrés s'étaient constitués les espions volontaires des amis de Jacques et passaient leur vie à essayer de surprendre ce qui se passait chez M. de Chandoré. Les plus hardis arrêtaient les domestiques et les interrogeaient.

Voilà comment, le soir de la visite de Mlle Denise à la prison, il se trouvait des gens à flâner rue de la Rampe.

Vers les dix heures et demie, ils virent la voiture de M. de Chandoré sortir de sa remise et venir s'arrêter devant la porte.

À onze heures, M. de Chandoré et le docteur Seignebos y prirent place, et le cocher fouetta son cheval qui partit au grand trot.

Où peuvent-ils bien aller? se demandèrent les curieux.

Et ils suivirent la voiture.

C'est à la gare que se faisaient conduire le docteur et grand-père Chandoré. Prévenus par une dépêche, ils se rendaient au-devant du marquis et de la marquise de Boiscoran et de maître Folgat.

Ils arrivèrent bien trop tôt. Le chemin de fer d'intérêt local qui dessert Sauveterre n'est pas le premier du monde pour la régularité et garde encore dans son service certaines habitudes de ces anciennes pataches, dont le conducteur, au moment du départ, avait toujours oublié une commission.

À minuit et quart, le train qui eût dû être en gare à onze heures cinquante-cinq n'était pas encore signalé. Tout aux environs était silencieux et désert. À travers les vitres, on apercevait le chef de la station sommeillant dans son grand fauteuil de cuir. Employés et facteurs dormaient, allongés sur les banquettes de la salle d'attente.

Mais on est fait à ce système, à Sauveterre, on en a pris son parti, et c'est sans étonnement ni impatience que M. de Chandoré et le docteur Seignebos se mirent à se promener de long en large dans la cour.

On ne les eût pas beaucoup plus surpris, car ils connaissaient leur ville, si on leur eût dit qu'en ce moment même ils étaient observés. C'était ainsi, pourtant. Deux curieux, plus obstinés que les autres, avaient pris, pour les suivre jusqu'au bout, l'omnibus qui dessert tous les trains. Et, postés un peu à l'écart, ils se disaient: ah çà! qu'attendent-ils comme cela?

Enfin, vers une heure moins le quart, une sonnette tinta, et la station parut s'éveiller en sursaut. Le chef de gare ouvrit son guichet, les facteurs se dressèrent en se détirant les bras et en se frottant les yeux, des jurons retentirent, les portes claquèrent, et le sable cria sous la roue des brouettes.

Bientôt on entendit dans le lointain comme un sourd roulement de tonnerre, et presque aussitôt, tout à l'extrémité de la voie, brilla dans la nuit, comme une boule de feu, la lanterne rouge de la locomotive… M. de Chandoré et le docteur coururent à la salle d'attente.

Le train s'arrêtait. Une porte s'ouvrit, et Mme de Boiscoran parut, s'appuyant au bras de maître Folgat. Le marquis de Boiscoran, un sac de voyage à la main, suivait.

Tout s'explique! se dirent les espions volontaires qui étaient venus coller l'œil à une des fenêtres.

Et comme le train n'amenait aucun autre voyageur, ils obtinrent du conducteur de l'omnibus de partir à l'instant même, pressés qu'ils étaient d'annoncer l'arrivée du père de l'accusé.

L'heure était indue; depuis longtemps la ville dormait, mais ils ne désespéraient pas de trouver encore quelques habitués au Cercle littéraire. On veille souvent fort avant dans la nuit, à ce cercle, depuis qu'on y joue, car on y joue, et même assez gros jeu pour y perdre très joliment son billet de cinq cents francs.