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– Monsieur, répondit le vagabond, monsieur Blangin vous fait savoir que messieurs vos avocats viennent de monter à votre chambre.

Une dernière fois le marquis de Boiscoran embrassa son fils.

– Ne les fais pas attendre, lui dit-il, va, et bon courage…

23

Le marquis de Boiscoran avait dit vrai. Fortement ébranlé déjà par le récit de Mlle Denise, maître Magloire avait été définitivement vaincu par les explications de maître Folgat, et il arrivait à la prison prêt à répondre de l'innocence de Jacques.

– Mais je doute fort qu'il me pardonne mon incrédulité, disait-il à maître Folgat pendant qu'ils attendaient le prisonnier dans sa cellule.

Jacques entrait, sur ces mots, tout ému encore du dernier embrassement de son père. Maître Magloire s'avança vers lui.

– Je n'ai jamais su déguiser ma pensée, Jacques, prononça-t-il. Vous croyant coupable, et persuadé que vous accusiez faussement la comtesse de Claudieuse, je vous l'ai dit franchement, brutalement même. Revenu de mon erreur et convaincu de la sincérité de votre relation, non moins simplement je viens vous dire: Jacques, j'ai eu tort de croire à la réputation d'une femme plus qu'à la parole d'un ami. Voulez-vous me donner la main?

C'est avec un transport de joie que le prisonnier serra cette main loyale qui lui était offerte.

– Puisque vous croyez à mon innocence, s'écria-t-il, d'autres peuvent y croire, l'heure du salut est proche!

Au visage attristé des deux avocats, il comprit qu'il se réjouissait trop tôt. Ses traits se contractèrent, mais c'est d'une voix ferme qu'il dit:

– Allons, je vois que la lutte sera longue encore, et que l'issue en est toujours incertaine… N'importe! soyez sûrs que je ne faiblirai pas…

Déjà maître Folgat avait étalé sur la table de la prison tous les papiers de son portefeuille, des copies qui lui avaient été fournies par Méchinet et les notes de son rapide voyage.

– Avant tout, mon cher client, commença-t-il, je dois vous mettre au fait de mes démarches.

Et lorsqu'il eut exposé jusqu'en ses moindres détails son expédition en compagnie de Goudar:

– Résumons la situation, dit-il. Nous sommes dès aujourd'hui en mesure de prouver trois choses: 1° que la maison de la rue des Vignes vous appartient et que le sir Francis Burnett qu'on y connaît n'est autre que vous; 2° que vous receviez dans cette maison la visite d'une dame qui, à en juger par les précautions qu'elle prenait, avait un puissant intérêt à se cacher; 3° que les visites de cette dame n'avaient lieu qu'à une certaine époque, chaque année, laquelle coïncidait précisément avec celle des voyages à Paris de la comtesse de Claudieuse.

De la tête, le célèbre avocat de Sauveterre acquiesçait.

– Oui, dit-il, tout ceci est définitivement acquis au procès.

– Pour nous-mêmes, continua son jeune confrère, nous avons une certitude nouvelle, c'est que la servante du faux sir Francis Burnett, Suky Wood, a épié la mystérieuse visiteuse et l'a vue, et par conséquent la reconnaîtrait.

– Parfaitement. Cela résulte de la déposition de l'amie de cette fille.

– Donc, si nous retrouvons Suky Wood, la comtesse de Claudieuse est démasquée…

– Si nous la retrouvons! fit maître Magloire. Et ici, malheureusement, nous rentrons dans le domaine de l'hypothèse…

– Hypothèses, soit, interrompit maître Folgat, mais basées sur des faits positifs et dont cent exemples confirment la probabilité. Pourquoi donc ne retrouverions-nous pas cette Suky, dont nous connaissons le lieu de naissance et la famille, et qui n'a aucune raison de se cacher? (Et s'animant à mesure qu'il énumérait les chances favorables): Goudar en a retrouvé bien d'autres, poursuivait-il, et Goudar est avec nous. Et soyez tranquille, il ne s'endormira pas. J'ai laissé tomber dans son cœur un espoir qui lui fera faire des miracles, l'espoir de recevoir en récompense du salut de monsieur de Boiscoran la maison de la rue des Vignes. Trop magnifique est l'enjeu pour qu'il ne gagne pas cette partie, lui qui en a tant gagné. Qui sait ce qu'il a trouvé, depuis qu'il m'a quitté! Qui peut dire ce qu'il découvrira ici! N'est-ce donc rien, ce qu'il a fait en une journée?…

– C'est immense! s'écria Jacques, émerveillé des résultats obtenus.

Plus vieux que maître Folgat et que Jacques, le premier avocat de Sauveterre était moins prompt à l'enthousiasme.

– Oui, c'est immense, répéta-t-il, et si nous avions du temps devant nous, je dirais avec vous: nous l'emportons. Mais le temps manque pour les investigations de Goudar; mais la session est proche, et obtenir la remise de l'affaire me semble bien difficile…

– Et d'ailleurs je ne veux pas de remise, moi, interrompit Jacques.

– Cependant…

– À aucun prix, Magloire, jamais! Quoi!… il me faudrait endurer trois mois encore les angoisses qui me torturent!… Je ne le pourrais pas, mes forces sont à bout!… Assez d'incertitudes comme cela! Il faut en finir…

D'un geste, maître Folgat l'arrêta.

– Ne vous débattez pas, fit-il, obtenir une remise est impossible. Quel prétexte invoquerions-nous, pour la demander? L'insuffisance de l'instruction? En l'état, l'enquête est irréprochable. Il nous faudrait introduire dans l'affaire un élément nouveau, c'est-à-dire nommer madame de Claudieuse…

Une immense surprise se peignit sur le visage de Jacques.

– Ne la nommerez-vous donc pas quand même? interrogea-t-il.

– Cela dépend.

– Je ne vous comprends pas…

– C'est bien simple, cependant. Si, avant les délais, Goudar réunissait contre elle des éléments suffisants d'accusation, oui, je la nommerais, et alors fatalement l'affaire serait retirée du rôle, et l'on recommencerait une instruction où, très probablement, vous n'interviendriez qu'en qualité de témoin. Si, au contraire, avant le jour du jugement, nous ne recueillons pas contre elle d'autres preuves que celles que nous possédons, non, je ne la nommerais pas, car ce serait, et tel est l'avis de maître Magloire, perdre irrémissiblement votre cause…

– Oui, telle est mon opinion, approuva le vieil avocat.

La stupeur de Jacques n'avait plus de bornes.

– Cependant, fit-il, pour ma défense, si je passe en cour d'assises, il faudra bien parler de mes relations avec madame de Claudieuse…

– Non.

– Mais elles expliquent tout…

– Si on les admet…

– Prétendez-vous donc me défendre, espérez-vous donc me sauver en ne disant pas la vérité?

Maître Folgat secouait la tête.

– En cour d'assises, prononça-t-il, la vérité est la moindre des choses…

– Oh!…

– Les jurés admettraient-ils des allégations que n'a point admises maître Magloire, votre ami? Non. N'en parlons donc pas, et ne songeons qu'à trouver une explication admissible aux charges relevées contre vous. Croyez-vous que nous serons les premiers à agir ainsi? Nullement. Il est peu de cause où le ministère public dise tout ce qu'il sait, et il en est moins encore où le défenseur invoque tout ce qu'il pourrait invoquer. Sur dix procès criminels, il en est au moins trois qui se plaident à côté. Que sera le réquisitoire prononcé contre vous? Le résumé du roman imaginé par le juge d'instruction pour démontrer que vous êtes coupable. Opposez-lui un autre roman qui prouve que vous êtes innocent!