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– La vérité, pourtant…

– Est primée par la vraisemblance, mon cher client. Interrogez maître Magloire. C'est de la vraisemblance seule que s'inquiète l'accusation; donc, la vraisemblance doit être l'unique souci de la défense. Faillible et bornée en ses moyens, la justice humaine ne saurait descendre au fond des choses, discerner les mobiles et sonder les consciences. C'est sur des probabilités qu'elle décide, sur des apparences, et il n'est guère d'affaire qui ne garde pour elle des côtés mystérieux et inexplorés. Je n'en finirais pas si je vous énumérais les énigmes judiciaires. A-t-on su jamais le dernier mot de l'assassinat de Fualdès, du meurtre Marcellange et de l'empoisonnement Bocarmé? Non, et on ne le saura jamais. A-t-on tout dit lors du procès Lafarge, a-t-on parlé du complice qui, évidemment, existait!… La vérité!… Vous imaginez-vous que monsieur Galpin-Daveline l'a cherchée! Si oui, que ne laisse-t-il comparaître Cocoleu? Mais non, du moment où, pour le crime commis, il produit un coupable probable, il est content. La vérité!… Qui donc de nous la sait! Votre affaire, monsieur de Boiscoran, est de celles dont ni l'accusation, ni la défense, ni l'accusé lui-même ne possèdent le secret.

Un long silence suivit, si profond qu'on put entendre le pas monotone du soldat de la ligne de faction sous les fenêtres de la prison.

Maître Folgat avait dit tout ce qu'il estimait pouvoir dire. Il eût cru, en insistant davantage, assumer une responsabilité trop lourde. C'était de Jacques que l'honneur et la vie étaient en question. C'était à Jacques à décider du système de défense. Peser sur sa décision, c'était, en cas d'insuccès possible, sinon probable, s'exposer à ce qu'il s'écriât: «Que ne m'a-t-on laissé libre, je n'en serais pas là!»

Et pour bien indiquer cette nuance:

– Le conseil que je vous donne, mon cher client, prononça-t-il, est, selon moi, le meilleur, et c'est celui que je donnerais à mon frère. Je ne puis dire, malheureusement, qu'il soit infaillible. À vous donc de choisir. Quelle que soit votre détermination, je reste à vos ordres…

Jacques ne répondit pas. Les coudes sur la table, le front entre les mains, il demeurait aussi immobile qu'une statue, abîmé en ses réflexions.

Que résoudre? Suivre son premier mouvement, déchirer tous les voiles, clamer la vérité! C'était chanceux, mais quel triomphe que de réussir ainsi! Adopter le système de ses avocats, manœuvrer, ruser, mentir… C'était plus sûr, mais l'emporter de la sorte, était-ce vaincre?

Les perplexités de Jacques étaient affreuses. Il ne le sentait que trop: du parti qu'il allait prendre pouvait dépendre sa destinée.

Tout à coup, redressant la tête:

– Votre avis, Magloire? demanda-t-il.

Le célèbre avocat de Sauveterre fronça les sourcils, et d'un ton bourru:

– Tout ce que vient de vous dire mon jeune confrère, répondit-il, j'ai eu l'honneur de l'exposer à madame votre mère. Maître Folgat n'a eu qu'un tort, c'est d'y mettre tant de ménagements. Le médecin n'a pas à s'inquiéter de ce que pense le malade, des remèdes qu'il lui prescrit. Il se peut que nos prescriptions ne soient pas le salut, mais si vous ne les suivez pas, vous êtes perdu sûrement.

Quelques minutes encore, Jacques hésita. Ces prescriptions, comme disait maître Magloire, répugnaient horriblement à son caractère chevaleresque et hardi.

– Être acquitté ainsi, murmurait-il, serait-ce bien l'être? Serais-je réellement, et pour tous, disculpé?… Toute mon existence, ensuite, ne serait-elle pas flétrie par de vagues soupçons… Je ne serais pas sorti des débats le front haut, je me serais esquivé en quelque sorte par un escalier de service et une porte dérobée…

– Cela vaut encore mieux que d'aller au bagne par la grande porte! dit brutalement maître Magloire.

À ce mot de bagne, Jacques avait bondi comme au contact d'une batterie électrique. Il se leva, et après quelques tours dans sa prison, se posant en face de ses défenseurs:

– Je m'abandonne à vous, messieurs, prononça-t-il Dictez-moi ma conduite, j'obéirai…

Jacques avait du moins les qualités de ses défauts: une résolution prise, il ne revenait plus sur celles qu'il eût pu prendre.

Calme, désormais, et de sang-froid, il s'assit, et avec un sourire triste:

– Voyons le plan de bataille, dit-il.

Ce plan, depuis un mois, était la constante et presque unique préoccupation de maître Folgat. Tout ce qu'il avait d'intelligence, de pénétration et de pratique des affaires, il l'avait appliqué à disséquer cette cause devenue sienne, en quelque sorte, par l'intérêt passionné qui l'y attachait. Il connaissait la tactique de l'accusation aussi bien que M. Galpin-Daveline, et mieux que lui il en savait le fort et le faible.

– Ainsi donc, commença-t-il, nous allons procéder comme si madame de Claudieuse n'existait pas. Nous ne la connaissons plus. Il n'est plus question du rendez-vous au Valpinson, ni de lettres brûlées…

– C'est convenu.

– Cela étant, nous avons tout d'abord à chercher, non l'emploi de notre temps, mais l'explication de notre sortie le soir du crime. Ah! si nous en pouvions imaginer une plausible, bien vraisemblable, je répondrais presque du succès, car ne nous y méprenons pas, là est le nœud de l'affaire, et c'est sur ce point que s'acharneront les débats.

C'est ce dont Jacques ne semblait pas parfaitement convaincu.

– Est-ce bien possible! fit-il.

– Ce n'est que trop certain, malheureusement. Et si je dis malheureusement, c'est que nous avons ici contre nous une charge terrible, la plus décisive, à coup sûr, qui ait été relevée, sur laquelle monsieur Galpin-Daveline n'a pas insisté – il est bien trop fin pour cela – mais qui, entre les mains du ministère public, peut être l'arme du coup de grâce…

– Je dois avouer, commença Jacques, que je ne vois pas trop…

– Oubliez-vous donc la lettre que vous avez écrite à mademoiselle Denise le jour du crime? interrompit maître Magloire.

Alternativement, Jacques regardait ses deux défenseurs.

– Quoi, fit-il, cette lettre…

– Nous accable, mon cher client, acheva maître Folgat. Ne vous la rappelez-vous donc plus? Vous y dites à votre fiancée que vous serez privé du bonheur de passer la soirée près d'elle par une affaire de la plus haute importance et qui ne souffre point de retard. Donc, d'avance, et après mûres réflexions, vous vous proposiez d'employer votre soirée à une certaine chose. Quelle? L'assassinat de monsieur de Claudieuse, prétend l'accusation. Que lui répondrons-nous?

– Mais, pardon, cette lettre, mademoiselle Denise ne l'a certainement pas communiquée.

– Non, mais l'accusation sait son existence. Monsieur de Chandoré et monsieur Séneschal, croyant vous disculper, en ont dit et redit le contenu. Et monsieur Galpin-Daveline la connaît si bien qu'il vous en a parlé à diverses reprises, et que vous avez avoué tout ce qu'il pouvait souhaiter.

Le jeune avocat cherchait parmi les papiers étalés sur la table. Bientôt il eut trouvé.

– Tenez, reprit-il, dans votre troisième interrogatoire, voici ce que je lis:

DEMANDE. – Vous deviez épouser prochainement mademoiselle de Chandoré?

RÉPONSE. – Oui.