Выбрать главу

— Oui, bien sûr. Je vais m’y mettre tout de suite. Alors… alors vous pensez que nous avons une chance ?

— Mieux que ça, Dennis. Le sénateur Forrester est l’un des hommes les plus influents de Washington, et c’est quelqu’un de bien, aussi droit qu’il se puisse espérer. Il n’aime pas ce qu’on lui a rapporté de cette affaire, et il n’est pas du genre à oublier. Je crois que le vent a enfin tourné en notre faveur.

— Excellent.

McPherson rédige un mémo pour Lemon aussitôt après le coup de fil, expliquant les grandes lignes de ce qu’il a appris et suggérant une approbation immédiate du recours en appel.

A mesure qu’il décrit les faits, ses espoirs reviennent l’envahir. Il a l’impression, d’un seul coup, que le système pourrait vraiment fonctionner, en fin de compte. Le réseau d’obstacles et de contrepoids est d’une complexité presque étouffante – peut-être d’une complexité trop grande ; mais cela revient en fin de compte à dire que le pouvoir est répandu un peu partout, et qu’aucun élément du réseau ne peut en abuser un autre sans compromettre l’équilibre de l’ensemble. Lorsque cela se produit, tous les autres éléments s’en mêlent, parce que leur propre pouvoir est menacé quand l’un d’entre eux tire trop la couverture à lui ; ils foncent dans la mêlée comme un défenseur de hockey avec sa crosse pour le faire trébucher, et l’équilibre est restauré. L’Air Force a essayé de s’affirmer au-dessus du système, extérieure au réseau ; le reste du réseau s’apprête maintenant à la ramener en son sein. C’est la démarche américaine : on avance tant bien que mal, avec l’habituelle démarche empotée, inefficace – exaspérante à observer, mais finalement équitable.

Aussi, soulagé sur ce point, il consacre le reste de la journée à travailler sur le programme Foudre en Boule. Et là aussi, il distingue des signes de progrès, des signes qui indiquent qu’ils parviendront peut-être à élaborer un système exploitable dans les délais. Les programmeurs sont venus le trouver, tout excités, pour lui parler tous à la fois d’un programme qui réussira à bloquer les rayons de plusieurs lasers sur un missile, en faisceaux phasés ; cela accroît considérablement l’intensité du rayon, de sorte que la pulsation de choc pourra de nouveau marcher. Ils se croient également en mesure de pister les missiles après la phase d’utilisation des boosters, en extrapolant leur trajectoire de façon très précise. Combinez ça avec le temps de latence plus court permis par les faisceaux phasés et… il se pourrait fort bien qu’ils arrivent à abaisser les taux spécifiés par l’Air Force. Ça se pourrait. Même si ça peut les conduire un peu au-delà de la fin de la phase d’utilisation des boosters.

Aiguillonné par cette possibilité, McPherson cajole, câline et malmène Dan Houston pour qu’il réactive son cerveau et fasse sa part du boulot ; il va falloir que tout le monde fasse un gros effort pour que le travail soit fait dans les temps, une sorte de faisceau phasé d’efforts. Et Houston est nase. Il n’a jamais rappelé à Dennis la soirée au El Torito, quand il a fallu que celui-ci l’accompagne jusqu’à la voiture, mais il est désormais évident pour Dennis que cette soirée-là n’avait rien d’inhabituel. Dan boit beaucoup tous les jours ; il aurait besoin d’une coupe de cheveux, il aurait besoin de se raser, ses vêtements semblent lui avoir servi de pyjama ; il représente vraiment le stéréotype du bonhomme qui vient de se faire plaquer, dont la vie se désagrège. Parfois, Dennis a envie de claquer des doigts, de dire : « Arrêtez ça, Dan, vous vous faites un scénario vidéo ! »

Mais il réalise ensuite que le chagrin de Houston est bien réel, et que c’est la seule façon qu’il connaisse de l’exprimer s’il a conscience de jouer ce rôle. Dans le cas contraire, c’est tout simplement ce qui vous arrive quand désormais vous vous en foutez, quand vous avez perdu espoir, quand vous avez commencé à picoler sérieux.

McPherson l’invite donc à déjeuner, et l’écoute raconter toute sa triste histoire, qu’il accepte maintenant de livrer sans ambages…

— La vérité, Mac, c’est que Dawn est retournée chez ses parents.

— Oh, c’est vrai ?…

Et Dennis y va de son boniment pour lui remonter le moral, lui parle d’une voix exaltée des détails de ce que Houston doit faire, de ce que doit faire l’équipe de Houston, et il va jusqu’à refuser de permettre à Houston de commander un second pichet de margarita, même si ça ne fait que lui attirer un regard de sourde rancœur.

— Faites ça après le boulot si c’est vraiment indispensable, Dan, lance sèchement McPherson, agacé.

Une tactique à la Stewart Lemon ? Tant pis, il faut ce qu’il faut ; il ne leur reste pas beaucoup de temps.

Et le fait est que Houston fournit cet après-midi-là un effort plus soutenu qu’il ne l’a fait depuis des semaines et des semaines. « Bon Dieu, se dit McPherson, parcourant sa liste des Choses-à-faire avant de rentrer chez lui… On va peut-être y arriver, en fin de compte. »

68

Jim passe sa journée à dormir sur le canapé de son salon, couché en chien de fusil, concentré sur un estomac noué à l’extrême. Il s’éveille souvent, chaque fois plus épuisé que la précédente. A chaque regain d’autonomie, il essaie de joindre Hana. Pas de réponse, pas de répondeur. Et de nouveau le sommeil, agité, troublé. Ses rêves sont à vomir, les problèmes y sont plus éminemment insolubles que jamais. Dans le dernier, lui et tous ses amis ont été capturés par les Russes et emprisonnés au Kremlin. Il essaie de s’évader en descendant à travers un flipper, mais la vitre du dessus se remet en place trop vite et le décapite. Il est obligé de regrimper et de triompher de l’épreuve qui consiste à retrouver sa tête sans le secours de ses yeux, puis de replacer celle-ci sur son cou et de l’y maintenir très soigneusement en équilibre. Personne ne croira qu’il se balade avec la tête coupée. Le secrétaire d’État Kerens, vêtu d’un uniforme couvert de médailles, est flanqué de Debbie, Angela et Gabriela, qui ne portent toutes trois que le bas de leurs sous-vêtements.

— Très bien, fait le secrétaire d’État, brandissant un appareil qui évoque une main artificielle capable d’extraire les cœurs des poitrines. A vous de choisir par laquelle on commence.

Il se réveille en sueur, l’estomac crispé comme s’il avait une crampe.

Vers 2 heures de l’après-midi, il essaie de nouveau de joindre Hana, et elle répond.

— Allô ?

— Ah ? Oh ! Hana ! C’est Jim. J’ai… essayé de te contacter.

— Ah bon.

— Oui, mais tu n’étais pas chez toi. Ecoute, euh, Hana…

— Jim, je n’ai pas envie de te parler en ce moment.

— Non, Hana, non… Je suis désolé !

Mais elle a raccroché.

— Merde !

Il repose le combiné si violemment qu’il le fait presque exploser. Au bout d’un moment, il recompose le numéro. Le signal « occupé », détestable son. Elle a laissé le téléphone décroché. Aucune chance de la joindre. C’est tellement con.

— Oh, merde.

Il a envie d’aller chez elle, d’implorer son pardon. Puis l’injustice de la situation le met en rogne, il a envie que ce soit elle qui vienne implorer son pardon, pour s’être montrée aussi déraisonnable. « Allons ! J’étais juste en train de dîner avec une amie ! Après l’enterrement d’une autre amie ! » Mais ce n’est pas rigoureusement vrai. Il saisit son livre de cuisine mexicaine sur l’étagère et le jette violemment par terre, lui fait traverser la cuisine d’un coup de pied. Recommence. Excellent pour se défouler, jusqu’au moment où il s’arrête.