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Et il se retrouve affecté à Foudre en Boule. Lemon n’oublie jamais.

Dan est sur le point de mettre un terme à sa journée, et il s’apprête à partir avec quelques membres de son équipe, pour aller au El Torito, juste en bas de la rue. Il a envie que McPherson vienne prendre des margaritas avec eux, et McPherson dissimule son irritation et accepte. Sur le court trajet, il passe un coup de fil à Lucy pour la prévenir qu’il rentrera tard, puis grimpe le labyrinthe d’escaliers extérieurs du complexe de bureaux jusqu’au restaurant du dernier étage. Jolie vue sur les immeubles de Muddy Canyon et, de l’autre côté, sur la mer.

Dan, Art Wong et Jerry Heimat sont déjà installés à une table près de la baie vitrée, et le pichet de margarita est commandé. McPherson s’assied et se met à discuter le bout de gras avec eux. Ils parlent boutique. Certains cadres de Grumman et Teledyne ont été inculpés, accusés d’avoir touché des pots-de-vin versés par leurs sous-traitants. « Ça doit être pour ça qu’on dit que les missiles sol-air de chez Grumman volent de traviole », fait Dan. Ce qui les amène à parler de missiles, et lorsque arrive le pichet de margarita auquel ils font rapidement un sort, ils sont en train de discuter des dernières performances dans la guerre d’Indonésie. Il paraît qu’un missile antitanks de la General Dynamic a été surnommé « le Boomerang », à cause de problèmes persistants avec le software de guidage ou des pivots des pales, on n’est pas encore tout à fait sûr. Mais il s’obstine à voler selon des trajectoires obliques, un vrai problème, ça oui. Personne n’a envie d’utiliser ces engins, mais on les oblige à le faire quand même parce que les Marines en possèdent des quantités et se refusent à admettre que les problèmes ont dépassé un pourcentage acceptable. Alors les soldats ont pris l’habitude de tirer les missiles de la G.D. en pointant à quatre-vingt-dix degrés les tanks qui constituent la cible… enfin, c’est ce que véhicule le téléphone arabe. Aucun doute qu’il s’agit d’un ramassis de mensonges, mais de toute façon personne n’aime la G.D., alors ça fait une bonne histoire.

— Vous savez ce qui est arrivé à Johnson, chez Loral ? demande Art. Il est chargé du quatrième niveau du programme sur les missiles balistiques intercontinentaux, c’est lui qui dégomme les auteurs de fuites. Bon, un jour il reçoit une directive du C.D.S., qui dit : « Vous êtes prié de vous assurer que vous traiterez bien à vingt pour cent de plus que la somme totale estimée pour un lancement en cas d’attaque à grande échelle. » (Ils s’esclaffent tous.) Il a failli faire une crise cardiaque, c’était un montant d’un ordre de grandeur deux fois supérieur à son estimation des sommes en jeu pour le projet, et il était dans la merde jusqu’au cou sur le software. Tout le système était écrabouillé. Alors il a appelé le Pentagone juste avant que son palpitant lui dise adieu, et s’est aperçu que celui qui avait écrit « dix pour cent de plus que » aurait dû écrire « dix pour cent du »…

— Il a quand même eu des problèmes, poursuit Dan lorsqu’ils cessent de rire. Ils ne sont même pas en mesure de garantir une rentrée d’argent avec une fiabilité de plus de cinquante pour cent, ce qui fait qu’ils vont devoir au moins doubler le nombre de montages financiers tordus, et le Pentagone menace déjà de le bazarder.

Ça rappelle à Dennis ses propres ennuis, et il descend ce qui lui reste de margarita avec un sourire sardonique.

Art et Jerry, conscients des états d’âme de leur patron, sentent ce changement d’humeur. Et cette rencontre est censée se dérouler entre les deux directeurs. Ils bavardent donc encore quelques instants, finissent leurs verres, puis se lèvent et s’en vont. Dan et Dennis restent là pour parler.

— Alors, fait Dan avec le même sourire dénué d’humour, Lemon vous a embringué dans le programme Foudre en Boule, hein ?

— C’est exact.

— Sale coup pour vous. (Dan fait signe à une serveuse qui passe pour commander un autre pichet.) Il panique, ça je peux vous le dire. Hereford appelle de New York et fait monter la pression, et en ce moment c’est tout sauf agréable, parce qu’on est coincés. (Il hoche la tête d’un air misérable.) Coincés.

— Racontez.

Dan sort un stylo, dessine un cercle sur la nappe en papier jaune.

— Le vrai problème, se plaint-il, c’est qu’on a refilé un boulot impossible aux gens du premier niveau. Le Commandement de la Défense stratégique a déclaré qu’il fallait que soixante-dix pour cent des missiles balistiques intercontinentaux soviétiques soient, en cas d’attaque complète, détruits au cours de la phase d’allumage des boosters. Nous avons décroché un programme de développement avec cet objectif comme idée de base. Mais ce n’est pas réalisable.

— Vous croyez ? (McPherson a le sentiment que Dan n’est peut-être qu’en train de justifier les problèmes qu’il a avec son programme.) Pourquoi ?

Houston grimace.

— Le temps de latence nécessaire est trop long, Dan. Tout simplement trop long. (Il soupire.) Ça a toujours été l’exigence la plus pointue de toute l’architecture du système, si vous voulez mon avis. Les Soviétiques ont réduit le temps d’allumage de leurs boosters rapides à soixante secondes, ce qui fait que la plupart de leurs missiles balistiques intercontinentaux ne resteront en phase d’utilisation des boosters que durant cette minute, et pendant la moitié de ce temps ils se trouveront dans l’atmosphère, où les lasers ne peuvent pas grand-chose. Donc, dans notre optique, nous raisonnons sur une fenêtre de soixante secondes.

Il griffonne les chiffres sur la nappe à mesure qu’il parle, nerveusement, comme s’il s’agissait de sa signature ou de quelque autre symbole profondément inscrit dans sa mémoire, presque comme par obsession. tB = 30.

— Bon, durant cet intervalle, il nous faut localiser les missiles, suivre leurs trajectoires et aligner les miroirs de manière correcte afin de répercuter les faisceaux laser. L’équipe d’Art a fait tomber ça à environ dix secondes, ce qui constitue d’ailleurs une incroyable prouesse technique. (Il hoche la tête d’un air buté, écrit tR = 10.) Vient ensuite le temps de latence, le temps qu’il faut pour braquer le faisceau sur le missile pour le détruire.

Il écrit tL =, hésite, laisse vierge l’autre partie de l’équation.

— Vous avez dit à l’Air Force que nous pouvions faire pulser une grosse explosion d’énergie, exact ? demande McPherson. De manière à ce que ce soit une onde de choc qui endommage et casse l’enveloppe du missile ?

Dan hoche la tête.

— C’est exact.

— Alors le temps de latence devrait être bref.

— C’est exact ! C’est exact. Le temps de latence devrait être de l’ordre de deux secondes. Ce qui signifie que chaque poste laser devrait pouvoir détruire N missiles, c’est-à-dire que (et il écrit) :

N = (tB) / (tL +tR)

» Quoi qu’il en soit, poursuit Dan, les yeux baissés sur cette simple équation, l’une de ces formules du type Field-Spengler avec lesquelles il doit jongler tous les jours, le temps de latence est en fait fonction de la robustesse du missile, de la distance par rapport à la cible, de l’intensité du faisceau laser et de l’angle d’incidence entre le faisceau et la surface du missile.