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— On est tombé, hein ? Viens avec nous en bas, nager te dessoûlera.

— Il est assez sobre pour nager ?

— Sûr, un bon coup d’eau salée lui fera du bien.

Jim répond avec tout le calme qu’il est capable de rassembler. Ça sera un bon moyen de laver un peu la terre et les traces de cristallines écrasées qu’il a sur les mains et le visage. Ils descendent jusqu’à la plage, se déshabillent, marchent vers l’eau. L’assaut des blanches, presque phosphorescentes, vagues sur ses chevilles est agréable. C’est froid mais loin d’être aussi pénible qu’il s’y attendait. Il court dans l’eau, plonge dans les glaciales vagues salées. Une grande claque, qui nettoie et rafraîchit. Les brisants le font tomber et il s’abandonne. Peut-être que Tashi tient quelque chose avec son idée de surfer la nuit. Jim effectue un peu de body-surf décousu dans la crique.

Ce faisant, il se cogne à une jeune femme du groupe ; elle pousse un petit cri, s’accroche à lui, le corps incroyablement chaud dans la fraîcheur de l’océan. Jambes nouées autour de sa taille, bras autour de son cou, un rapide baiser, whaow ! Puis le choc d’une vague les détache et la voilà partie, il n’arrive pas à la retrouver.

Il nage de-ci de-là à sa recherche, sans succès, a trop froid, sort de l’eau et remonte la plage. Exceptionnel rafraîchissement. Remarquablement chaud, dehors. De superbes femmes nues émergent de l’écume et viennent vers lui, lui donnent l’une de leurs serviettes, se sèchent devant lui. Que pourraient-elles être ? Dryades ? Néréides ?

Une certaine qualité de la rencontre dans les eaux sombres a précipité quelque chose en lui ; rien à voir avec son habituelle lubricité, absolument rien. Les autres se rhabillent, il se rhabille. Remontée de l’escalier, retour à la fête. Pas le temps de mettre de l’ordre dans ses idées ; mais une partie de lui-même se souvient…

Tout en haut, des gens dansent dans trois pièces. Tashi et Abe sont dans l’une, guinchant sur une « drague de plage », danse conçue comme une suite de bonds de pogo.

— T’es allé nager ? demande Abe, haletant.

— Ouais. Avec une petite expérience mystique en plus.

Et une grande conversation mystérieuse. Jim se joint aux danseurs. Passent The Wind’n Sea Surf Killers, qui chantent leur dernier tube, Dance Till Your Feet Are Bloody Stumps, « danse jusqu’à ce que tes pieds se réduisent à des moignons sanglants ». Parfait.

Et la fête se déroule comme toutes les fêtes. Jim n’arrive à aucun moment à identifier son amour océanique. Vers 3 heures, il se sent très fatigué, et peu enthousiaste à l’idée de prendre un quelconque remontant chimique. Non. Il s’assied dans un beau fauteuil de cuir dans la pièce de devant, d’où il peut apercevoir l’entrée. Des tas de gens entrent et sortent.

Humphrey et Tash viennent s’asseoir avec lui et ils parlent de San Diego. Humphrey aime l’endroit à cause de toutes les affaires qu’on peut faire à Tijuana.

— Naturellement ! s’écrie Abe en les rejoignant et en s’asseyant par terre. Vous devriez voir Humphrey à Tijuana ! Il vous pressure les commerçants à tel point que ça en devient incroyable. « Deux cents pesos, merde, vous blaguez ! Je vous en offre dix ! »

Les autres s’esclaffent d’entendre Abe imiter à la perfection les accents d’indignation et de délectation de Humphrey. Humphrey opine du chef avec un grand sourire.

— Ouais.

— J’vous assure, ces pauvres gens ouvrent le samedi matin, et la première chose de la journée qu’ils voient leur tomber dessus, c’est Humphrey, et pour eux c’est comme un désastre, ils savent qu’ils vont finir par vendre la moitié de leur stock pour une poignée de pesos.

— Vaut mieux voir un bandit armé se pointer à la porte, ajoute Tash.

— Meilleure affaire…

— Moins pénible…

— Plus sûr…

Arthur se pointe. Ils restent assis à attendre Sandy. Jim observe discrètement Arthur, qui a le même air que d’habitude. Pas d’indices de ce côté-là.

26

Sandy, de son côté, vient tout juste d’arriver à se libérer pour avoir un petit entretien en privé avec Bob Tompkins. Ils se replient dans la chambre de Bob en compagnie d’un ami de celui-ci que Sandy n’a pas encore rencontré et s’asseyent sur un gigantesque lit rond.

Huit caméras vidéo :

Deux murs d’écrans les montrent assis jambes croisées, depuis huit angles.

La vie dans un kaléidoscope : laquelle de ces images est toi ?

Dessus-de-lit de soierie verte. Aux murs, papier peint à paillettes bronze.

Tapis gris argent.

Coiffeuses en chêne, surmontées d’une collection de narguilés très ornés :

Jarres de porcelaine, fourneaux de cuivre, serpentins,

Six haut-parleurs diffusent de doux airs de cithare.

Un poème est une liste de Choses-à-faire.

Les as-tu déjà faites ?

— Je te présente Manfred, dit Bob à Sandy. Manfred, Sandy.

Manfred hoche la tête, les yeux brillants et très dilatés.

— Ravi de faire ta connaissance.

Ils se serrent la main par-dessus la soie verte.

— Bon, essayons un peu mon dernier truc pendant que nous discutons de la proposition de Manfred.

Bob pose un grand plateau de bois circulaire au milieu du lit, entre eux trois. Il prend un assez petit narguilé dans sa collection, l’installe sur le plateau, s’assied, bourre l’une des parties du fourneau à plusieurs compartiments à l’aide d’une substance noire et goudronneuse. Trois tuyaux sortent de la base de porcelaine bombée de la pipe, et ils en prennent chacun un et inspirent tandis que Bob fait aller et venir la flamme d’un briquet sur le fourneau. Au moment où la fumée atteint sa gorge, Sandy se met à cracher ses poumons. Les deux autres toussent aussi, plus modérément mais à peine. Sur les écrans muraux, on dirait que toute une bande de gars vient de se faire gazer dans un bordel.

— Ah la vache ! s’étrangle Sandy. Super.

Les deux autres poussent des rires asthmatiques.

— Attends juste deux minutes, conseille Bob.

Lui et Manfred tirent une autre latte, et Sandy essaie, mais se remet seulement à tousser. Cependant, le motif du dessus-de-lit s’est soulevé au-dessus du lit et s’est mis à tourner dans le sens des aiguilles d’une montre en devenant de plus en plus compliqué ; et les paillettes bronze du papier peint scintillent sombrement, faisant éclater la lumière tamisée de la coiffeuse en un billion de fragments riches de sens. Étrangement belle, cette chambre.