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Mais le temps finit par s’écouler, et le C.E.S.S. doit s’arrêter et faire son rapport, et l’Autorité de Sélection des Sources – le général Jack James, un homme sérieux et distant – doit s’interrompre et établir sa décision, décision qui doit être examinée par le Q.G.U.S.A.F., avant que vienne le moment où l’Air Force attribuera le contrat pour Abeille-Tempête. Quelque part en cours de route, la décision a été prise. Une compagnie verra son offre retenue et se retrouvera chargée d’un système à sept cent cinquante millions de dollars, les quatre autres concurrents seront renvoyés chez eux pour une nouvelle tentative, tous quatre délestés de quelques millions de dollars, seul résultat de leurs efforts.

Au vu des rapports de McPherson sur les séances d’interrogations, et en raison du choix originel de la L.S.R. par l’Air Force à l’époque où le projet était super-noir, Lemon est persuadé que c’est leur offre qui sera retenue. Toutes les questions posées à Dayton indiquent un vif intérêt pour les problèmes de développement et de déploiement, et Lemon estime que la proposition est si forte qu’aucune faiblesse n’y a été décelée. Donald Hereford, à New York, semble convaincu par Lemon, et sur ses ordres un important détachement d’employés de la L.S.R. font le déplacement jusqu’à la Cité de Cristal pour entendre l’annonce par l’Air Force de l’attribution. Hereford vient en personne, avec une petite équipe de sous-fifres. Le soir qui précède l’annonce, ils donnent une réception dans le restaurant au-dessus des bureaux de la L.S.R., dans la tour Aerojet, et l’ambiance est à la fête. La rumeur, qui s’étend à toute la profession, veut que la L.S.R. ait effectivement décroché le contrat.

McPherson se montre poliment enjoué lors de la réception mais, en ce qui concerne la rumeur, il essaie de rester circonspect. Il est trop nerveux pour faire quelque supposition que ce soit. C’est son programme à lui, après tout. Et les rumeurs n’ont aucune valeur. Pourtant, il est impossible de ne pas se laisser gagner ne serait-ce qu’un peu par l’atmosphère, de ne pas autoriser l’espoir à s’épanouir à partir de son bouton dur et serré…

Le lendemain, dans l’une des gigantesques salles de conférences blanches du Pentagone, McPherson sent les serres de la nervosité se refermer sur lui. Tout un tas de gens envahissent la salle, y compris d’importants groupes de représentants des cinq offrants : Aeritalia, Fairchild, McDonell/Douglas, la Parnel et la L.S.R., chaque équipe regroupée par noyaux disséminés dans la pièce. McPherson considère les équipes des autres compagnies avec curiosité. Sa jovialité à l’égard de son propre groupe est un difficile rôle de composition, et il est douteux qu’il s’en tire bien. En réalité, tout ce qu’il veut, c’est s’asseoir.

C’est avec soulagement qu’il voit enfin le colonel de l’Air Force entrer dans la salle et se diriger à grands pas vers l’estrade ornée de drapeaux sur le devant. Des projecteurs vidéo s’allument dans un claquement et un micro se met à bourdonner au sein du gros bouquet sur le podium. C’est une grosse conférence de presse de plus, la plus haute idée du divertissement que l’on se fait au Pentagone. Et tout le monde semble d’accord. Plusieurs caméras sont braquées sur l’orateur, et McPherson reconnaît plusieurs journalistes spécialisés, d’Aviation Week and Space Technology, de National Defense, de S.D.I. Today, de Military Space, de L-5 Newsletter, du Highest Frontier, d’Electronic Defense, et ainsi de suite ; des badges d’identification présentent aussi des reporters du Wall Street Journal, de l’A.P., de l’U.P.I., de Science News, du Time et de nombreux journaux. C’est une nouvelle d’importance, et le Pentagone s’est montré rusé en transformant à son profit les cérémonies d’attribution en événement médiatique. Le colonel qui sera leur maître de cérémonie est manifestement un homme de relations publiques expérimenté : un beau pilote qui s’apprête à octroyer le contrat qui rendra les pilotes inutiles, songe McPherson avec amertume.

Pour le seul bénéfice des reporters et des caméras, ils doivent d’abord supporter une description enthousiaste du système Abeille-Tempête et de sa formidable importance pour la sécurité américaine. Ainsi que de sa grande envergure et de sa valeur financière, naturellement. La tension chez les concurrents en présence réduit tous ceux-ci à une situation d’attente maussade, tendue. Près de soixante-dix cerveaux sont en train de penser : « Viens-en au fait, Ducon, au fait ! » Mais ça fait partie du rituel, histoire de rappeler qui est le patron dans ce jeu-là…

Un instant, McPherson se laisse distraire par ces pensées, puis il entend : « Nous sommes heureux de vous annoncer que le contrat portant sur le système Abeille-Tempête a été attribué à la Parnel Avispace Corporation. Leur offre victorieuse s’élevait à un total de six cent quatre-vingt-dix-neuf millions de dollars. On trouvera des détails sur le processus qui a conduit à cette décision dans le document qui va être maintenant distribué. »

L’estomac de McPherson s’est réduit à un point singulier. Le visage de Lemon est rouge de colère, et quelque chose dans son expression déclenche la fureur de McPherson plus que l’annonce elle-même. Il s’empare d’une des brochures qui circulent, lit fébrilement la page d’informations fondamentales. Quand il a fini, il est si surpris qu’il s’arrête et recommence à la lire plus lentement, clignant des yeux d’incrédulité.

Apparemment, ils utilisent un système laser de type Y.A.G., en configuration de binacelle. Et pour six cent quatre-vingt-dix-neuf millions ! C’est impossible ! Il est tout de suite évident que la Parnel a fait l’offre la plus basse à laquelle ils pouvaient se tenir. Et l’Air Force a laissé passer l’escroquerie. S’en est, en fait, rendue complice. La salle s’emplit de voix incrédules ou coléreuses, suffisamment pour couvrir les papotages ravis de l’équipe de la Parnel, tandis qu’un nombre de plus en plus grand de personnes se saisissent de la brochure. Des journalistes filent dans tous les sens, assiégeant le groupe de la Parnel, visages radieux sous les projecteurs – faces roses, sourires, yeux désincarnés…

Quelque chose claque en McPherson. Il se lève, les paroles s’écoulent toutes seules de sa bouche.

— Bon Dieu, ils ont maquillé le truc ! C’est nous qui avions la meilleure proposition de toutes, et ils ont donné leur accord sur celle-ci qui est un tissu de mensonges évident !

Lemon et les autres gens de Laguna Hills le dévisagent, stupéfaits. Jamais de leur vie ils n’ont entendu une telle sortie proférée par Dennis McPherson, et ils en sont vraiment interloqués. Art Wong reste bouche bée.

Donald Hereford, cheveux argentés, calme, se contente de regarder McPherson avec impassibilité.

— Vous pensez que leur offre est trop basse par rapport à la réalité ?

— Elle est impossiblement basse ! Je n’arrive pas à croire que les estimations des C.P.P. aient pu laisser passer ces conneries ! Quant à la proposition elle-même – regardez comment ils ont ignoré les spécifications de l’A.O. – deux nacelles, un laser Y.A.G., onze virgules huit kVA, enfin quoi, les avions n’auront pas assez de puissance pour fonctionner avec ces équipements-là ! (Cœur emballé, joues rouges et brûlantes, McPherson claque la brochure sur le dossier d’un siège.) Nous nous sommes fait entuber !