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Jim rit.

— Vous êtes ambitieuse !

— Certainement. (Elle lui jette un coup d’œil ; la plupart du temps, elle regarde la table quand elle parle.) Tout le monde est ambitieux, ce n’est pas votre avis ?

— Non.

— Mais vous… Vous ne l’êtes pas ?

— Ah ! (Jim rit de nouveau, gêné.) Si, je suppose que si.

Bien sûr qu’il l’est ! Mais s’il le déclare, cela ne soulignera-t-il pas son absence de résultats, son absence d’efforts ? Ce n’est pas un sujet qu’il aime aborder.

Elle hoche la tête, fixant de nouveau la table.

— Tout le monde l’est, je crois. Ceux qui n’arrivent pas à le reconnaître, c’est qu’ils ont peur de quelque chose.

Et un rien de télépathie, un ! Et Jim s’entend dire :

— Ouais, j’ai peur, c’est vrai.

— Bien sûr. Mais vous l’avez reconnu quand même, non ?

— Je le suppose. (Jim sourit.) J’aimerais voir quelques-unes de vos œuvres.

— D’accord. Et peut-être pourrais-je lire quelques-unes des vôtres ?

Éclair de frayeur.

— C’est très mauvais.

Elle sourit à la table.

— C’est ce qu’ils disent tous. Eh là, regardez. Ils ferment.

— Bien sûr, il est 11 heures.

Ils rient.

Ils rassemblent leurs affaires et s’en vont. Alors qu’ils passent sous l’éclairage de l’entrée, Jim remarque combien elle semble farouche. Cheveux dépeignés, pull tricoté à la va-vite, elle a vraiment l’air bizarre. Pourrait pas être moins à la mode si elle essayait. Jim suppose que c’est justement le but recherché, mais tout de même…

— Nous devrions renouveler l’expérience, dit-il.

Elle a les yeux perdus au loin, à ras de terre ; peut-être examine-t-elle les projecteurs au sol qui bordent la cour carrée et éclairent les buissons par en dessous. Ça produit un effet curieux. Ha… Voilà que Jim se met à voir des choses, tout à coup.

— Oh, bien sûr, fait-elle d’une voix indifférente. Nos cours finissent à la même heure.

Il l’accompagne jusqu’à sa voiture.

— À jeudi, alors ?

— Bien sûr. Ou à un autre moment.

— D’accord. Salut.

Jim monte dans sa propre voiture et s’éloigne, songeant aux choses dont ils ont parlé. Est-il réellement ambitieux ? Et si oui, pourquoi ? « Tu veux créer la différence, se dit-il. Tu veux changer l’Amérique. En écrivant, en travaillant pour la résistance, en enseignant, en faisant tout ce que tu fais ! Changer l’Amérique, waow – on ne peut pas faire plus grandiose. » Remarquable, alors, à quel point il est paresseux, et combien est énorme le fossé entre ce qu’il désire et ce qu’il obtient ! Gros soupir. Mais tiens, vise-moi un peu ce chapelet de phares qui serpente le long de la berge de Rattlesnake Reservoir, et qui se reflète dans l’eau noire comme toute une suite courbe de vagues gribouillis en S…

C’est une question de regard.

37

Dennis McPherson n’est pas surpris de découvrir que Lemon est furieux pour tout ce qui touche à la décision concernant Abeille-Tempête, y compris la plainte. Étant donné que c’est Hereford qui a eu l’idée de la plainte, stimulé par l’éclat de McPherson, et qu’il a formulé cette idée devant l’ensemble du personnel en déplacement de la compagnie, Lemon a l’air de ne pas être essentiel à l’orientation de la politique de la L.S.R., et il ne le supporte pas. Aussi, avec son plus malveillant sourire, charge-t-il McPherson de représenter la L.S.R. durant la longue et compliquée procédure d’appel. Il suppose que McPherson va détester ça, et il a raison. McPherson a désormais deux tâches principales : prendre l’avion pour Washington, parler à leur cabinet d’avocats, paraître devant des commissions, faire des dépositions et autres choses du même genre, et assister Dan Houston, à Laguna, pour éviter ce désastre que Foudre en Boule est sur le point de devenir. Magnifique. McPherson sent son estomac se rétrécir un peu plus chaque jour.

Le voilà donc une fois de plus dans la Cité de Cristal. À attendre une consultation avec le cabinet d’avocats de la L.S.R., Hunt Stanford & Goldman Incorporated. L’une des firmes les plus prospères de la ville, ce qui représente beaucoup.

C’est Goldman qui a été chargé de leur affaire ; Louis Goldman, la quarantaine, une calvitie naissante, porte beau, et s’habille toujours avec des vêtements dernier cri. McPherson, qui pendant des années a tenu les avocats pour l’un des principaux groupes de parasites du pays, avec les publicitaires et les agents de change, s’est d’abord montré très froid à l’égard du beau parleur de la côte Est. Mais il s’avère que Goldman est un type charmant, très vif, et du genre à prendre son boulot au sérieux, et McPherson en est venu à le respecter, puis à l’apprécier. Pour un avocat, il n’est pas si mal.

Ce soir, ils dînent dans un des restaurants les plus chics de la Cité de Cristal, un truc qui tourne au sommet des quarante étages du Hilton. Les avions qui atterrissent sur l’aéroport national descendent au-dessus de la cuvette de la Potomac River, presque en dessous d’eux : étrange vision.

McPherson pose une question à propos de la plainte, et Goldman dessine un petit organigramme sur la nappe.

— Toute l’histoire du programme antérieure à l’A.O. de l’Air Force restera en dehors, naturellement, dit-il. Personne n’a envie de voir ces programmes super-noirs reconnus publiquement, et il n’y a rien d’écrit, de toute manière, ce qui rend la chose étrangère à notre propos.

McPherson hoche la tête.

— Je le comprends. Mais l’A.O. tel qu’il a été publié correspond aux spécifications qu’on nous a données pour le programme super-noir, de sorte qu’une quelconque déviation par rapport à celles-ci…

— Bien sûr. Cela pourrait fournir matière à une récusation admissible. Voyons si j’ai bien saisi les principaux points tels que vous les voyez. L’Air Force vous a demandé un système de télécommande indécelable destiné à un avion piloté à distance que l’on pourrait faire descendre d’une orbite basse jusque sous la couche nuageuse – mais sans approche en aveugle –, où il pourrait être guidé en rase-mottes. Ensuite, il devait localiser les véhicules de l’armée ennemie et bloquer dessus les missiles sol-air qu’il aurait transportés.

— C’est ce qu’ils voulaient.

— Et ils le voulaient en une seule nacelle, de préférence, et il devait utiliser moins de dix kVA.

— Exact. Et cependant ils optent pour un système à deux nacelles et, quoique la Parnel prétende qu’ils n’ont besoin que de onze virgule cinq kVA, il apparaît qu’ils mentent, d’après nos calculs des besoins de leur système. L’Air Force aurait dû pouvoir s’en apercevoir aussi.

Goldman griffonne ces détails sur un calepin qu’il a posé à côté de son assiette à dessert. Pas de nappe pour ça.

— Et ils ont un système radar, vous dites ?

— Exact. Regardez, l’A.O. reprend l’exigence d’origine, il fallait un système indétectable, qui ne se trahisse pas par les signaux qu’il émettrait. La Parnel a ignoré cet aspect et installé un radar. Ainsi, le système ne sera pas indécelable, mais il pourra opérer des descentes en aveugle. Et voilà que l’Air Force enregistre cette capacité comme un plus pour la Parnel, alors qu’il n’est rien demandé de tel dans l’A.O.

McPherson secoue la tête, écœuré.

— C’est un bon point. Et il y a d’autres divergences ?

— Celle-ci est la principale, mais il y en a d’autres.

Ils les passent en revue, et Goldman complète sa liste. L’Air Force a inscrit le calendrier accéléré de la Parnel dans la liste des avantages, mais lui a ensuite octroyé un contrat avec un calendrier relâché. Et les estimations des coûts les plus probables des propositions de la Parnel et de la L.S.R. ont de façon conséquente révisé à la hausse les chiffres de la L.S.R., alors qu’elles n’ont pas touché à ceux de la Parnel, voire les ont révisés à la baisse. Ensuite, le prix de revient moindre du système de la Parnel, tel qu’il a été déterminé par l’Air Force, a été considéré comme un atout en sa faveur.