Выбрать главу

— Pourquoi tu m’as pas réveillé ?

— M’suis endormi.

— J’en déduis qu’ils ne se sont pas montrés.

— C’est exact.

— Ce soir, alors. Espérons.

Tashi passe dans sa cabine, dans la coque de droite.

Sandy dispose de l’aube pour lui tout seul. Douce brise soufflant du littoral. Tash a parfaitement orienté la barre et la voile, même dans son sommeil. Sandy aperçoit Catalina au nord, derrière lui, et l’île San Clemente qui pointe sur l’horizon au sud, peut-être quinze ou vingt kilomètres devant.

Les étoiles et les satellites clignotent. La couleur gagne la mer et le ciel. Le soleil se lève au-dessus des montagnes derrière San Diego. Matin en mer. Sandy songe à son emploi du temps habituel et se sent heureux. Chuintement et clapotis de l’eau sous les coques. Quelle paix. Peut-être que c’est vrai, ce que Jim dit toujours : qu’il existait un meilleur mode de vie, autrefois, un mode de vie plus calme. Pas dans le C. d’O., bien sûr. Le C. d’O. est né comme Athéna, a jailli du front de Zeus/Los Angeles. Mais quelque part, quelque part…

Au milieu de la matinée, Tash remonte, ils mangent des oranges et confectionnent des sandwiches au fromage. Ils font le tour de l’île San Clemente histoire de passer la journée. Elle est étrange : couverte de broussailles, sauf là où l’érosion a arraché des lignes de partage des eaux de terre brute, les collines sont semées de carcasses inutilisables de véhicules amphibies, de tanks, d’hélicoptères, de transports de troupe. Et la face ouest, celle qui ne fait pas face au continent, est lourdement grêlée de cratères de bombes. Sommet d’une colline envolé. Un autre recouvert de béton d’où jaillissent des vingtaines de mâts de radars et autres protubérances.

— C’est vraiment une bonne idée de venir prendre soixante litres d’aphrodisiaque illégal juste sous le nez de la Navy ? s’enquiert Tashi.

— Le principe de la lettre volée. Ils ne s’y attendront jamais.

— Ils n’auront pas à le faire ! Les dispositifs de surveillance qui sont là-haut vont probablement analyser le produit en mesurant son poids moléculaire. Et capter les conversations.

— Alors n’en parlons pas.

Les instructions sont de mettre en panne, à six kilomètres à l’ouest précis de la pointe la plus méridionale de l’île. Ils jouent un peu du compas et établissent des repères qui leur permettront de rester à proximité de l’endroit désigné après la tombée de la nuit.

L’extrémité sud-ouest de l’île est taillée en une série de plages naturelles qui grimpent en escalier sur les collines jusqu’à une trentaine de mètres de hauteur ou plus. Ils distinguent des chèvres sur l’une des terrasses.

— Ces chèvres doivent être les plus paranoïaques du monde, remarque Tash. Tu imagines leur vie ? Juste là, à brouter tranquillement la sauge, et puis d’un seul coup, bam ! boum ! on se remet à les mitrailler et à les bombarder.

Sandy ne peut s’empêcher de rire.

— Horrible ! Tu imagines leur vision du monde ? Je veux dire, comment est-ce qu’elles s’expliquent ça entre elles ?

— Avec difficulté.

— Ce que les mouches sont aux petits garçons, nous le sommes aux dieux, ou quelque chose comme ça.

— Je me demande si elles ont un programme de défense civile.

— Un aussi bon que le nôtre, je suppose. Hé, les voilà ! Planquez-vous vite ! (Ils rient.) « Ce que les mouches sont aux petits garçons… » Qu’est-ce que ça vaut ?

— Faudrait que Jim soit là.

Sandy hoche la tête.

— Il aimerait ça, les terrasses et tout.

— C’est lui que tu aurais dû emmener à ma place.

— Il a cours, ce soir.

— Moi aussi !

— Ouais, mais ce n’est pas toi le professeur.

— Pas tous les soirs, en tout cas. (Ils s’esclaffent.) Hé, tu sais qu’il voit une femme qui est prof juste de l’autre côté du couloir de notre classe ?

— C’est bien pour lui. Mieux que d’en baver avec Virginia.

— Je dirai pas le contraire… Je me demande ce qui s’est passé avec Sheila. Je l’aimais bien.

— Moi aussi. Mais Jim est…

— Un idiot ?

— Ah, hahahahaha. Non, non, tu sais bien ce que je veux dire. Enfin, peut-être qu’avec cette prof…

— Ouais.

Après la tombée de la nuit, l’île devient plus active. Pendant qu’ils mangent d’autres sandwiches, ils entendent des vrombissements, des sons métalliques, des grincements, le doux bruissement duveteux d’hélicoptères de combat. Le tout sans la moindre lumière, à l’exception d’une lampe rouge qui s’allume et qui s’éteint pour signaler le point culminant de l’île. Une ou deux fois, Tash repère la masse d’un hélicoptère sur le fond d’étoiles. Et puis swii BAM, BOUM, et l’île est un instant éclairée par une boule de feu orange assombrie par la terre soulevée par l’explosion. Tous deux sursautent convulsivement. « Merde ! »

Tash rit.

— Espérons qu’aucun de ces trucs n’a un détecteur de chaleur braqué sur nous.

— Dis pas ça, Tash.

— C’est comme des cordes à linge tendues entre la plate-forme de feu et la cible, qui est localisée par sa chaleur. Système infrarouges. On n’a plus qu’à accrocher une bombe à la corde à linge, et elle file vers le bas.

L’île entre dans le détail : whooush BOUM.

— Heureusement qu’on n’a pas de sources de chaleur à bord.

— À part nous.

— Hé ! On ferait peut-être mieux d’aller dans les cabines ?

— Nan. C’est les plus beaux feux d’artifice qu’on verra jamais, à moins qu’on nous appelle sous les drapeaux. Chaque explosion doit coûter dans les cent mille dollars.

— Putain, ça fait un paquet de fric !

— Tu l’as dit.

Les manœuvres se poursuivent durant une heure, jusqu’à ce que les oreilles commencent à leur faire mal. Quand c’est fini, Sandy se retire de nouveau.

— Réveille-moi, cette fois.

Tash le fait, à 3 heures du matin. Ils semblent se trouver au même emplacement par rapport à l’île. Tout est sombre et calme, à peine s’il y a un souffle de brise. Montée, descente à cheval sur une puissante lame de fond. L’air salé remplit Sandy ; il se sent heureux, tout à coup.

Tash n’est pas pressé de battre en retraite.

— Ça t’est déjà arrivé de penser à quitter le C. d’O. ? demande-t-il.

— Ah, oui, je suppose que oui, des fois. (En fait, ça ne lui est jamais venu à l’esprit ; il n’a jamais le temps de réfléchir à ce genre de choses.) Pour Santa Cruz, peut-être.

— C’est juste au nord du C. d’O.

— Qu’est-ce qui ne l’est pas ?

— Je songeais à l’Alaska.

— Waow. Je sais pas, mon vieux. Les hivers qu’ils ont. Les gens de là-bas que j’ai connus disaient que c’est une vie maniaco-dépressive, maniaque en été et dépressive en hiver, avec un hiver deux fois plus long. J’ai pas l’impression que ce soit un bon plan.

— Oui, je sais. Mais ça serait un défi. Et ça restera toujours désert, à cause de ces hivers. Et ça veut dire que je pourrais sortir dans le monde réel tous les jours, tu comprends ?

Il y a une tension dans la voix de Tashi, une sorte de désir poignant que Sandy n’a jamais entendu. Il songe : « Quand on est pris dans un dilemme, on fait ce qu’on peut pour trouver une troisième issue. » Mais il ne le dit pas.

— Ça serait quelque chose, hein ? Mais pourrait y avoir des problèmes côté surf.

Tash rit.

— Pas plus qu’ici. Les scènes de foule, c’est trop.