Et tous les bidons sont à l’abri, et ils sont remontés à bord du bateau et repartis vers le large aux moteurs. Pas d’autre bateau en vue. Dix minutes, peut-être, pour l’ensemble de l’opération, même si ça a semblé durer une heure. Pfff.
Ils mettent le cap à l’ouest jusqu’à ce qu’ils puissent virer de bord et se rapprocher de nouveau de Newport. Comme de bien entendu, quand ils arrivent près du port, ils se font intercepter par une vedette des gardes-côtes, et subissent une fouille vraiment serrée. C’est une première pour eux deux, même si ça ressemble aux ratissages de leurs voitures qu’effectue la police à terre. Sandy a balancé tous les compte-gouttes à la baille, et il se montre poli et coopératif avec les gardes-côtes. Tash est grincheux et grossier ; ils assument les rôles du tandem bon suspect/mauvais suspect, juste par habitude.
La fouille effectuée, les gardes-côtes les laissent aller sans s’émouvoir. Ils rentrent dans la rade sur les moteurs, bien sages jusqu’à ce qu’ils se glissent dans leur emplacement d’amarrage et quittent le bateau pour monter sur le ponton étrangement stable et solide. Retour au parking et à la voiture de Sandy, loin du théâtre du crime, pour ainsi dire. Peu importe désormais ce qu’il advient du Rhinocéros, ils sont en sécurité.
— Plutôt éprouvant pour les nerfs, dit doucement Tash.
— Ouais. (Malgré son soulagement, Sandy est toujours préoccupé.) Je ne sais pas ce que Bob va dire de ça.
À vrai dire, il le sait ; Bob va être furieux. Pendant un moment, du moins.
— Ouais, eh bien moi je crois qu’il y a eu une sacrée fuite de leur côté.
— Peut-être. Quand même, mettre la camelote juste en dessous de la L.S.R. Ils ont des dispositifs de sécurité, forcément. J’ai idée que je ne vais pas m’en tirer comme ça avec les gars de San Diego.
— Qu’ils aillent se faire foutre.
— Facile à dire, pour toi.
Et il n’y aura pas de paiement si la marchandise n’est pas livrée. Soupir.
— Bon. On ferait mieux d’aller se défoncer et d’y réfléchir.
— Tu l’as dit.
41
Sandy conclut que le mieux qu’il ait à faire, c’est de retourner immédiatement à Reef Point et de récupérer les bidons, et il appelle Bob Tompkins pour lui expliquer le retard, et aussi pour se plaindre de l’apparente fuite d’informations. Mais Bob Tompkins est à Washington pour travailler dans un quelconque groupe de pression, et dans le même après-midi Sandy reçoit la visite d’un Tashi à l’air soucieux.
— Tu as vu les infos ? demande Tashi.
— Non, qu’est-ce qui se passe ? L’île San Clemente aurait-elle volé en éclats ?
Jim lève les yeux de l’ordinateur de Sandy.
— Où es-tu allé pêcher cette expression ?
— Fais attention à lui, dit Sandy. Il teste ma nouvelle drogue, Verbalité.
— Verbosité, plutôt. Tiens, regarde les infos.
Tash allume le mur vidéo principal et tape le code du Los Angeles Times. Quand celui-ci apparaît, il le fait défiler jusqu’à la première page de la section consacrée au Comté d’Orange. L’écran s’emplit de ce qui ressemble à une page d’un quotidien du xxe siècle, astuce de présentation qui a valu au Times bon nombre d’abonnements dans le parc à moisir.
— En haut à droite.
Sandy lit à haute voix.
— La L.S.R. annonce un accroissement des mesures de sécurité autour de ses installations de Laguna Hills, bon Dieu, en raison d’un récent accroissement des actions de sabotage contre les entreprises du C. d’O. qui travaillent pour la Défense. Son périmètre est désormais contrôlé, blablabla et alors ?
Alors Tashi intervient et lit une phrase vers la fin de l’article :
— Les nouvelles mesures incluront des patrouilles sur la falaise et sur l’océan dans la zone qui jouxte immédiatement le site de la L.S.R. « Toute embarcation qui s’approchera à moins d’un kilomètre cinq de nous fera l’objet d’une intense surveillance », déclare Arturo Perez, le nouveau directeur de la sécurité de la L.S.R.
— Ils blaguent certainement, dit Sandy d’une voix faible.
— Je ne crois pas.
— C’est illégal !
La panique qui s’infiltre de partout…
— J’en doute.
Jim lève les yeux.
— Quelle peut bien être la difficulté qui encombre et charge vos voix des accents du Sturm und Drang, mes frères ?
— Bazarde cette nouvelle drogue, suggère Tashi.
— Je le ferai. La difficulté, explique Sandy à Jim, c’est qu’on a planqué douze gros bidons d’un nouvel aphrodisiaque illégal au pied d’une falaise qui est désormais sous l’étroite surveillance d’une armée privée à la gâchette facile !
— Enfer ! Damnation !
— Ta gueule. (Sandy relit l’article, le coupe. Une fois passé le choc initial, il recommence à réfléchir furieusement.) J’ai une idée.
— Laquelle ?
— Allons en Europe.
— On adopte l’attitude constructive, à ce que je vois.
— Non, allons-y ! s’exclame Jim. C’est la fin du semestre, je suis libre après le cours de mercredi ! D’un autre côté (l’air penaud) je suis un peu à court d’argent.
— Je t’en prêterai, dit Sandy, sinistre. À taux d’intérêt maximal.
À vrai dire, il est lui-même à court d’argent. Mais il y a toujours le compte de secours d’urgence d’Angela.
Et c’est une urgence ; il doit ne pas être en ville quand Bob apprendra ce qui se passe, histoire de lui laisser le temps de s’y faire. Bob est comme ça ; il pique sa colère pendant deux ou trois jours, puis se reprend et revient à la froide rationalité. L’important, c’est de rester hors de portée pendant les deux ou trois premiers jours en question, pour que rien d’irrévocable ne puisse se produire.
— Bob est à Washington pour quelques jours, alors je vais laisser un message sur son répondeur pour lui expliquer les grandes lignes de la situation. Quand nous reviendrons, il aura eu le temps de se calmer.
— Et tu auras eu le temps de mettre quelque chose au point, dit Tash.
— Exact. Tu viens, Tash ?
— J’sais pas.
Les nouvelles circulent vite : ils vont en Europe. Jim demande des vacances à Humphrey, et Humphrey accepte, du moment qu’il peut les accompagner. Angela accepte le recours au compte d’urgence, prend ses congés et vient aussi. Abe ne peut pas se libérer. Tashi envisage de faire une folie, mais Erica se met en colère – « Moi, il faut que je travaille, bien sûr » – et il renonce à partir.
Humphrey prend des dispositions pour le voyage et leur dégotte un coucou petit-budget/pas-déclaré/ pas-de-chichis qui les amènera à Stockholm deux heures après le départ. Une fois arrivés, ils décideront où aller ; c’est ce que Sandy a décrété.
Après son dernier cours, le mercredi, Jim annonce à Hana qu’il part en Europe avec des amis.
— Ça a l’air de s’annoncer sympa, commente-t-elle, et elle lui souhaite bon voyage.
Ils prennent des dispositions pour se revoir au début du prochain semestre, et Jim rentre chez lui le cœur gai pour faire ses bagages.
— En route pour le Vieux Monde ! lance-t-il à son appart. Partout où on ira, je serai plongé dans l’Histoire jusqu’au cou !
Et tout en faisant ses valises, il accompagne Radio Caracas en chantant sur le dernier tube des Pentagon Mothers :