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— On peut manger du steak de renne chez Trader Joe, lui dit Sandy, et avoir de la neige sur le mont Chauve. Le soleil de minuit dans le salon de bronzage. Non, je veux voir un endroit différent !

— Bon, on se décide, déclare Humphrey. Pourquoi on irait pas visiter le Disneyland près de Paris ? Ça sera sûrement différent ! On pourrait se balader et noter toutes les différences entre ça et le Disneyland original.

— Le vrai Disneyland.

— L’authentique Disneyland.

— Le seul, unique et à jamais meilleur Disneyland.

Sandy hoche la tête.

— Pas une mauvaise idée. Mais j’en ai une meilleure. On va prendre l’avion pour Moscou.

— Moscou ?

— Parfaitement. Aller de l’autre côté du rideau de fer et voir comment les Russkoffs vivent en réalité. Ça, ça sera sûrement différent.

— Ça serait un bon défi pour un homme d’affaires, dit Humphrey, songeur. Faudrait que je fasse un peu de shopping avant.

Jim est en faveur de cette idée, il a envie de voir ce grand adversaire que l’Amérique s’est donné tant de peine à créer et à soutenir. Angela est partante.

Ils vont donc à Moscou. Bon, d’accord. Pour Humphrey, ça rappelle Toronto, le théâtre de son enfance. Les rues sont propres. Il y a des tas de passants bien habillés. De petites voitures à moteur à explosion, sans rails, grondent dans les rues, ce que les voyageurs trouvent délicieusement vieillot et bruyant. À leur hôtel, recommandé par le bureau de l’Intourist à l’aéroport, ils demandent où il leur est possible de louer un véhicule et s’entendent répondre qu’ils ne le peuvent pas.

— C’est ce qu’on va voir, déclare Humphrey, énigmatique. (Ses yeux brillent d’une lueur de folie.) L’heure de la libre entreprise a sonné.

Il a passé un certain nombre de caissettes vidéo en fraude et, aussitôt qu’ils ont défait leurs bagages dans leurs chambres, il en fourre plusieurs dans sa veste et sort héler un taxi. Une demi-heure plus tard, il est de retour, les poches bourrées de roubles.

— Pas de problème. J’ai demandé à mon chauffeur s’il connaissait quelqu’un que ça pourrait intéresser, et bien sûr c’était le cas. Les chauffeurs de taxi sont les gros trafiquants du marché noir, ici. Le groom en veut aussi.

Il a l’air vexé quand Jim, Sandy et Angela se tordent bêtement de rire.

— Bon, ça n’a rien de si drôle. On a un problème sérieux, là, parce qu’on ne nous permettra pas de changer des roubles contre de l’argent véritable. C’est comme si on avait des billets de Monopoly, vous me suivez ?

Le regard de Sandy s’éclaire.

— Alors, tant qu’à jouer, autant y aller à fond, c’est ça ?

— Euh, oui, je suppose.

Ça va complètement à l’encontre de la nature de Humphrey, mais celui-ci n’arrive pas à trouver une raison de soulever une objection.

— C’est quoi, l’hôtel le plus cher de la ville ? demande Sandy.

Ils échouent juste derrière la place Rouge, dans un immense vieil hôtel qui s’appelle le Rijeka, et prennent une suite au dernier étage. La vue qu’ils ont sur la place Rouge, quoique limitée, est impressionnante.

— Quel décor, hein ?

Sandy commande du champagne et du caviar à la réception et, quand ceux-ci arrivent, Humphrey entreprend les employés de l’hôtel, qui parlent un anglais excellent. Ce qui joue, en réalité, contre les employés en question, en permettant à Humphrey de les embobiner complètement. Quand ils s’en vont, la bande s’est enrichie d’un nombre conséquent de roubles, et Humphrey arpente la chambre d’un air triomphant en citant, extatique, de longs passages impromptus de Acres of Diamonds entre deux razzias sur le caviar, et en agitant une poignée de roubles dans chaque main.

Ils quittent l’hôtel et vont faire du tourisme, tous prêts à explorer la place Rouge, à dire bonjour à Lénine, à s’infiltrer au Kremlin, à acheter tout le G.U.M. et à se livrer à toutes les autres grandioses activités d’Américains à Moscou. Au G.U.M., ils assistent à des soldes au sous-sol, en compagnie de centaines de femmes russes, et se parlent en criant par dessus la cohue ; ils dépassent largement d’une tête tous les indigènes présents. Marrant. Les vêtements à vendre sont d’une grossièreté remarquable, et Angela a le coup de foudre pour plusieurs articles. Quand ils sont ressortis, Humphrey arrête un taxi et ils entonnent La Belle Amérique sur la rythmique vocale maccarthyste de Sandy : « Plutôt mort… que rouge, yeah, plutôt mort… que rouge. »

Ils ordonnent à leur stoïque chauffeur de les conduire dans les quartiers résidentiels de la ville, où les grands aplex sont regroupés autour des espaces verts. Arrivés au sommet d’une colline, ils se mettent en tête qu’ils sont sur le territoire du Parti, tout est démesuré comme dans tous les quartiers en hauteur de toutes les villes. Et, en fait, ils échouent dans un cul-de-sac qui surplombe la majeure partie de Moscou, et contemplent ébahis le panorama en dessous d’eux. Sandy bafouille :

— Merde, c’est… c’est… C’est le condomundo ! C’est exactement comme… exactement comme…

Et tous enchaînent en chœur :

— Le Comté d’Orange !

Effondrement total. Ils doivent sur-le-champ regagner leur hôtel et commander de nouveau du champagne. Le C.d’O. a conquis le monde.

— James Utt serait fier, déclare Jim, solennel.

Dès qu’ils ont pu dépenser tous les roubles de Humphrey, ils sont repartis.

— Nous n’avons toujours rien vu de différent, râle Sandy.

— Les Pyramides, propose Jim. Voyons voir comment tout a commencé.

Ils s’envolent pour Le Caire. L’aéroport est situé dans un désert de sable pur, auquel même le Mojave ne peut être comparé. Au point de récupération des bagages, ils tombent sur un entreprenant « agent de la police touristique égyptienne » qui se réjouit de pouvoir leur proposer à tous les services de son agence de voyages privée. Il se montre mielleux, mais il a compté sans Humphrey, qui prend note des nombreuses agences rivales alignées en longue enfilade de stands à côté de celui de l’agent, et qui utilise le fait pour écraser le bonhomme jusqu’à ce qu’il en attrape une suée. Sandy, Angela et Jim se bornent à se lever et à se rasseoir selon les ordres de Humphrey, qui varient suivant la manière dont les négociations évoluent. Au bout du compte, ils obtiennent un aller gratuit pour un grand hôtel sur le Nil qui offre des chambres à moitié prix, un transport pour Gizeh au quart des tarifs touristiques et des billets gratuits pour le spectacle son et lumière de là-bas. Quand ils s’en vont, l’agent est groggy comme si on l’avait roué de coups, on dirait qu’il vient de se faire passer à tabac.

Le Caire s’avère être de la même couleur que le désert. Les immeubles, les arbres, les panneaux d’affichage, et jusqu’au ciel, sont de la même teinte poussiéreuse. Le Hilton du Nil, de l’autre côté du fleuve, a été peint en turquoise pour combattre la monochromie, mais le turquoise a lui aussi viré au sable. Seul le vieux fleuve sinueux lui-même parvient à assurer un certain bleu foncé poussiéreux.

Quand ils quittent la vieille autoroute dantesque et arrivent dans les rues, ils constatent que la ville est effroyablement surpeuplée. La plupart des bâtiments sont des immeubles. Chaque route est coupée par des voitures ou des piétons ; ils n’arrivent pas à croire qu’autant de gens puissent réellement marcher. Leur hôtel, vieux et poussiéreux, offre un refuge bienvenu. Ils bavardent avec excitation en défaisant leurs valises et en attendant que le guide et chauffeur touristique arrive pour les emmener à Gizeh. Humphrey descend s’informer des taux de change en vigueur et revient frétillant ; il y a un taux officiel, un taux pour les touristes et divers taux au marché noir, conçus pour inciter les gens crédules à sortir un paquet d’argent liquide. Avec quelques manipulations sur ce marché, Humphrey pense pouvoir soutirer des centaines de livres égyptiennes, et il s’apprête à travailler au corps le personnel de l’hôtel quand leur guide arrive. Et les voilà partis pour les pyramides de Gizeh.