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Il essaie d’imaginer quelqu’un assis tout en haut de Saddleback, et regardant la plaine déserte du C. d’O. Ah, impossible. Inimaginable.

Comment l’histoire a-t-elle pu suivre des cours si différents sur ces deux côtes arides ? C’est comme si elles n’appartenaient pas à la même histoire, tant le gouffre qui les sépare est vaste ; comment établir la moindre jonction intellectuelle ? S’agit-il de planètes différentes, d’une façon ou d’une autre ? C’est trop étrange, trop étrange. Quelque chose a mal tourné chez lui, dans son pays.

Il passe la nuit assis là, s’assoupit une fois, est réveillé par les barques qui rentrent sans se presser, s’assoupit de nouveau. Il rêve de béliers et de murs écroulés, de son père et de bâtons de réglisse, d’une brillante lanterne sous une lune ennuagée.

Il s’éveille sur une aube aussi rose que le crépuscule était orange, un canevas de nuages au-dessus de lui. Rose sur bleu. Dans la baie, en dessous, Angela nage paresseusement. Elle prend pied sur le fond de galets doux et sort de l’eau, mouillée, luisante, souple. C’est l’aurore du monde.

Un peu plus tard, une camionnette à ridelles basses descend lentement la route en klaxonnant. Une harde de moutons et de chèvres dévale les collines à ce signal, poussant des bêê et faisant tinter leurs cloches. L’heure de manger ! Plus haut dans la vallée, loin, quelqu’un brûle des ordures.

Bon, Angela doit commencer le travail dans deux ou trois jours, et il leur faut se mettre à prendre le chemin du retour. Ils font leur bagages à contrecœur. Jim parcourt une dernière fois le site. Il examine les lieux de son sommet. Quelque chose, dans cet endroit…

— Ils font partie de la terre, elle n’est pas abandonnée. L’Histoire ne s’est pas finie, ici. Elle durera autant que tout le reste.

Humphrey klaxonne. Moment de partir.

— Ah, la Californie…

46

… Les colons américains de la première vague arrivèrent par petits groupes, en chariot, du Nouveau-Mexique, ou contournèrent le cap Horn en bateau, ou descendirent de San Francisco à cheval après avoir tenté leur chance dans la ruée vers l’or. Ils n’étaient pas très nombreux. La première ville nouvelle, Anaheim, fut fondée par un petit groupe d’Allemands déterminés à faire pousser des vignes à vin. Ils arrivèrent de San Francisco en 1859, et ils n’étaient qu’un ou deux cents. La ville fut implantée au milieu de pâturages ouverts, et ils dressèrent donc une clôture de piquets en saule qui prirent racine et se transformèrent en un mur d’arbres vivants, un rectangle avec quatre portails, un sur chaque côté. Ils creusèrent une rigole longue de huit kilomètres pour tirer de l’eau de la Santa Ana River. Et ils firent pousser des vignes.

Les autres villes suivirent rapidement après le démembrement des grands ranches. Quand les ranches furent morcelés et vendus, les nouveaux propriétaires passèrent des annonces pour vendre les terrains, et commencèrent à construire des villes à partir de rien.

Certains des nouveaux propriétaires terriens étaient intéressés par les nouvelles idées en matière d’organisation sociale qui circulaient à l’époque, et plusieurs villes nouvelles commencèrent sur la base d’efforts communautaires utopiques ; les Allemands d’Anaheim constituaient une coopérative, les Quakers contribuèrent à fonder El Modena sur des idées sociétaires, Garden Grove débuta comme communauté de tempérance, et Westminster était une communauté religieuse. Plus tard, le groupe polonais conduit par les Modjeska s’installa à Anaheim et lança sa propre petite utopie, même si celle-ci s’effondra presque sur-le-champ. El Toro fut fondée par quelques Anglais, qui en firent un récent avant-poste de l’Empire, célébrant l’anniversaire de la reine Victoria et formant la première équipe de polo d’Américains : la conception anglaise de l’utopie.

Lorsque la voie ferrée de la Southern Pacific fut prolongée de Los Angeles à Anaheim, un développement spectaculaire commença, qui se poursuivit jusque dans les années 1870. Santa Ana fut fondée, avec des lotissements vendus entre vingt et quarante dollars pièce, quand ils n’étaient pas donnés. Deux ans après, cinquante maisons avaient été érigées dans la ville. À l’est de Santa Ana, Tustin fut fondée par Columbus Tustin, et la rivalité des deux nouveaux villages au sujet du récent embranchement de la voie ferrée depuis Anaheim fut intense. Quand Santa Ana remporta l’embranchement, Tustin fut condamnée à rester un village durant des années, alors que Santa Ana prospérait et devenait le centre du comté.

Orange fut fondée par Andrew Glassell et Alfred Chapman, deux juristes qui exerçaient leur activité dans les poursuites judiciaires rattachées au démembrement des ranches, s’enrichissant ainsi à la fois en terres et en argent. La ville commença avec soixante lotissements de quatre hectares entourant une zone à urbaniser de seize hectares.

Au sud-ouest de ces villes, sur la côte, les bûcherons James et Robert McFadden construisirent un ponton qui devint un important point d’accostage. La jetée était connue sous le nom de ponton McFadden, et la ville qui grandit autour fut baptisée Newport. Les McFadden avaient acheté le terrain à l’État pour un dollar le demi-hectare.

Bientôt, des villes avaient surgi partout dans le comté. À Laguna Beach à cause de la jolie baie. À El Modena parce qu’il y avait de bonnes terres pour les vignobles, et l’eau de Santiago Creek. À Fullerton parce que la voie ferrée passait par là. Et ainsi de suite. Les promoteurs achetaient des parcelles de ranch, dessinaient quelques rues, puis donnaient une grande fête et conviaient une partie des masses de nouveaux arrivants à Los Angeles à un repas gratuit suivi d’une vente aux enchères. Quelquefois ça marchait, quelquefois pas. Des villes comme Yorba, Hewes Park, McPherson, Fairview, Olinda, Saint James, Atwood, Carlton, Catalina-on-the-Main ou Smeftzer ne survécurent pas bien longtemps au jour de leur inauguration. D’autres, comme Buena Park, Capistrano Beach, Villa Park, Placention, Huntington Beach, Corona del Mar ou Costa Mesa, survécurent et grandirent.

En 1887, cette croissance s’accéléra lorsque la Santa Fe Railroad acheva une ligne qui traversait le continent jusqu’à Los Angeles, ce qui déclencha immédiatement une guerre des tarifs avec la Southern Pacific, laquelle avait jusqu’alors possédé la ligne unique. Les tarifs qui avaient été de cent vingt-cinq dollars au départ d’Omaha plongèrent jusqu’à un tarif spécial promotionnel d’un dollar avant de se stabiliser aux alentours de vingt-cinq dollars pendant un an ou deux. Le ruisseau d’immigrants se transforma en petit fleuve, et soixante villes furent fondées en quarante ans.

La seule région du Comté d’Orange à ne pas connaître cette floraison de villes fut la grande propriété de James Irvine. Irvine était arrivé sans un sou d’Angleterre à San Francisco durant la ruée vers l’or, et s’était engagé dans des spéculations foncières en ville jusqu’à ce qu’il soit riche. Lui et ses partenaires étaient alors partis pour la Californie du Sud et avaient acheté la totalité des vieux ranchos San Joaquin et Lomas de Santiago, ce qui voulait dire que, après qu’Irvine eut racheté les parts de ses associés, il possédait un cinquième de l’ensemble du territoire du Comté d’Orange, en une large bande qui s’étendait de la mer jusque loin à l’intérieur des Santa Ana Mountains. Ses terres étaient en travers de tous les itinéraires de chemin de fer possibles entre Los Angeles et San Diego, et il était assez puissant pour résister à la compagnie Southern Pacific, ce qui ne pouvait être dit de personne d’autre dans l’État ; ses cow-boys repoussèrent les tentatives forcenées des équipes de construction de la Southern Pacific pour installer une voie, et il accorda un droit de passage à la Santa Fe Railroad dans le simple but de clouer pour de bon le bec à la Southern Pacific.