Выбрать главу

Des puzzles.

Pourquoi a-t-il fait ça ?

Pour Virginia Novello. Mais Sheila ? Eh bien, Jim n’a pas pensé à elle. Il n’avait pas réellement l’impression de compter suffisamment pour que quiconque s’intéresse à lui. Ou alors il ne croyait pas vraiment à la réalité des sentiments des autres. Des sentiments de Sheila Mayer. Parce qu’ils le gênaient pour faire ce qu’il voulait.

Il perçoit ces raisons clairement pour la première fois, et le dégoût le submerge.

Il se voit soudain lui-même de l’extérieur, il se libère du point de vue de la conscience et voilà Jim McPherson qui a cessé d’être le centre invisible du monde pour devenir un membre d’un groupe d’amis et de relations. Une personne physique comme tout le monde, avec laquelle on peut interagir, que l’on peut juger ! C’est une expérience à donner le vertige, presque la nausée, un choc physique. Sortir du corps, regarder derrière, voir ce type maigrichon et concentré, un homme creux sans rien à l’intérieur qui permette de le définir… Défini par sa compagne à la mode et ses convictions à la mode et ses vêtements à la mode et ses habitudes à la mode, de sorte que ceux qui s’intéressent à lui… Sheila…

Regard vide sur un puzzle. Se concentrer sur celui-ci. Tous les phares se brouillent.

50

Stewart Lemon s’assied à son bureau, plongé dans un songe. Sa matinée a été minable, comme tous les jours ; Elsa lui a infligé son silence et erré à travers la maison, muette, comme une zombie nue… Combien de temps y a-t-il qu’elle a cessé de parler ? Lemon, assis, rêve de la quitter pour sa secrétaire, de s’engager dans une nouvelle alliance, dégagé d’une longue et douloureuse histoire. Mais s’il s’en va il perd la maison. Et Angela n’a-t-elle pas quelqu’un ? Ah, ce n’est qu’un fantasme ; vu sous l’angle réaliste, ça s’effondre. Ce qui signifie qu’il doit rester avec Elsa…

Ramona sonne à l’interphone. Donald Hereford est à Los Angeles pour l’affaire Argo/Blessman, et a décidé de faire un saut pour le voir. Il sera là dans une demi-heure.

Lemon grogne. Quelle journée ! Il est toujours tendu lors des visites de Hereford, surtout tardives. Étant donné les divers problèmes qu’a la L.S.R., ces visites ne peuvent avoir que la nature de jugements – de contrôles destinés à établir si la succursale aérospatiale d’Argo/Blessman vaut la peine d’être conservée…

C’est encore plus vrai lorsqu’il n’y a aucune raison particulière à la visite, comme dans le cas présent.

Et, en proportion inverse des efforts qu’il fait pour se calmer, il est sur les nerfs lorsque Hereford arrive. Il le conduit dans son bureau et ils s’asseyent. Hereford contemple l’océan en écoutant Lemon énumérer les derniers projets de la L.S.R. dignes d’intérêt.

— Comment se présente la décision en appel sur Abeille-Tempête ?

— L’arrêt du tribunal sera prononcé à la fin de cette semaine ou au début de la suivante. Vous avez vu le rapport de l’O.G.C. ?

Hereford fait brièvement non de la tête. Lemon décrit le rapport.

— Il est assez favorable, conclut-il, mais nos avocats ne peuvent pas dire si ce sera suffisant pour influencer le juge Tobiason. Ils pensent que ça devrait, mais, compte tenu des antécédents de Tobiason, ils ne promettent rien.

— Non, soupire Hereford. Je m’interroge sur cette affaire.

— À se demander si c’était…

Lemon s’apprêtait à poursuivre :… une bonne idée de contester la décision, quand il s’est souvenu que Hereford en était à l’origine.

Hereford lève les yeux vers lui sous des sourcils légèrement haussés.

— Une bonne idée ? Je crois. Nous devions montrer à l’Air Force qu’ils ne pouvaient pas faire fi des lois et nous piétiner comme ça. Mais nous y sommes arrivés, maintenant, je crois. Ils ont dû faire de sérieuses courbettes devant l’O.G.C. Aussi, quoi que dise Tobiason, il se peut que nous ayons atteint nos objectifs en la matière.

— Mais… remporter le contrat ?

— Vous croyez l’Air Force capable de laisser passer ça, maintenant ?

Lemon y réfléchit en silence.

— Racontez-moi les dernières nouvelles à propos du programme Foudre en Boule, dit Hereford.

À présent, c’est au tour de Lemon de soupirer. D’une voix neutre, il détaille la dernière série de problèmes que le programme a traversés.

— McPherson a fait en sorte qu’ils pistent les M.B.I.C. plus longtemps, en déploiement en phase, pour pouvoir venir à bout de leurs défenses, et ça s’annonce aussi prometteur que tout ce que nous avons essayé. Mais les spécifications de l’Air Force ne permettent pas vraiment de dépasser deux minutes après le lancement, et nous ignorons donc comment ils vont accueillir ça.

— Vous leur avez posé la question ?

— Pas encore.

Hereford fronce les sourcils.

— Mais l’Air Force dispose déjà de résultats d’essais qui indiquent que nous pouvons y arriver dans les deux minutes, non ?

— Dans certaines circonstances données, oui.

— Qui sont ?

— Eh bien, il faut une cible stationnaire, principalement…

Lentement et patiemment, Hereford arrache toute l’histoire à Lemon. Il parvient à lui faire admettre que les résultats des premiers tests rapportés par l’équipe de Dan Houston pourraient être considérés comme frauduleux si l’Air Force décidait de chercher la petite bête. Et comme la L.S.R. s’est montrée pointilleuse au sujet d’Abeille-Tempête…

Lemon, qui se tortille dans son fauteuil, acquiert la forte impression que Hereford connaissait déjà tous les détails, qu’il l’a poussé à les revoir l’un après l’autre, histoire de le faire suer un peu. Lemon tente de se détendre.

— McPherson est aussi mêlé à celui-ci ?

— Je lui ai confié la tâche d’assister Houston. McPherson est doué pour résoudre les problèmes.

« Et pour les créer, se dit-il. Les deux ne vont-ils pas toujours ensemble ? »

Hereford hoche la tête.

— Je désire voir les installations où l’on travaille sur le programme Foudre en Boule.

Il se lève. Lemon se dresse, surpris. Ils se dirigent vers l’ascenseur, l’empruntent pour descendre au rez-de-chaussée et quittent l’immeuble de l’administration. Vont jusqu’aux bureaux des ingénieurs et au grand bâtiment qui abrite les labos et la chaîne d’assemblage. C’est un exemple caractéristique de l’architecture industrielle du Triangle d’Irvine ; deux étages de deux cents mètres de côté, des murs faits d’immenses carrés de verre-miroir cuivré, qui reflètent les obligatoires pelouses et cyprès.

Ils entrent et Lemon pilote Hereford, à sa demande, à travers les laboratoires et salles d’assemblage qui ont le moindre rapport avec le programme Foudre en Boule. Hereford n’examine rien de vraiment très près, mais semble s’intéresser à l’emplacement de chaque chose au sein du bâtiment, assez bizarrement. Quand il a fini avec ça, il manifeste le besoin d’explorer l’extérieur : les bancs de pique-nique dans les petites plantations de cyprès, l’enceinte sous haute surveillance qui clôt la propriété… Étrange. Lemon commence à avoir la migraine à force de s’interroger là-dessus, en plein soleil, alors que les effets du café s’estompent et que son estomac commence à gargouiller… Finalement, Hereford hoche la tête.

— Allons déjeuner.

Le Comté d’Orange ne saurait offrir le genre de raffinements culinaires dont Manhattan s’enorgueillit, ce qui exaspère Lemon au moment où il essaie d’impressionner Hereford. Il l’emmène à Dana Point, et ils mangent à la Charthouse, qui domine la rade. Hereford se concentre sur le buffet froid, mange avec une délectation évidente.