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— J’veux dire, on peut vraiment lui parler, pas simplement pour donner des ordres, mais des trucs compliqués, comme si c’était la vraie naissance de l’interface homme-ordinateur, et ça va vraiment impliquer un tas de choses…

Tout à coup ses trois amis se retournent pour dévisager Jim.

Il s’interrompt et Sandy glousse. Abe, qui secoue la tête, dit d’une voix pleine de pitié, exaspérée :

— Jim, les ordinateurs, tout le monde s’en fout.

— Ah. Euh. Bon. Vous savez.

Et Jim se met à glousser à son tour. Le dernier compte-gouttes, celui qu’avait pas d’étiquette, ça devait être du Drôle d’Os.

Abe se tourne vers les deux sur la banquette arrière.

— On partait du mail et on sortait du grand parking qu’il y a là-bas, vous savez, celui qui fait trente étages, et on suivait les flèches pour descendre d’étage en étage, et c’est pas du tout une simple rampe en spirale, ils ont tout embrouillé et faut aller successivement d’un coin d’un étage à l’autre pour descendre, ou un truc dans ce genre-là. Bon, on est donc en train de suivre les flèches pour descendre, et les yeux de Sandy font ce truc, genre : « Je vais sortir de la tête », vous voyez ?

Tashi et Jim hochent la tête, imitant en duo la mimique.

— Exactement. (Abe s’esclaffe.) Et il dit : « Tu sais, Abraham, s’il y avait pas ces flèches… » et je réponds : « Ouais-ouais, bon, et alors ? » Et il dit : « Arrête la voiture ! Attends une seconde ! Arrête la voiture, j’ai oublié quelque chose ! » Alors je reste assis là pendant qu’il retourne sur le mail, et il revient en courant avec deux gros pots de peinture – un de peinture blanche, l’autre du gris des étages du parking. Et deux pinceaux. « On va commencer par en bas, il dit, et personne pourra jamais s’échapper. »

— Ahhh, hahaha.

— Le labyrinthe sans le fil, dit Jim.

— Tu crois pas si bien dire ! J’veux dire, réfléchis-y un peu. On est là à conduire et à chaque flèche Jim saute dehors et recouvre l’ancienne flèche de peinture avant d’en peindre une nouvelle, qui indique une autre direction – pas forcément la direction opposée, juste une autre. Et on finit par arriver au dernier étage. On entend déjà les coups de klaxon, les injures et tout ça dans les étages en dessous. Et alors Sandy se retourne vers moi et il me dit avec son air paumé : « Eh, Abe… Comment on va faire pour sortir de là ? »

Le rire dément de Sandy domine tout le reste.

Ils tracent au sud sur l’Orange Freeway, arrivent au gigantesque échangeur avec les autoroutes de Santa Ana et de Garden Grove – encore un immense bretzel de rubans de béton volant dans les airs, légèrement étayés par des piliers de béton. Leur bifurcation vers la Garden Grove sud va leur faire traverser le cœur même du nœud. Superbes vues sur Santa Ana au sud, puis sur Orange au nord : rien que des noms dans le continuum du light-show mais, compte tenu de ce qu’a dit Jim à propos des motifs de l’éclairage urbain, intéressant à observer.

Tashi se dresse comme s’il avait atteint l’illumination suprême et délivre le message du cosmos.

— Il n’y a que quatre rues dans le C. d’O.

— Quoi ? s’écrie Abe. Regarde autour de toi, mon pote !

— Des formes platoniciennes, fait Jim, qui comprend. Des types idéaux.

— Rien que quatre, acquiesce Tash. D’abord, il y a les autoroutes.

— O.K., je t’accorde ça.

— Ensuite il y a les rues commerçantes, les grandes avec des parkings sur les côtés et tous les commerçants après les parkings ou dessus. Comme Tustin Avenue, là-bas.

Il désigne le nord.

« Ou Chapman. » « Ou Bristol. » « Ou Garbage Grove Boulevard. » « Ou Beach. » « Ou la Première. » « Ou MacArthur. » « Ou Westminster. » « Ou Katella. » « Ou Harbor. » « Ou Brookhurst. »

— D’accord, d’accord, d’accord ! les coupe Tash. Point démontré ! Il y a de nombreuses rues commerçantes dans le C. d’O., mais elles ne font qu’une.

— Je me demande, fait Sandy, songeur : si on mettait un bandeau sur les yeux de quelqu’un et qu’on le faisait tourner pour le désorienter, puis qu’on enlevait le bandeau dans l’une des rues commerçantes, combien de temps lui faudrait-il pour l’identifier ?

— L’éternité, opine Tash. Elles sont indifférenciables. Je crois qu’on a fabriqué une unité d’un kilomètre six et qu’on s’est contenté de la reproduire cinq cents fois.

— Ça serait un défi, médite Sandy. Une sorte de challenge.

— Pas ce soir, dit Abe.

— Non ?

— Non.

— Le troisième type de rue, poursuit Tashi, c’est la rue résidentielle de première classe. Les rues de banlieue avec des résidences. S’il vous plaît, ne vous mettez pas à citer des exemples, il y en a x millions.

— J’aime bien celles de Mission Viejo, les mignonnes pleines de tournants, dit Sandy.

— Ou les vieux modèles exclusifs en culs-de-sac, ajoute Jim.

— Et le quatrième type ? demande Abe.

— Les rues résidentielles de seconde classe. Les rues à apparts, en ville, comme à Santa Ana.

— La plupart datent des plans d’origine, dit Jim. Et c’est ce qui se rapproche le plus des taudis.

— Ce qui se rapproche le plus des taudis ? répète Abe. C’en est, mon pote !

— Je suppose que t’as raison.

— Il existe un cinquième type de rue, déclare Sandy.

— Tu crois ? fait Tash, intéressé.

— Ouais, je suppose qu’on pourrait appeler ça la rue-autoroute. C’est une rue, mais absolument rien ne donne dessus… Elle est bordée de murs de chantiers d’immeubles, souvent, et il n’y a pas de boutiques, pas de piétons…

— Et alors ? Il n’y a de piétons sur aucune.

— Exact, mais je veux dire encore moins que d’habitude. Ce sont juste des avenues pour tracer vite là où il n’y a pas d’autoroutes.

— Un nombre de piétons négatif ?

— Ouais, on les emprunte souvent, dit Abe. Le genre Fairhaven, ou Olive, ou Edinger.

— Exactement, dit Sandy.

— O.K., acquiesce Tash. Mettons cinq. Il y a cinq rues dans le C. d’O.

— Tu crois que c’est à cause des lois sur la répartition en zones ? demande Jim. Je veux dire, pourquoi c’est comme ça ?

— Plus à cause des habitudes que de la répartition en zones, à mon avis, dit Tash. Les magasins aiment bien se regrouper, on construit les immeubles par lotissements, etc.

— Chaque rue a son histoire, dit Jim, qui regarde par la vitre, bouche bée. Bon Dieu !

— Tu ferais mieux de te mettre à écrire, Jim…

— À propos de rues et d’histoire, dit Jim. Un jour, un matin vraiment clair il y a quelques semaines, la première matinée d’un vent de Santa Ana, vous voyez, j’étais en train de tracer vers l’est. On voyait Baldy et Arrowhead et tout et tout. Et le soleil venait de se lever, et je regardais du côté de l’endroit où il y avait l’ancienne Orange Plaza – un peu plus à l’ouest, sans doute. Et je n’en ai jamais cru mes yeux ! Je veux dire, en dessous, là, j’ai vu d’un seul coup une rue que je n’avais jamais remarquée, avec des palmiers ultra-maigres vraiment hauts sur un côté, et la surface de la rue ressemblait à du ciment blanc, plus large que d’habitude, et les maisons de chaque côté étaient des maisons isolées avec des cours, des petits pavillons avec des vérandas fermées et des pelouses, et des trottoirs, et tout ! Je veux dire, c’était comme une de ces vieilles photos des années 1930 ou je ne sais quoi !

Jim trépide d’excitation sur sa banquette, se penche à l’avant.

— Où ça, où ça, où ça, où ça ?