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— Eh bien, c’est là que ça coince… J’en sais rien ! J’étais tellement surpris que j’ai pris la sortie suivante et que j’ai fait demi-tour pour aller voir ça. Je pensais que ça vous intéresserait, et je pensais même que je pourrais avoir envie d’acheter une maison là si j’avais les moyens, ça avait l’air tellement… Et donc j’ai tracé dans tous les sens pendant environ une demi-heure, et je l’ai pas trouvée ! J’ai même pas pu trouver les palmiers ! Depuis, à chaque fois que je conduis sur ce tronçon, je regarde, mais ça y est pas.

— Waow.

— Dur.

— Je sais. Je suppose que ça avait un rapport avec la lumière ou quelque chose. Ou peut-être une distorsion temporelle…

— Oh putain. (Jim fait des bonds sur sa banquette, tout à cette idée.) Je veux qu’on trouve ça.

Ils tracent encore un peu. Dans les véhicules autour d’eux, d’autres personnes vivent leur vie. De temps à autre, ils passent à côté de fêtes autoroutières, plusieurs voitures ancrées les unes aux autres, des gens qui se passent des choses de l’une à l’autre, une musique identique surgissant de chaque voiture.

— Allons au ravitaillement, dit Tashi. J’ai faim.

— Faisons un saut dans un restauroute, dit Sandy, comme ça, on ne sera pas obligés de quitter la boucle. Lequel ce sera ?

— Le Diable-en-Boîte, dit Abe.

— Le McDonald’s, dit Jim.

— Le Burger King, dit Tashi.

— Lequel ? crie Sandy alors qu’ils dépassent l’une des rampes de sortie vers les complexes restauroutiers.

Les autres rient tous en même temps, et Tash tend la main par-dessus l’épaule de Sandy en direction du commutateur de direction. Abe et Jim lui attrapent le bras et tentent de le détourner, et la bagarre commence. Cris, injures, prises de lutte, coups de karaté : à la fin, Sandy braille :

— La gougoûte ! La gougoûte ! (Les autres s’inclinent.) On va les essayer tous.

Et il sort par la bretelle Lincoln qui donne sur Orange, et ils s’enfilent le Burger King et le Diable, s’arrêtant brièvement aux minuscules guichets de vente à emporter au niveau supérieur : puis continuent sur leur lancée jusqu’à la bretelle Kraemer à Placenta, pour les Big Macs de Jim.

— Tu vois, regarde. C’est le Whopper du Burger King qui a la meilleure viande, pas à discuter. Vérifie.

— On dirait pas un genre de cafard, là, Tash ?

— Non ! Jetons un coup d’œil sur le tien, si ça te fait pas peur, tu sais qu’ils fabriquent ces Big Macs à partir de dérivés pétroliers.

— C’est faux ! D’ailleurs ils ont gagné leur procès en diffamation !

— Les avocats… Regarde-moi cette viande, c’est de la bouillasse !

— Ouais, c’est quand même mieux que le double Diable d’Abe, en tout cas.

— Sûr, mais ça veut rien dire.

— Hé, fait Abe. Les Diables sont corrects, et regardez un peu le malt et les frites qu’il y a chez le Diable. Absolument inégalables. Les malts du Burger King, c’est du vent, et ceux de chez McDonald’s sont en polystyrène expansé. Y a qu’au Diable qu’on a des vrais malts glacés.

— Du malt ? Du malt ? Tu sais même pas quel goût ça a, le malt ! Y a plus de malt dans ce pays depuis avant le millénium ! C’est des milk-shakes, ça, et le McShake est impeccable. Même qu’il est parfumé à l’orange.

— Arrête, Jim, on essaie de manger, ici. Me fais pas vomir.

— Et les McFrites aussi, c’est les meilleures. Tes DiableFrites, on pourrait s’injecter de la came avec.

— Dis donc, monsieur le juge ! Tes frites, c’est rien que des coups de fusil camouflés ! Sois sérieux !

— Je suis sérieux. Tiens, Sandy, c’est toi qui seras l’arbitre. Mange ça, là.

— Non, Sandy, le mien d’abord ! Mange ça !

— Ommpf ommpf ommpf.

— Tu vois, il préfère le mien !

— Non, il vient de dire Burger Whop, t’as pas entendu ?

Sandy déglutit.

— Ils ont le même goût.

— Quel genre d’arbitre es-tu ?

— Le meilleur malt… dit Abe.

— Milk-shake ! Milk-shake ! Pas du malt ! Substance mythique !

— Le meilleur malt, les meilleures frites, un hamburger parfaitement standard.

— En d’autres termes, le hamburger est dégueulasse, dit Tashi. Inutile de se bagarrer là-dessus, la base de l’alimentation de l’Américain, c’est le hamburger. Le reste, c’est du chichi. Et le Burger King fait les meilleurs hamburgers sur des kilomètres à la ronde. Et en voilà un.

— D’accord, dit Sandy. Tashi, passe-moi la garniture du tien.

— Quoi ? Pas question !

— Allez, donne. Il en reste que la moitié, de toute façon, non ? Passe-moi ça. Maintenant, Abe, file-moi le petit pain avec la sauce secrète. Pas l’autre, y a rien dessus ! Ahhh, hahahahahahaha, quel hamburger, bon Dieu, passe-moi la sauce secrète. Jim, envoie-moi cette bricole de laitue, ouais, voilà, et le ketchup dans la boîte à l’épreuve du poison et grosse comme une pastille. Parfait, parfait. Abe, le malt. Ouais, c’est toi qui gagnes ! Envoie. Les frites, hmm, bon, on va mélanger tout ça, là, sur le siège, impeccable. Où est passé le ketchup ? Vous vous l’êtes pas enfilé, hein ? Balance ça par là, Abe, et fais gaffe à pas tout mettre sur une seule frite. Super. Et voilà, les gars ! Le grand compromis, la recette américaine la plus grandiose de tous les temps ! Fantastique ! Allez-y, goûtez !

— Waow.

— Je crois que j’ai plus faim, moi…

Quand ils ont fini de manger, Sandy reprend les contrôles en main et leur fait faire demi-tour pour rentrer. Il est tard, une autre journée complète l’attend demain.

Ils retracent en sens inverse sur la Newport Free-way, au niveau inférieur, et les écrans de pub accrochés sous le niveau supérieur lancent des éclairs au-dessus d’eux en une subliminale parade colorée de mots, d’images, d’images, de mots. ACHETEZ ! NOUVEAU ! REGARDEZ ! MAINTENANT ! SPECTAC ! Ils retombent en arrière sur leurs sièges, regardent les lumières qui zèbrent les vitres de la voiture.

Personne ne parle. Il est tard, ils sont fatigués. Il règne dans le véhicule une impression… élégiaque. Ils viennent d’accomplir un de leurs rituels, un rituel ancien, central, qui semble avoir toujours fait partie de leurs vies. Combien de nuits ont-il passées à sillonner l’autopie et discuter, et manger un morceau, et contempler le monde ? Mille ? Deux mille ? C’était leur façon à eux d’être amis. Et cependant, ce soir, on dirait que, d’une certaine manière, c’est la dernière fois qu’ils ont accompli ce rituel particulier. Rien n’est éternel. Des forces centrifuges tiraillent leurs vies à tous, leur vie collective ; ils le sentent, ils savent que le temps vient où cette longue enfance de leur existence devra prendre fin. Rien n’est éternel. Et ce sentiment flotte aussi lourdement dans la voiture que l’odeur des frites…

Sandy presse un bouton et la vitre de sa portière descend.

— Un compte-gouttes pour la route ?

Une fois qu’ils sont rentrés dans le parking de S.C.P. et qu’Abe et Tashi sont partis regagner leurs voitures, Sandy fait signe à Jim de revenir. En se grattant le crâne d’un geste endormi, il demande :

— Dis-moi, Jim, est-ce que tu as vu Arthur, récemment ?

— Oh, peu. Une fois depuis qu’on est rentrés, je crois.

Sandy réfléchit au meilleur angle pour poser ses questions.

— Est-ce que tu sais s’il est impliqué dans quelque chose, tu sais, quelque chose de plus sérieux que ces affiches qu’il placarde ?