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Cependant, Maurice s'était remis à causer avec son beau-frère Weiss et son cousin Honoré Fouchard, le maréchal des logis. La retraite, venue de loin, peu à peu grossie, passa près d'eux, sonnante, battante, dans la paix mélancolique du crépuscule; et ils ne semblèrent même pas l'entendre. Petit-fils d'un héros de la grande armée, le jeune homme était né, au Chesne-Populeux, d'un père détourné de la gloire, tombé à un maigre emploi de percepteur. Sa mère, une paysanne, avait succombé en les mettant au monde, lui et sa soeur jumelle Henriette, qui, toute petite, l'avait élevé. Et, s'il se trouvait là, engagé volontaire, c'était à la suite de grandes fautes, toute une dissipation de tempérament faible et exalté, de l'argent qu'il avait jeté au jeu, aux femmes, aux sottises de Paris dévorateur, lorsqu'il y était venu terminer son droit et que la famille s'était saignée pour faire de lui un monsieur. Le père en était mort, la soeur, après s'être dépouillée, avait eu la chance de trouver un mari, cet honnête garçon de Weiss, un Alsacien de Mulhouse, longtemps comptable à la raffinerie générale du Chesne-Populeux, aujourd'hui contremaître chez M Delaherche, un des principaux fabricants de drap de Sedan. Et Maurice se croyait bien corrigé, dans sa nervosité prompte à l'espoir du bien comme au découragement du mal, généreux, enthousiaste, mais sans fixité aucune, soumis à toutes les sautes du vent qui passe. Blond, petit, avec un front très développé, un nez et un menton menus, le visage fin, il avait des yeux gris et caressants, un peu fous parfois.

Weiss était accouru à Mulhouse, à la veille des premières hostilités, dans le brusque désir d'y régler une affaire de famille; et, s'il s'était servi, pour serrer la main de son beau- frère, du bon vouloir du colonel De Vineuil, c'était que ce dernier se trouvait être l'oncle de la jeune Madame Delaherche, une jolie veuve épousée l'année d'auparavant par le fabricant de drap, et que Maurice et Henriette avaient connue gamine, grâce à un hasard de voisinage. D'ailleurs, outre le colonel, Maurice venait de retrouver dans le capitaine de sa compagnie, le capitaine Beaudoin, une connaissance de Gilberte, la jeune Madame Delaherche, un ami à elle, intime, disait-on, lorsqu'elle était à Mézières Madame Maginot, femme de M Maginot, inspecteur des forêts.

-Embrassez bien Henriette pour moi, répétait à Weiss le jeune homme, qui aimait passionnément sa soeur. Dites-lui qu'elle sera contente, que je veux la rendre enfin fière de moi.

Des larmes lui emplissaient les yeux, au souvenir de ses folies. Son beau-frère, ému lui-même, coupa court, en s'adressant à Honoré Fouchard, l'artilleur.

-Et, dès que je passerai à Remilly, je monterai dire à l'oncle Fouchard que je vous ai vu et que vous vous portez bien.

L'oncle Fouchard, un paysan, qui avait quelques terres et qui faisait le commerce de boucher ambulant, était un frère de la mère d'Henriette et de Maurice. Il habitait Remilly, en haut, sur le coteau, à six kilomètres de Sedan.

-Bon! répondit tranquillement Honoré, le père s'en fiche, mais allez-y tout de même, si ça vous fait plaisir.

À cette minute, une agitation se produisit, du côté de la ferme; et ils en virent sortir, libre, conduit par un seul officier, le rôdeur, l'homme qu'on avait accusé d'être un espion. Sans doute, il avait montré des papiers, conté une histoire, car on l'expulsait simplement du camp. De si loin, dans l'ombre naissante, on le distinguait mal, énorme, carré, avec une tête roussâtre.

Pourtant, Maurice eut un cri.

-Honoré, regarde donc... On dirait le Prussien, tu sais, Goliath!

Ce nom fit sursauter l'artilleur. Il braqua ses yeux ardents. Goliath Steinberg, le garçon de ferme, l'homme qui l'avait fâché avec son père, qui lui avait pris Silvine, toute la vilaine histoire, toute l'abominable saleté dont il souffrait encore! Il aurait couru, l'aurait étranglé. Mais déjà l'homme, au delà des faisceaux, s'en allait, s'évanouissait dans la nuit.

-Oh! Goliath! murmura-t-il, pas possible! Il est là-bas, avec les autres... Si jamais je le rencontre!

D'un geste menaçant, il avait montré l'horizon envahi de ténèbres, tout cet orient violâtre, qui pour lui était la Prusse. Il y eut un silence, on entendit de nouveau la retraite, mais très lointaine, qui se perdait à l'autre bout du camp, d'une douceur mourante au milieu des choses devenues indécises.

-Fichtre! reprit Honoré, je vais me faire pincer, moi, si je ne suis pas là pour l'appel... Bonsoir! adieu à tout le monde!

Et, ayant serré une dernière fois les deux mains de Weiss, il fila à grandes enjambées vers le monticule où était parquée l'artillerie de réserve, sans avoir reparlé de son père, sans rien avoir fait dire à Silvine, dont le nom lui brûlait les lèvres.

Des minutes encore se passèrent, et vers la gauche, du côté de la deuxième brigade, un clairon sonna l'appel. Plus près, un autre répondit. Puis, ce fut un troisième, très loin. De proche en proche, tous sonnaient à la fois, lorsque Gaude, le clairon de la compagnie, se décida, à toute volée des notes sonores. C'était un grand garçon, maigre et douloureux, sans un poil de barbe, toujours muet, et qui soufflait ses sonneries d'une haleine de tempête.

Alors, le sergent Sapin, un petit homme pincé et aux grands yeux vagues, commença l'appel. Sa voix grêle jetait les noms, tandis que les soldats qui s'étaient approchés, répondaient sur tous les tons, du violoncelle à la flûte. Mais un arrêt se produisit.

-Lapoulle! répéta très haut le sergent.

Personne ne répondit encore. Et il fallut que Jean se précipitât vers le tas de bois vert, que le fusilier Lapoulle, excité par les camarades, s'obstinait à vouloir enflammer. Maintenant, sur le ventre, le visage cuit, il chassait au ras du sol la fumée du bois, qui noircissait.

-Mais, tonnerre de Dieu! Lâchez donc ça! cria Jean. Répondez à l'appel!