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-Tais-toi donc, animal! répétait Rochas. Est-ce qu'il y a du bon sens à gueuler ainsi, pour un bobo au pied!

L'homme, soudainement calmé, se tut, tomba à une immobilité stupide, son pied dans sa main.

Et le formidable duel d'artillerie continua, s'aggrava, par-dessus la tête des régiments couchés, dans la campagne ardente et morne, où pas une âme n'apparaissait, sous le brûlant soleil. Il n'y avait que ce tonnerre, que cet ouragan de destruction, roulant au travers de cette solitude. Les heures allaient s'écouler, cela ne cesserait point. Mais déjà la supériorité de l'artillerie allemande s'indiquait, les obus à percussion éclataient presque tous, à des distances énormes; tandis que les obus Français, à fusée, d'un vol beaucoup plus court, s'enflammaient le plus souvent en l'air, avant d'être arrivés au but. Et aucune autre ressource que de se faire tout petit, dans le sillon où l'on se terrait! Pas même le soulagement, la griserie de s'étourdir en lâchant des coups de fusil; car tirer sur qui? Puisqu'on ne voyait toujours personne, à l'horizon vide!

-Allons-nous tirer à la fin! répétait Maurice hors de lui. Je donnerais cent sous pour en voir un. C'est exaspérant d'être mitraillé ainsi, sans pouvoir répondre.

-Attends, ça viendra peut-être, répondait Jean, paisible.

Mais un galop, à leur gauche, leur fit tourner la tête. Ils reconnurent le général Douay, suivi de son état-major, accouru pour se rendre compte de la solidité de ses troupes, sous le feu terrible du Hattoy. Il sembla satisfait, il donnait quelques ordres, lorsque, débouchant d'un chemin creux, le général Bourgain-Desfeuilles parut à son tour. Ce dernier, tout soldat de cour qu'il était, trottait insouciamment au milieu des projectiles, entêté dans sa routine d'Afrique, n'ayant profité d'aucune leçon. Il criait et gesticulait comme Rochas.

-Je les attends, je les attends tout à l'heure, au corps à corps!

Puis, apercevant le général Douay, il s'approcha.

-Mon général, est-ce vrai, cette blessure du maréchal?

-Oui, malheureusement... J'ai reçu tout à l'heure un billet du général Ducrot, où il m'annonçait que le maréchal l'avait désigné pour prendre le commandement de l'armée.

-Ah! c'est le général Ducrot!... Et quels sont les ordres?

Le général eut un geste désespéré. Depuis la veille, il sentait l'armée perdue, il avait vainement insisté pour qu'on occupât les positions de Saint-Menges et d'Illy, afin d'assurer la retraite sur Mézières.

-Ducrot reprend notre plan, toutes les troupes vont se concentrer sur le plateau d'Illy.

Et il répéta son geste, comme pour dire qu'il était trop tard.

Le bruit du canon emportait ses paroles, mais le sens en était arrivé très net aux oreilles de Maurice, qui en restait effaré. Eh quoi! Le maréchal De Mac-Mahon blessé, le général Ducrot commandant à sa place, toute l'armée en retraite au nord de Sedan! Et ces faits si graves, ignorés des pauvres diables de soldats en train de se faire tuer! Et cette partie effroyable, livrée ainsi au hasard d'un accident, au caprice d'une direction nouvelle! Il sentit la confusion, le désarroi final où tombait l'armée, sans chef, sans plan, tiraillée en tous sens; pendant que les allemands allaient droit à leur but, avec leur rectitude, d'une précision de machine.

Déjà, le général Bourgain-Desfeuilles s'éloignait, lorsque le général Douay, qui venait de recevoir un nouveau message, apporté par un hussard couvert de poussière, le rappela violemment.

-Général! général!

Sa voix était si haute, si tonnante de surprise et d'émotion, qu'elle dominait le bruit de l'artillerie.

-Général! Ce n'est plus Ducrot qui commande, c'est Wimpffen!... Oui, il est arrivé hier, en plein dans la déroute de Beaumont, pour remplacer De Failly à la tête du 5e corps... Et il m'écrit qu'il avait une lettre de service du ministre de la guerre, le mettant à la tête de l'armée, dans le cas où le commandement viendrait à être libre... Et l'on ne se replie plus, les ordres sont de regagner et de défendre nos positions premières.

Les yeux arrondis, le général Bourgain-Desfeuilles écoutait.

-Nom de Dieu! dit-il enfin, faudrait savoir... Moi, je m'en fous d'ailleurs!

Et il galopa, réellement insoucieux au fond, n'ayant vu dans la guerre qu'un moyen rapide de passer général de division, gardant la seule hâte que cette bête de campagne s'achevât au plus tôt, depuis qu'elle apportait si peu de contentement à tout le monde.

Alors, parmi les soldats de la compagnie Beaudoin, ce fut une risée. Maurice ne disait rien, mais il était de l'avis de Chouteau et de Loubet, qui blaguaient, débordants de mépris. À hue, à dia! Va comme je te pousse! En v'là des chefs qui s'entendaient et qui ne tiraient pas la couverture à eux! est-ce que le mieux n'était pas d'aller se coucher, quand on avait des chefs pareils? Trois commandants en deux heures, trois gaillards qui ne savaient pas même au juste ce qu'il y avait à faire et qui donnaient des ordres différents! Non, vrai, c'était à ficher en colère et à démoraliser le bon Dieu en personne! Et les accusations fatales de trahison revenaient, Ducrot et Wimpffen voulaient gagner les trois millions de Bismarck, comme Mac-Mahon.

Le général Douay était resté, en avant de son état-major, seul et les regards au loin, sur les positions Prussiennes, dans une rêverie d'une infinie tristesse. Longtemps, il examina le Hattoy, dont les obus tombaient à ses pieds. Puis, après s'être tourné vers le plateau d'Illy, il appela un officier, pour porter un ordre, là-bas, à la brigade du 5e corps, qu'il avait demandée la veille au général de Wimpffen, et qui le reliait à la gauche du général Ducrot. Et on l'entendit encore dire nettement:

-Si les Prussiens s'emparaient du calvaire, nous ne pourrions rester une heure ici, nous serions rejetés dans Sedan.

Il partit, disparut avec son escorte, au coude du chemin creux, et le feu redoubla. On l'avait aperçu sans doute. Les obus, qui, jusque-là, n'étaient arrivés que de face, se mirent à pleuvoir par le travers, venant de la gauche. C'étaient les batteries de Frénois, et une autre batterie, installée dans la presqu'île d'Iges, qui croisaient leurs salves avec celles du Hattoy. Tout le plateau de l'Algérie en était balayé. Dès lors, la position de la compagnie devint terrible. Les hommes, occupés à surveiller ce qui se passait en face d'eux, eurent cette autre inquiétude dans leur dos, ne sachant à quelle menace échapper. Coup sur coup, trois hommes furent tués, deux blessés hurlèrent.